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"Avec la démondialisation, certains veulent rejouer le tournant de la rigueur de 1983, à l'envers"
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Débat Aubry/Hollande

La démondialisation d'Arnaud Montebourg devrait être au cœur du débat Aubry/Hollande de ce mercredi soir. L'occasion de voir si le PS a tourné la page de 1983, quand François Mitterrand décida que la France devait rester dans le système monétaire européen.

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Quel regard portez-vous sur la "démondialisation" portée par Arnaud Montebourg ?

David Valence : Je crois qu’il est nécessaire, tout d’abord, de préciser ce qu’on entend par « démondialisation ».

Ce terme, qui est en effet à la mode à gauche et à l’extrême droite, recouvre deux choses : d’une part, l’idée qu’une « relocalisation » de certaines activités, notamment industrielles, serait possible dans les années qui viennent, en raison d’une hausse prévisible du coût des transports. Entendue ainsi, la « démondialisation » recoupe les préoccupations des écologistes. Mais ce terme est aussi un habit neuf du bon vieux protectionnisme… 

Depuis plusieurs années, des économistes souvent très marqués à gauche (Jacques Sapir) et des intellectuels –on pense à Emmanuel Todd- plaident en effet pour une politique protectionniste, soit une combinaison entre une hausse des tarifs douaniers à l’importation de l’Union européenne, et la définition de normes constituant, de facto, des barrières à l’importation.

« L’adversaire » contre lequel l’Europe devrait absolument se protéger, selon cette analyse, c’est évidemment la Chine.

Ce thème de la « démondialisation » est ensuite passé dans le discours politique, pour des raisons souvent opportunistes.

Mais il entre, dans la « conversion » d’une partie de la gauche à cette thématique, quelque chose de très profond. Au fond, pour certains socialistes, parler de démondialisation, c’est rejouer le match de 1981 et de 1983. C’est cultiver l’idée qu’une politique économique déconnectée des grandes évolutions mondiales pourrait réussir.

Je m’explique. Le « trauma » de la rigueur, en 1983, continue de planer dans les têtes des militants et élus socialistes. Même dans celles des plus jeunes, qui n’ont pas vécu cet épisode. 1983 joue le même rôle, aujourd’hui, à gauche, que 1936, avec l’échec économique du Front populaire, jusqu’en 1981. C’est un épouvantail. La gauche française, à chaque fois qu’elle imagine des projets de relance ambitieux et coûteux, a l’impression de se heurter à un nouveau « mur de l’argent », désormais nommé « mur de la mondialisation ». En proposant de revenir sur la mondialisation, certains cultivent donc le rêve d’une France ou d’une Europe où tout serait possible, à l’abri de tarifs douaniers protecteurs. Bref, le rêve d’un 1981 sans 1983.

Le fait que la proposition de démondialisation s’inscrive dans un cadre européen change-t-il la donne par rapport à 1981 ?

L’européisme affiché des Montebourg et autres Mélenchon est un leurre. Ils savent bien que leur « démondialisation » n’a aucune chance de convaincre ceux des pays européens dont toute l’économie est fondée sur l’exportation, ou presque. Comme l’Allemagne ! Quand bien même un consensus se ferait sur une politique économique à l’échelle européenne, on peut prendre le pari qu’elle ne serait absolument pas définie sur les bases imaginées par MM. Montebourg et Mélenchon, c’est-à-dire sur une combinaison entre relance keynésienne massive et protectionnisme assumé.

L’Europe d’Arnaud Montebourg, qui est du reste soutenu mezza voce par Jean-Pierre Chevènement, c’est toujours « l’autre Europe » dont rêvaient les souverainistes de gauche dans les années 1990. C’est une Europe qui, concrètement, n’existe pas, une Europe où une gauche très étatiste, très française, dominerait.

Si l'on suit la logique du protectionnisme, pourquoi ne pas aller au-delà du protectionnisme européen et évoquer un protectionnisme français ? Pour ne pas être rattaché aux thèses du Front National ?

Ce qui est sûr, c’est que l’Europe sert de cache-sexe, dans son discours, à une vision très étriquée, très classique. Arnaud Montebourg, c’est le socialisme jacobin le plus traditionnel, le plus franco-français, repeint hâtivement aux couleurs de l’Europe-puissance. La vieille gauche en habits de jeune homme.

En quoi l’analogie de la période 1981 - 83 avec la crise actuelle peut-elle faire sens ?

L’analogie est opératoire en ceci que nous sommes, comme au début des années 1980, dans une crise économique très grave dont l’issue paraît lointaine, même si l’origine de cette crise n’a évidemment rien à voir avec le deuxième choc pétrolier de 1979. Dans ce contexte, il est très tentant de trouver des « solutions miracles » qui permettent de cultiver l’espoir d’une sortie de crise rapide. J’ajoute que ce type de mirages est souvent rentable électoralement…

De plus, beaucoup de socialistes n’ont toujours pas avalé le tournant de la rigueur de 83. Le vote de ce dimanche montre que l’évolution du PS vers une logique réformiste n’est pas complètement acquise. Demeure, à gauche, une nostalgie d’une politique volontariste, ultra-keynésienne –mais au sens où les Français comprennent Keynes, attention !-, qui serait mise en œuvre comme si le monde extérieur n’existait pas, à l’abri douillet de nos frontières.

Vous voulez dire que le modèle de pensée de certains candidats socialistes, Arnaud Montebourg en tête, se serait arrêté aux années 1980 ?

C’est moins net que cela. Disons que, tout en ayant intégré la nécessité d’un certain pragmatisme économique, beaucoup d’électeurs de gauche demeurent nostalgiques d’autre chose, d’un socialisme très jacobin, très volontariste, donc nécessairement protectionnistes. Le tournant de la rigueur n’a pas rejoint la grande Histoire de la gauche, et 1983 reste une date honteuse pour beaucoup. Celle d’un reniement par rapport à l’ambition de « changer la vie ». Parler de démondialisation, c’est donc, pour eux, revenir symboliquement sur cela, caresser l’idée qu’un 1981 serait possible sans 1983. 

Cette nostalgie ne forme pas un système de pensée cohérent, mais elle offre une assise solide aux discours d’Arnaud Montebourg ou de Jean-Luc Mélenchon, pour le Parti de gauche. Avec la démondialisation, ceux-là espèrent rejouer le tournant de la rigueur de 1983, mais dans le sens opposé. Je suis du reste frappé que les "démondialisateurs" français cultivent autant d'admiration pour François Mitterrand... mais pour le Mitterrand de 1981 !

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