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Traité TAFTA de libre échange transatlantique : l’arbitrage privé est-il une arme de destruction massive contre les Etats ?
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Bombe judiciaire

Florian Philippot a accusé sur France 2 le ministre de l'Economie Emmanuel Macron de sous-estimer le risque d'un recours généralisé à l'arbitrage privé, comme le prévoit le traité transatlantique. Un danger bien réel mais qui est aussi de la responsabilité des Etats.

Hervé Ascensio

Hervé Ascensio

Professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Chargé de cours en droit international et droit européen, responsable du master de droit du commerce international.

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Atlantico : Lors de l'émission Des Paroles et des Actes sur France 2, le vice-président du Front national Florian Philippot a accusé le ministre de l'Economie Emmanuel Macron de sous-estimer le risque d'un recours généralisé à l'arbitrage privé, comme le prévoit le traité transatlantique. En quoi consiste l'arbitrage privé ?

Hervé Ascensio :L'arbitrage est une alternative au juge étatique. Les parties à un litige s’entendent pour désigner un arbitre, qui exerce une fonction juridictionnelle en tranchant le différend de manière obligatoire. La forme d’arbitrage à laquelle Florian Philippot a fait référence est très orginale : il s’agit d’une procédure fondée sur un traité, opposant un Etat à un investisseur étranger et mêlant des traits publics et privés. Il convient donc de parler d'arbitrage international relatif aux investissements, et non d'arbitrage purement privé. D’ailleurs, le litige, la procédure et la sentence sont généralement connus du public. Ce genre d'arbitrage est assez fréquent désormais. Par exemple, la société Suez a déclenché une procédure arbitrale contre l'Argentine, qui avait modifié unilatéralement les conditions d'exécution d’un contrat d’une manière qui modifiait très fortement les anticipations de bénéfice de l'entreprise française et représentait un traitement inéquitable.

Concrètement, lorsqu'un investisseur est victime d’une violation des garanties figurant dans le traité de la part de l’Etat sur le territoire duquel il est installé, il peut déclencher une procédure arbitrale. Elle aboutira à une sentence arbitrale que les parties ont l’obligation d’exécuter. La nouveauté est que, en Europe, ce type de traité était jusqu’à présent conclu par les Etats ; la France en a conclu plus d’une centaine. C’est désormais l'Union européenne qui est compétente, d’où les négociations en cours sur ce sujet entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur le traité dit "TTIP".

Quels en sont les avantages et les inconvénients pour les Etats et les entreprises ? Est-ce que les Etats ont vraiment un avantage à l'appliquer ?

L'avantage pour les Etats est d'attirer les investisseurs étrangers, qui seront assurés de ne pas être victimes de discriminations. Les investisseurs étrangers, quand ils s'installent, prennent ce que l'on appelle un risque de souveraineté, c'est-à-dire qu'ils s'exposent au danger que l'Etat qui les accueille change soudainement  sa législation ou exproprie sans ou avec peu d'indemnités. Le but du traité est aussi de protéger les investisseurs qui craignent une certaine partialité des juridictions du pays dans lequel ils s'installent en cas de litige avec les pouvoirs publics.

Un récent rapport de l’Observatoire de l’Europe industrielle et du Transnational Institute révèle que les fonds spéculatifs réclament "plus de 1,7 milliards d’euros de compensation à la Grèce, l’Espagne et Chypre", des Etats en crise, via des procédures d’arbitrage privés dans le cadre d’accords commerciaux sur les investissements. Les Etats, et notamment ceux en difficulté, sont-ils menacés par l'arbitrage privé ?

Cela dépend du point de vue où l'on se place. Si les Etats lèsent les intérêts des investisseurs, ceux-ci acquièrent un droit de se défendre en utilisant cette procédure arbitrale. Il y a évidemment un risque de contentieux. Un certain nombre de détenteurs de titres grecs ou chypriotes estiment qu'ils vont perdre une partie de leur investissement si la Grèce ou Chypre ne paient pas ou s'ils imposent un échange de titres avec une décote considérable. Or, le but de ces accords est bien de protéger la propriété, les avoirs des investisseurs. Ceci étant, l'arbitrage n’est qu’une voie d'accès possible à un juge ; il y a souvent d’autres voies possibles. S'il n'y avait pas d'arbitrage, il pourrait quand même y avoir des procédures, y compris devant des juridictions étrangères.

Selon le Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (CIRDI), le nombre de cas d’arbitrages répertoriés est passé de 38 en 1996 à 450 en 2011, avec un coût moyen de 5,8 millions dʼeuros par litige. Qu'est-ce que cela dit de l'efficacité de ce mécanisme ?

Cela dit que ce mécanisme est de plus en plus utilisé par les investisseurs qui ont des difficultés là où ils sont installés. Les avocats ont aussi de plus en plus souvent le réflexe de le déclencher. En pratique, cela concerne surtout de gros joueurs, les multinationales, qui ont les moyens de pays des frais élevés et les honoraires des grands cabinets d'affaires. Par ailleurs, le mécanisme a démontré une certaine efficacité, car dans l'ensemble les sentences sont exécutées, la procédure est éprouvée et il existe des arbitres compétents. Dans le même temps, il est vrai que certains investisseurs ont parfois multiplié les procédures de manière contestable. C'est pour cela que les traités récents contiennent des clauses de plus en plus précises et détaillées, par exemple pour permettre la consolidation, c’est-à-dire le regroupement d’affaires ayant le même objet et déclenchées par des investisseurs liés.

J'ai répertorié une vingtaine de procédure de ce type contre le Canada. Certaines sont toujours en cours ; d’autres ont été favorables à l'Etat. Ce nombre assez élevé s’explique par les particularités de l’Accord de libre-échange nord-américain (liant Canada, Etats-Unis et Mexique) : les parties ont préféré s’en remettre à ce type de mécanisme plutôt que de créer des institutions comme la Commission européenne ou la Cour de justice dans le cadre de l’Union européenne. Le bilan pour le Canada n'est pas mauvais du tout. La donne est différente pour l’Argentine, contre laquelle il y a eu plusieurs dizaines de procédures, qu'elle a perdues pour la plupart. Mais la situation de l’Argentine est très particulière : en réaction à la très grave crise économique de 1999-2000, elle a pris des mesures interventionnistes exceptionnelles. Après avoir beaucoup promis pour attirer les investisseurs étrangers dans la décennie précédente, elle a pris des mesures qui leur ont été très défavorables.

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