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Le paradoxe de ces intellectuels musulmans réformateurs auxquels nous avons tant de mal à prêter attention
©Reuters

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Les intellectuels musulmans du monde entier se mobilisent contre le radicalisme. Mais bien qu'ils aient des choses à dire, c'est parfois les relais d'expression qui leur manquent.

Atlantico: Qui sont aujourd’hui les intellectuels musulmans mais aussi les autorités religieuses qui s’opposent publiquement au radicalisme?

Ghaleb Bencheikh: Parmi les intellectuels qui se sont opposés au radicalisme, on peut citer Mohammed Arkoum, décédé aujourd’hui, mésestimé de son vivant, professeur de la pensée islamique à la Sorbonne. Dans le monde anglo-saxon, les intellectuels Fahrid Esack, Sud-Africain, Abdukkarim Soroush, américain, Abdu Filali Anfari, qui vit entre Londres et Casablanca, font un énorme travail de déconstruction du message radical, mais il est vrai que dans le vacarme ambiant on les entend moins que ceux qui appellent à la haine ou au ressentiment, on n’entend peu ceux qui sont contre.

Parmi les penseurs français, Tarik Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, insiste dans ses prêches pour que soient posées les bonnes questions. Ces idioties, qui commence par le voile des jeunes filles, la barbe ou encore la nourriture hallal, qui ne sont pas importante et qui normatisent la religion, ces problèmes nous mène au radicalisme violent.

Azzédine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, dit au cours de forums que ne pas aborder la question de la criminalité de l’apostasie (abjuration de l’islam) est une faillite des responsables religieux.

Omero Marongiu-Perria, sociologue, étudie les blocages de la pensée au niveau d’une exégèse dépassée, qui n’est pas adaptée aux exigences de notre modernité. Il est dans une lecture de déconstruction de tous les arguments des radicaux. Il publie sur internet et dans les journaux qui veulent bien l’accepter avec des prises de positions courageuses.

Dans le monde arabo-musulman, les penseurs tunisiens Abdel Madjid Charfi, doyen de la faculté de Tunis, ou Mohammed Taldi s’opposent aussi au radicalisme publiquement. De même Boualem Sansal en Algérie, bien que non-musulman, condamne de façon très virulent la montée de l’extrémisme.En Iran, l’ayatollah Masoumi Tehrani a mis en exergue de façon très courageuse dans son prêche le message d’amour, de bonté et de miséricorde du Coran. De plus il s’est élevé contre le sort des minorités bahaïes en Iran.Enfin on observe une telle déliquescence en Syrie, en Irak ou encore en Libye que les intellectuels ont été disséminés et ne trouvent plus de terrain d’expression.

Lire aussi : Quand des voix influentes du monde arabo-musulman s’insurgent contre le radicalisme de l’Etat islamique

Quelles sont les bases de leur discours ?

Le premier message de ces intellectuels est de montrer la cécité qui frappe les radicaux: par un effet qu’on pourrait qualifier de psychiatrique, les radicaux extraient hors-contexte des versets qui appelle à la violence en oubliant la pléthore de ceux qui appellent à l’amour et à la bonté. Ils ne veulent pas voir les autres versets, il y a un refus du reste du Coran. Il y a une obsession mortifère de l’apologie de la violence, alors que sur les 6000 versets de la Coran, seuls 70 sont concernés, dont 40 qui en appellent à l’effort, dit djihad, et 25 qui évoquent les combats. Mais tous les autres versets ne sont pas sur la violence. Le contre-discours, qui devrait d’ailleurs être le discours, est de trouver l’antidote dans le Coran. Mais il faut aller plus loin et même ces passages doivent être dépourvus de leur charge mortifère et il faut renouer avec l’humanisme d’expression arabe qui a prévalu en contexte islamiste et que ces radicaux ne connaissent pas, par ignorance.

De plus il faut sortir de la raison religieuse, et faire un travail qui renoue avec l’humanisme arabe.

De quelle tribune disposent-ils ? Et à qui s'adresse leur message ? Les musulmans ? Les musulmans déjà radicalisés ? Le reste du monde ? 

Les autorités religieuses, et notamment  les imams, s’adressent bien évidemment aux fidèles, mais pour les intellectuels, il ne faut pas fragmenter l’auditoire et il faut s’adresser aussi bien aux musulmans qu’aux non-musulmans. Dans ce cas, il faut être aussi intelligent que les radicaux et utiliser tous les canaux satellitaires : internet, les réseaux sociaux ou la télévision.Malheureusement, les fanatiques, ceux qui sont déjà endoctrinés, ne sont plus capables d’entendre, de sortir de leur radicalisme. Il faut un miracle pour les sauver.

Le seul message qui est de dire "moi je suis musulman, et ce n’est pas ça l’islam", comme l’a fait Boubaker, ne suffit pas, surtout lorsqu’on a des responsabilités et des moyens de diffusion comme les siens. Il n’a rien organisé, aucun colloque, aucune publication, aucun séminaire. Il n’y a pas de prise de position dans les causeries religieuses, dans les prêches non plus, il n’y a rien, et on ne peut que le déplorer.

Pourquoi est-il important pour les personnalités musulmanes influentes de prendre position sur le sujet ? Quels sont les risques à ne pas le faire ? 

On ne peut pas accepter que la barbarie sévisse, il faut absolument réagir plus. Ne pas réagir c’est de la lâcheté, et laisse propager l’idée que le radicalisme est la règle.Il y a une responsabilité morale, éthique, politique, à s'opposer à une idéologie mortifère.

Ceux qui sont dans une logique qui , avant de condamner les radicaux, condamne Benjamin Netanyahu ou George Bush  en les accusant d'être responsables de cette radicalisation, sont coupables. Beaucoup de responsables religieux disent que les responsables du désordre ne sont pas les fidèles, ou alors qu'ils agissent en réaction des sévices qu'ils auraient subit. Mais c'est une position irresponsable aujourd'hui.

Il y a aussi des responsables religieux qui ont peur, qui ne veulent pas s’immiscer dans ces affaires et ne prêchent que des choses gentilles.Et il y en a qui, au péril de leur vie, le font.

A votre avis, le font-elles suffisamment ? 

C’est une question qui concerne aussi ceux qui veulent bien diffuser le message de ces religieux ou de ces intellectuels. Parfois ils ne trouvent pas les relais pour se faire entendre, et il arrive même que des journaux demandent des frais de publicité ! Il y a donc un réel paradoxe, et une responsabilité des médias, qui donne un large temps d’antenne aux propos radicaux, mais qui se refusent à diffuser une image pacifique de l’islam, qui vend moins. Mais il ne faut pas que les penseurs abdiquent et c’est à eux de trouver les moyens d’être entendus.

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