Baisse historique des dotations de l'Etat : la violente schizophrénie de la décentralisation à la française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le gouvernement doit annoncer mardi 7 avril une baisse importante des dotations de l'Etat aux collectivités.
Le gouvernement doit annoncer mardi 7 avril une baisse importante des dotations de l'Etat aux collectivités.
©Reuters

Contradictions

Le gouvernement doit annoncer mardi 7 avril une baisse importante des dotations de l'Etat aux collectivités. En 2014 déjà, leurs dépenses d'investissement ont baissé à 53,5 milliards d'euros, alors que dans le même temps l'Etat confie plus de compétences aux localités.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

Voir la bio »

Atlantico : La Direction générale des collectivités locales a notifié récemment la baisse des dotations pour les 36 000 communes de France. Un certain nombre de compétences ont cependant été transférées par l'Etat aux collectivités ; celles-ci se retrouvent donc à devoir faire plus avec moins. Cette double attitude de la part de l'Etat n'est-elle pas paradoxale ?

Jean-Luc Bœuf. La décentralisation a été conçue en France comme devant rapprocher la décision du citoyen. Le constat que l’on fait aujourd’hui est que ce mouvement de transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités locales a bien rapproché la décision des élus… mais pas encore suffisamment des citoyens. Or ce citoyen est de plus en plus informé et ses attentes sont contradictoires : plus de services mais… moins d’impôt ! On cherche sans cesse à créer un "nouvel acte" de la décentralisation. Mais en réalité, trois moments clés enserrent la France locale : 1790, 1884 et 1982. 1790 car on découpe le territoire de façon rationnelle (les départements) ; 1884 car une phrase de la loi communale donne le tempo du fonctionnement des collectivités : "le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune" et 1982 en supprimant la tutelle de l’Etat sur les collectivités. Tout le reste est bien compliqué et concourt à entourer d’un halo la décentralisation, accessible aux seuls initiés. Et encore…

Dans quelle mesure peut-on parler de schizophrénie à la française ?

Cette schizophrénie française est bel et bien à l’œuvre lorsque l’Etat demande aux collectivités de réduire leurs dépenses le matin mais de participer le soir au financement des projets relevant des compétences… de l’Etat.  Plusieurs exemples en attestent, dans les domaines des ressources humaines, des caisses de retraite et des investissements. Pour les ressources humaines, lorsque l’Etat décide de mesures catégorielles pour certains agents, les collectivités doivent s’exécuter. Le coût annuel se chiffre en centaines de millions d’euros. C’est ce qui est aussi à l’œuvre depuis plusieurs années avec la revalorisation des carrières des agents de catégorie C (les agents d’exécution). C’est également le cas avec les cotisations aux caisses de retraite. Pour les employeurs publics locaux, cela se traduit par une ponction sèche de pusieurs centaines de millions d’euros par an. C’est enfin le cas avec ce qui vient de se passer cet automne et cet hiver avec la préparation de la nouvelle génération des "contrats de plan Etat-régions" ou CPER, dont il convient de rappeler que l’Etat sollicite les collectivités sur ses propres domaines de compétences ! Et, ô miracle… les collectivités accourent pour participer au financement de l’enseignement supérieur. L’addition annuelle dépasse le milliard d’euros. Il est donc de bon ton de dénoncer le matin les financements croisés et de demander le soir aux communes, intercommunalités, déparements, régions de participer à des projets de l’Etat.

Pour Bercy, les collectivités ont une grande part de responsabilité dans les difficultés qu'elles traversent. Ce sont elles notamment qui ont contribué à augmenter les effectifs de la fonction publique. Dans ce cas, faudrait-il aussi transférer le levier fiscal aux régions et aux départements, de sorte que l'Etat se désengage totalement ?

Le diagnostic est partiellement vrai ! En effet, les dépenses de personnel représentent plus de la moitié des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Or, les effectifs des collectivités locales ont fortement augmenté en trente cinq ans. Cette augmentation provient de trois éléments : premièrement les transferts de personnels, deuxièmement les recrutements effectués pour conduire de nouvelles actions et troisièmement, les recrutements réalisés pour respecter les contraintes fixées par le législateur. La liste suivante, non exhaustive, est particulièrement impressionnante. Elle s’accroit sans cesse depuis trente ans, sous la pressoin bruxelloise, étatique… et de l’opinion publique elle-même : contraintes environnementales, contraintes d’encadrement dans les piscines, contraintes d’encadrement des sorties scolaires, contraintes du nombre d’encadants pour les activités périscolaires,  contraintes de diagnostics à réaliser (inondations, environnement, espèces à protéger, amiante…), contraintes de sécurité dans les établissements recevant du public, contraintes du financement de l’accessibilité des bâtiments recevant du public, contraintes du grammage des repas dans les établissements scolaires ou de personnes âgées, contraintes de fouilles archéologiques (conduisant les collectivités à engager des dépenses de plusieurs centaines de milliers d’euros sans avoir donné le moindre coût de pelle…), contraintes de recrutements à réaliser pour accomplir des tâches transférées  par l’Etat mais non compensées (cartes d’identité, passeport…). Le remède est difficile à trouver et le transfert du levier fiscal semble inadéquat, pour la simple et unique raison que, pour ce qui est des régions, ces dernières sont désormais quasiment totalement dépourvues de tout pouvoir fiscal ! Pour les départements, ils disposent du levier fiscal des droits de mutation. Ces recettes sont aléatoires et collées à la conjoncture. En période de vaches grasses, de la fin des années 1990 à 2008, les départements ont utilisé les surplus, chaque année, pour conduire leurs politiques. Quant aux maires élus en 2014, ils ont souvent fait, notament pour les maires de droite, de la pause fiscale l’un des crédos de leurs campagnes.

Entre les contraintes européennes, l'Etat français qui a transféré partiellement des compétences aux collectivités, et ces mêmes collectivités qui se retrouvent prises à la gorge, comment résoudre l'équation ?

L’équation est simple à poser et difficile à résoudre. Elle est simple à poser parce que le problème consiste à diminuer les dépenses des collectivités puisque les recettes diminuent. En effet, pour la première fois, les budgets totaux de l’ensemble des collectivités locales vont diminuer en 2015, en raison de la forte baisse des dotations de l’Etat, de la difficile utilisation du levier fiscal et de l’accès à l’emprunt rendu plus incertain. Les élus locaux se tournent donc vers deux leviers essentiels que sont la maîtrise de la masse salariale et le refonte des politiques publiques locales. Tout d’abord, maîtriser la masse salariale de sa collectivité veut dire passer d’un rythme annuel de près de 4% à 1%. Cela passe par un examen très attentif porté aux remplacements. Rappelons que, à la différence du secteur privé, lorsqu’un agent publc est malade et remplacé, l’employeur local paie deux fois : l’agent en maladie et son remplaçant. Ensuite, la refonte des politiques publiques locales est également une voie qu’utilisent d’ores et déjà les maires élus en 2014. Elle passe naturellement par un diagnostic préalable pour identifier les mesures, actions, soutiens, politiques actuelles ; ceci pour proposer à l’arbitrage des élus les mesures qui pourraient ne plus être conduites. Le soutien de la démocratie directe pourrait être d’un précieux secours, en dépit de la difficile utilisation, en France, du référendum local.

En conclusion, les nouvelles décisions du gouvernement risquent de crisper les collectivités. Ces dernières doivent certes accepter la baisse de leurs dépenses. Mais ce qui est moins dit est que les décisions de l’actuel gouvernement vont couter cher, comme le fait d’avoir transformé en métropoles des communautés urbaines qui étaient très loin du seuil – Brest – ou faire passer en communautés urbaines les communautés d’agglomération des futures anciennes capitales régionales. Et comme les enveloppes sont contraintes, il va falloir faire payer les collectivités pour donner à celles qui vont avoir plus. Deux poids, deux mesures…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !