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Négociations sur la fonction publique : les constats désabusés d’un maire sur les dérives au sein des collectivités territoriales
©Reuters

L'indéboulonnable

Alors que Marylise Lebranchu organise actuellement des concertations pour penser à l'avenir de la fonction publique en France, Christian Demuynck revient sur les effets pervers du statut des fonctionnaires et des coûts aberrants qu'il peut engendrer pour les collectivités.

Christian Demuynck

Christian Demuynck

Christian Demuynck est Maire de Neuilly-Plaisance (93) depuis 1983. Il s'intéresse notamment aux questions liées à l’éducation, la jeunesse et la sécurité. Rapporteur au Sénat du projet de loi relatif au Service Civique en 2010, Christian Demuynck fut chargé de mission à plusieurs reprises pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. 

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Atlantico : Vous avez adressé une lettre à François Hollande, "Réformez pour économiser", dans laquelle vous pointez du doigt l'emploi à vie des fonctionnaires, qui "n'est plus tenable" pour les finances des villes. Quel constat faites-vous à partir de votre expérience de maire ?

Christian Demuynck : Dans le cadre de la préparation budgétaire, j’ai demandé à ce que soit établie une liste des personnels dans les services dont on pourrait se passer. Cela représente environ 10 % des effectifs rattachés à la mairie de Neuilly-Plaisance. Ces personnes ont un emploi garanti à vie, or pour des raisons diverses et variées, elles fournissent un travail très limité. Nous ne disposons d’aucun moyen de les obliger à travailler. Par ailleurs, beaucoup d’autres personnes, qu’elles soient fonctionnaires ou non, sont véritablement au service de la population et des élus. Mais comme nous sommes contraints au plan budgétaire, pour parvenir à réaliser des économies nous n’avons d’autre choix que de remercier des contractuels pourtant d’une grande qualité. Ce parce que nous ne pouvons pas nous débarrasser de ceux qui plombent le budget communal.

J’estime qu’il faudrait avoir la possibilité, sous réserve d’établir des critères précis qui empêcheraient les dérives, de signifier à certains que, puisqu’ils ne s’investissent pas dans la fonction publique, la mairie ne peut pas les garder. Il faut faire comme dans le privé. Actuellement, nous sommes obligés de suivre à la trace ces 10 % de personnels inutiles pour nous assurer qu’ils fassent au moins le tiers de ce qui leur est demandé.

Quelles différences relevez-vous entre les contractuels et les 10% de personnels inutiles ?

10% de personnels inutiles, cela signifie que les autres travaillent. Certains font des heures supplémentaires gratuites, d’autres sont corvéables à merci les weekends lorsqu’il y a des chutes de neige… Ce sont des gens totalement investis dans le service à la communauté. Les 10% que nous avons identifiés passent leur temps à réfléchir à la meilleure manière de ne rien faire. Cela oblige les chefs de service à vérifier chaque jour que le travail a été fait, et lorsqu’il n’a pas été fait les moyens de rétention sont très limités. C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place un système de primes pour ceux qui travaillent, mais il est vrai que nous ferions des économies considérables si nous étions en mesure de les remercier. D’ailleurs la simple possibilité de les remercier les inciterait à fournir un travail satisfaisant. C’est dommage d’en arriver là pour un nombre d’agents relativement limité.

Cela veut-il dire qu’il y a des défaillances dans la sélection des profils au moment de l’embauche ?

Je dis toujours que les titularisations affaiblissent les défenses immunitaires. Tant qu’une personne n’est pas titulaire elle n’est presque jamais absente, et lorsqu’elle le devient son taux d’absentéisme augmente de manière sensible. Pas pour tous, mais de manière statistique c’est le cas. La certitude d’avoir un emploi à vie ne donne pas forcément envie de s’investir si on n’a pas le courage de le faire. Nous avons des contractuels efficaces et investis, que nous sommes obligés de faire partir.

De quelle manière l’inefficacité de ces 10% affectent-elles vos concitoyens ?

Si je réussissais à remercier tous ces agents qui posent problème, je n’aurais plus besoin de trouver d’économies ailleurs. Les services continueraient de fonctionner, les contractuels seraient gardés, nous n’aurions pas de difficultés d’investissement et de fonctionnement. Nous aurions donc un budget équilibré sans avoir besoin de trouver des économies dans les moindres recoins. Au final, cela diminue l’offre de services aux habitants.

Quelles autres pesanteurs étatiques pèsent sur le budget de votre ville ?

Lorsque la mairie passe un marché public, les tarifs sont fixés pour un certain nombre d’années. Prenons l’exemple de la fourniture d’essence et de gazole : nous nous sommes aperçu que le marché passé nous permettait de faire des économies sur le gazole, mais nous en faisait perdre beaucoup sur l’essence. Or nous n’avons pas la capacité d’aller dans une autre station-service, précisément parce que le marché public a été signé avec cette société. A partir du moment où c’est dans l’intérêt de la collectivité, plutôt que de prendre de l’essence là où elle est plus chère, il faudrait avoir la possibilité d’aller se fournir dans une station-service moins chère. Le marché public ne tient pas compte de la baisse des prix, nous sommes donc bloqués par les conventions signées avec la compagnie pétrolière en question.

Mardi 10 mars la ministre Marylise Lebranchu a tenu une réunion d'étape avec les organisations syndicales sur la réforme de la fonction publique. Quel regard portez-vous sur les orientations prises par la ministre de la fonction publique ?

On peut difficilement savoir ce qui va en ressortir au bout du compte car les syndicats sont arcboutés et ne veulent pas changer grand-chose. A la moindre tentative, nos syndicats, plutôt que de trouver des solutions qui arrangeraient tout le monde, notamment en matière budgétaire, font blocage.

Notre gouvernement a une popularité particulièrement faible : autant qu’il en profite pour mettre en place les réformes nécessaires. C’est le moment de réformer, sinon nous ne réussirons pas à faire d’économies.

Lorsque vous demandez à François Hollande de "faciliter les licenciements dans le public", ne craignez-vous pas de parler à un mur ?

Si j’étais à sa place, avec la notoriété qu’il a, je n’hésiterais pas à faire des réformes. Il ne peut pas tomber plus bas, et il pourrait éventuellement en retirer un gain de notoriété in finie lorsque les effets se feront sentir. Je rappelle qu’il n’est pas question de faire n’importe quoi, mais s’il était possible de faciliter les licenciements, beaucoup d’agents qui ne font rien s’investiraient beaucoup plus. Ceux qui ne veulent pas partiraient, et cela permettrait aux collectivités de faire des économies. A l’échelle de la France, ce serait considérable.

Vous faites-vous le porte-parole officieux d’autres maires ?

A chacun de faire les déclarations qu’il veut, mais je sais que lorsque je discute avec d’autres maires, ils ont tous une proportion à peu près équivalente d’agents qui posent des problèmes. Il faut trouver une solution.

Si la droite revient au pouvoir en 2017, pensez-vous qu'elle sera prête à révolutionner la fonction publique dans le sens que vous indiquez dans votre lettre ?

Je ne le pense pas. Nous avons affaire, à gauche comme à droite, à une gestion des orientations qui est décidée par des énarques. Ils sont tous éloignés des réalités, élus dans des arrondissements confortables de Paris. Il nous faudrait quelqu’un qui n’appartienne pas à cette sorte de confrérie, qui décide de réformer.

L’Etat me demande de faire des aménagements périscolaires à hauteur de 450 000 euros, mais il faut bien que les trouve quelque part. On nous ajoute des charges et on nous demande de faire des économies sans nous en donner la possibilité. C’est totalement irrationnel.

Que faudrait-il faire ?

Entre maires de droite et de gauche nous arrivons à trouver des consensus. Il faut dépasser les clivages sur un certain nombre de sujets. Certains maires de gauche peuvent considérer qu’ils n’ont pas de problèmes avec une partie de leurs agents, mais ceux qui ne se voilent pas la face vous diraient la même chose que moi. Les solutions à trouver bénéficieraient aux citoyens, car ce sont leurs impôts qui servent à payer les agents municipaux inutiles.

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