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Moins de mètres carrés, plus d’euros : 20, 30, 40 ou 60 ans, qui endure quoi pour se loger dans la France de 2015
©Reuters

Etat des lieux

Alors que la baisse du prix de l'immobilier à Paris se généralise, l'augmentation depuis le début des années 2000 demeure toujours à 114% sur l'ensemble du territoire. Fondation d'un foyer, agrandissement de la famille ou décohabitation avec les parents, chaque catégorie d'âge doit faire face à des difficultés propres à ses aspirations de vie.

Pierre Madec

Pierre Madec

Pierre Madec est économiste au département analyse et prévision à l'OFCE.

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Christophe Robert

Christophe Robert

Christophe Robert est délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Il est sociologue de formation.

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  • Malgré la baisse récente des prix de l'immobilier constatée à Paris, entre 2000 et 2014, son prix moyen sur toute la France a subi une augmentation de 114%.

  • Le taux d'effort (part des dépenses rapporté sur le revenu) en matière de logement a globalement augmenté pour toutes les catégories d'âge et de situation. Au début des années 2010, il était à son plus haut depuis 70 ans, et le taux d'endettement des Français se situait la même année à 74% (il était à 50% en 1998). 

  • Les jeunes adultes sont les plus touchés, avec un taux d'effort plus important que les autres classes d'âge (22% de leurs revenus consacrés au logement, contre 8,6% pour les 45-59 ans par exemple).

  • Malgré un rapprochement des revenus des retraités à celui des actifs jusqu'en 2007, les plus de 60 ans sont la deuxième catégorie pour laquelle le logement représente un défi, du fait notamment d'une diminution substantielle des revenus et des aspirations de vie nouvelles qui demandent mobilité et disponibilités financières.

  • D'une manière générale, les politiques publiques depuis 20 ans sont les mêmes, et elles n'ont pas à ce jour su répondre aux problématiques qu'elles avaient vocation à résoudre. 

20 ans

Christophe Robert : Plusieurs variables sont venues jouer à créer les problématiques auxquelles les jeunes adultes sont aujourd'hui confrontés en matière de logement. Nous sommes face à une population qui a beaucoup évolué depuis 20 ans. Elle reste plus longtemps chez ses parents pour des raisons d'augmentation du temps d'études notamment. La structure familiale a évolué avec l'augmentation des séparations conjugales qui produisent un effet immédiat : la démultiplication des besoins en logements. 

Décohabitation des 18-30 ans entre 2006 et 1992

Lecture : En 2006, en région Nord-Pas-de-Calais, 48,1% des personnes de 18 à 30 ans vivent chez leurs parents. Depuis 1992, cette proportion a augmenté de 3,2 points. Sources : Insee.

La jeunesse est confrontée à une double difficulté : d'une part, ils se positionnent sur le marché des petits logements, c'est-à-dire ceux qui sont les plus chers car ils font l'objet d'un turn-over plus important, sans compter le fait qu'ils font l'objet d'une révision du loyer à chaque remise en location.

Ensuite, ils vivent généralement dans les villes, les grands ensembles urbains où la proposition universitaire est plus importante qu'ailleurs : ce sont dans ces même endroits que l'on observe généralement les loyers les plus chers, ce phénomène étant corrélé à la pénurie de biens proposés.

Pour ceux qui ne sont pas étudiants, et qui n'ont pas forcément la chance d'avoir un réseau de solidarité familiale pour les aider et qui sont en situation de rupture familiale, les moins de 25 ans ne peuvent pas bénéficier du RSA et se retrouvent souvent sans rien sans ressources, sans solidarité et ils sont surreprésentés dans la demande d'hébergement d'urgence. 

En 1995, le coût du logement n'était pas le même : l'augmentation des loyers s'est accompagnée des charges. Cela touche l'ensemble de la population mais particulièrement les jeunes car ils se trouvent sur le marché des petits logements, comme je le mentionnais plus haut qui proportionnellement coûtent davantage. De même, La généralisation d'un premier emploi avec des contrats précaires (CDD, intérim, stages) n'est pas en mesure de répondre aux garanties des propriétaires. Et au fil de ces dernières décennies on a vu se multiplier les demandes de garanties, de cautions, la multiplication des sécurisations demandées par les propriétaires.  

30 ans

Christophe Robert :Les difficultés que les 30 ans rencontrent pour accéder à un logement sont importantes. Pour ceux qui ont la chance d'accéder à la propriété, ce processus s'enclenche généralement plus tard, et recquierent des durées de remboursement d'emprunts plus longs. Avec cette difficulté des primo-accédants, c'est bien entendu l'autonomie qui est rendue plus difficile : accéder à son propre logement, fonder son foyer... 

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Lecture : Avec 10,4%, la tranche d'âge des 30-39 ans est la plus importante à considérer que leurs conditions de logement sont insuffisantes. 

A travers les témoignages, les analyses que l'on réalise, les obstacles nombreux à prendre son envol reviennent très fréquemment et le logement y est pour beaucoup. Avec parfois des phénomènes de retour en arrière, ce que l'on appelle la génération boomerang. Des personnes qui avaient pris leur autonomie et qui doivent retourner chez leur parent en raison de la perte de l'emploi, l'impossibilité de payer leur loyer, sans parler de l'accès à la propriété pour ceux qui auraient souhaité le faire. Depuis 2008, les banques prêtent effectivement moins facilement mais à une échelle sociétale sur les 20 ans c'est la fragilité des ressources et les rigidités des garanties qui empêchent les emprunts. La colocation est aujourd'hui un des éléments qui constitue un amortisseur de crise. Le camping à l'année, la séparation du logement en plusieurs unités, un logement éloigné de l'emploi en sont autant d'autres.

De plus, pour les trente ans en particulier, il n'y a pas spécifiquement d'aide. Auparavant sur les 20-30 ans il y avait des dispositifs comme locapass, aujourd'hui il y a la garantie jeune. Mais nous sommes dans des dispositifs qui sont insuffisants. Et alors que la Garantie loyer universelle devait être adoptée, elle se concentrera finalement sur les jeunes mais pas sur l'ensemble de la population. 

40 ans

Christophe Robert :Bien que ce phénomène touche également la tranche d'âge précédents, c'est également à partir de 40 ans que se pose la question du deuxième enfant, qu'il soit arrive ou qu'il grandisse. On voit que les 40 ans doivent à nouvea se confronter au marché du logement.

Le fait de se confronter à nouveau au marché du logement, peut destabiliser : beaucoup d'entre eux doivent revoir leurs ambitions à la baisse :en optant pour un logement plus petit ou de moins bonne qualité, mais il est fréquent d'observer la résolution de cette augmentation du coût du logement par un éloignement du lieu de travail. Ce phénomène de périurbanisation, d'éloignement peut cacher quelques problèmes pas suffisamment envisagés : par exemple, le coût d'une deuxième voiture. Ces phénomènes se sont fortement accentués. Et si l'on regarde la carte du prêt à taux zéro, elle se superposerait avec un éloignement des ménages. Les primo accédant s'éloignent bel et bien des centres-villes.

60 ans

Christophe Robert :Les retraités aspirent à la sécurité à travers l'accession à la propriété s'ils ne l'ont pas déjà passé. Pour cela, nos études montrent qu'il se dirigent souvent vers la copropriétés, qui dans les offres notamment d'anciens, trouvent des opportunités intéressantes, mais peuvent également représenter des sources de déconvenues liées à la qualité des biens, surtout lorsqu'il s'agit du parc locatif avant 1974. Leurs aspirations les poussent de facto à changer de logement, que ce soit à l'échelle des régions où simplement du cadre de vie. 

Plus les Français avancent en âge, plus ils trouvent important de résider à côté de commerces, services et équipements de santé 

En réalité, cette classe d'âge avait plutôt rattrapé le niveau des actifs avant la crise économique. Le revenu disponible des retraites a rattrapé le niveau des actifs alors qu'il y a trente ans, le niveau des retraités était en dessous de celui des actifs. Le moment où ce rattrapage a eu lieu s'est appelé l'âge d'or des tempes grises, mais on a clairement observé un décrochage il y a 7-8 ans.

Sources : Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux rétropolées de 1996 à 2004, Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux de 2005 à 2010. Champ : personnes vivant en France métropolitaine dans un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante. Remarques : l’ensemble de la population inclut, outre les retraités et les actifs (en emploi ou au chômage), des inactifs non retraités dont le niveau de vie est relativement faible ; les séries de niveau de vie moyen sont un peu heurtées, notamment pour les retraités, du fait des revenus financiers reconstitués par imputation. 

Atlantico : Sur quelles aides publiques, outils en matière de logement, les Français pouvaient-ils s'appuyer pour répondre à leurs besoins en matière de logement au début des années 2000 ?

Pierre Madec : En réalité, depuis le début des années 2000, les outils publics en matière d’aides au logement ont relativement peu changé (Madec, 2015). La majorité des aides publiques au logement qui existent à l’heure actuelle (plus de 65 mesures différentes en faveur du secteur du logement) existaient déjà au début des années 2000. C’est le cas des aides personnelles au logement versées aux locataires mais également de dispositifs tel que le prêt à taux zéro (PTZ) pour les accédants à la propriété où les mécanismes d’incitation à l’investissement locatif pour les investisseurs.

Sur la période, ce sont les places occupées par ces différents types d’aides dans la politique du logement qui ont évoluée au gré des alternances politiques. Alors qu’en 2000, plus de la moitié des aides au logement étaient distribuées directement sous forme d’aides à la personne (APL, ALS, ALF), cette part a diminué de plus de 10 points en un peu plus de 10 ans.

Cette érosion est expliquée par le transfert d’une partie des aides à personne vers les aides dites à la pierre. Depuis 2000, ce sont donc les aides accordées au secteur HLM et les aides accordées au secteur privé (investissement locatif, accession à la propriété) qui ont (en proportion) le plus augmenté.

Quelle a été l'efficacité de ces différentes mesures ? Ont-elles permis de répondre aux problématiques qu'elles avaient vocation à résoudre ? Quel bilan peut-on établir à ce jour ?

A première vue, le bilan de la politique du logement n’est pas des plus positifs (voir Madec dans l’Economie Politique 2015). Depuis 2000, le taux d’effort (part des dépenses en logement dans le revenu des ménages) a augmenté pour toutes les catégories de ménages, des plus modestes aux classes moyennes. Bien que les locataires du parc social et les propriétaires non accédants aient été relativement préservés, ils ont comme tous subis entre la fin des années 90 et celle des années 2000, des hausses importantes de leur dépenses en logement (voir sur le sujet Le Bayon, Madec, Rifflart dans la revue Ville et Logement de l’OFCE 2013). Les plus exposés aux effets des hausses ininterrompues des loyers et des prix de l’immobilier étant évidemment les locataires du parc privé et les accédants la propriété.

La part consacré au logement des locataires sur parc privé appartenant au premier quartile de revenu (les 25% les plus pauvres)) a augmenté de près de 10 point entre 1996 et 2010. Celle des locataires appartenant au quartile supérieur (la classe « moyenne inférieure ») a cru de près de 7 points. Concernant les accédants à la propriété, ces augmentions ont été d’environ 3 points.

Evolution des revenus, des prix d’achat des logements anciens et des loyers d’habitation (indice 100 en 1996)

Compte tenu du fait que les enveloppes budgétaires importantes distribuées en faveur du logement n’ont permis ni d’enrayer ces augmentations de taux d’effort, ni de faire décroitre durablement la proportion de ménages mal logé,  ni de ralentir la hausse des prix de l’immobilier (+114% entre 2000 et 2014 pour la France entière) et n’ont enfin pas permis de stopper le creusement incessant des inégalités d’accès à la propriété (voir sur ce sujet Le Bayon, Levasseur, Madec dans la revue Ville et Logement de l’OFCE 2013),  la question de savoir si les aides publiques au logement ont été efficaces au cours des 15 dernières semble aboutir une réponse relativement claire.

Pour autant, bien le contrefactuel soit complexe à établir, on peut penser qu’en l’absence d’un certain nombre de dispositifs d’aides au logement, la situation aurait pu être encore pire. Ainsi, bien qu’elle s’effrite ces dernières années, l’efficience des aides à la personne est incontestable et ceux malgré les critiques qui leurs sont adressées ces derniers temps. De même, le développement d’un parc social important, à la fois pour les ménages les plus modestes mais aussi pour les classes légèrement plus aisées au travers la construction de logements dits « intermédiaires » doit être salué.

A contrario, les dispositifs d’aide à l’accession tel que le PTZ n’ont semble-t-il pas permis de solvabiliser correctement les publics visés lors de sa création. Les effets d’aubaine sont importants et les différentes études menées sur le sujet ont montré le faible impact de ce type de mesures tant sur la construction que sur l’accès à la propriété. De même, les dispositifs tel que la réduction d’impôt pour intérêt d’emprunt, existant déjà au début des années 2000 et réintroduit en 2007, n’ont eu aucun impact sur la solvabilisation des ménages désireux d’accéder à la propriété. Enfin, les dispositifs d’incitation fiscal à l’investissement locatif n’ont quant à eux pas permis le développement d’une offre de logements abordables suffisantes pour les classes moyennes.

Les aides publiques en la matière qui existent aujourd'hui sont-ils plus ou moins efficaces ? 

Comme nous l’avons déjà vu, les aides publiques à l’œuvre aujourd’hui ne diffèrent de leurs prédécesseurs qu’à la marge. Les aides à la personne ont très peu évoluées dans leur définition et les aides adressées au logement social ont certes changé de nature (les subventions directes ont laissé la place à des aides fiscales) mais très peu d’objectifs. En réalité, les mécanismes ayant subi le plus de modifications depuis 15 ans sont sans doute les aides à l’accession. Ces dernières ont en effet grandement évolué au fil des années dans leurs critères d’attribution tant en termes de ciblage (ménages modestes ou classe moyennes, territoires urbains ou non, neuf ou ancien, …) que dans les montants alloués, sans pour autant gagner en efficacité.

L’efficacité des aides au logement est donc tout autant remise en question aujourd’hui qu’il y a 15 ans d’autant plus qu’une fois encore sur la période la situation de logement des ménages s’est fortement dégradé et l’ampleur des problèmes à résoudre semble de plus en plus  insurmontable.

Le marché immobilier, ainsi que la conjoncture étaient-ils globalement plus favorable qu'aujourd'hui ? Que peut-on en dire ?

La réponse la plus évidente semble être l’affirmative. La hausse des prix de l’immobilier enregistrée depuis la fin des années 90 en est la principale explication. Comme nous l’avons montré dans un article publié dans la Revue Ville et Logement de l’OFCE, la situation sur le marché locatif s’est fortement dégradée et la mobilité résidentielle y est de plus en plus difficile.

Malgré tout, la complexité d’effectuer une comparaison à 20 ans réside dans le fait que nous ayons subi sur la période une crise économique majeure. Les difficultés d’accès à la propriété soulignées dans le cas français pour les ménages les moins aisés ou les jeunes par exemple, sont toutes aussi présentes en Espagne ou même en Allemagne (voir sur le sujet Le Bayon et Madec dans la revue d’économie financière 2014).

De plus, le logement est par nature une problématique locale. Dans l’analyse des mécanismes à l’œuvre il est donc indispensable d’introduire cet aspect territorialisé. Les évolutions décrites précédemment n’ont évidemment pas pris la même importance dans les zones urbaines les plus tendues et les zones rurales.

En conclusion, il faut rappeler que le marché du logement est un marché où les leviers d’action publics existent et ce bien que nous ayons vu que depuis 15 ans ils avaient été relativement mal exploités. Ces derniers sont nombreux et doivent être actionnés afin que nous ne puissions pas réitérer les critiques adressées ici en 2030. Le foncier public et privé, les aides à la personnes, la fiscalité immobilière et les freins locaux à la construction de logement sont autant de point dont les pouvoirs publics doivent se saisir rapidement afin de résoudre la crise du logement qui traverse la France depuis (beaucoup) plus de 15 ans.

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