Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 1 - A quelle heure irez-vous voter ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment faire réagir les citoyens à la question du vote ?
Comment faire réagir les citoyens à la question du vote ?
©Reuters

Série militantisme

La sphère politique peine à s'adapter à une société française qui évolue plus vite qu'elle. Premier volet d'une série qui montre comment nous pourrions nous inspirer d'expériences américaines, aujourd'hui : comment la psychologie du vote pourrait répondre aux taux d'abstention chroniquement élevés, symptômes d'une démocratie qui doute ?

Amélie de Montchalin

Amélie de Montchalin

Amélie de Montchalin  diplômée d'HEC et de la Harvard Kennedy School. Elle participe au groupe de réflexion la Boîte à idées.

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 La Boîte à idées

La Boîte à idées

La Boîte à idées est un groupe de réflexion. Composée de hauts fonctionnaires et d'experts du secteur privé, elle émet régulièrement des propositions afin de peser sur la ligne politique de l'UMP.

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Lire les autres épisodes :

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 2 - Être ou ne pas être électeur

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 3 - Big brother is watching you

Sortir la politique française de la préhistoire : leçon 4 - La force de l’habitude

Les partis politiques qui structurent la vie politique française et "concourent à l’expression du suffrage universel" ressemblent de plus en plus à ces grands dinosaures du Jurassique, qui se sont éteints faute de s’adapter à leur nouvel environnement.

La défiance est partout ? Les adhésions sont en baisse ? L’abstention massive ? Qu’importe pour nos partis, qui restent figés à l’ère préhistorique, et en appellent mollement au "devoir civique" en attendant que les électeurs reviennent.

Notre conviction est que les électeurs ne reviendront pas, sans deux inflexions majeures.

La première, essentielle, touche à la crédibilité de la parole publique : nos concitoyens qui perçoivent le décalage entre les discours mobilisateurs et rassurants, et la réalité d’un pays qui stagne, ont le sentiment assez juste d’être trompés depuis trente ans. 

La deuxième inflexion touche aux méthodes et aux stratégies de mobilisation mises en œuvre par les partis, qui ne pourront pas indéfiniment s'extraire de leur temps et de ses pratiques.

À l'heure des réseaux sociaux qui savent tout de nous, des algorithmes qui prévoient nos décisions, et de la publicité personnalisée qui anticipe nos besoins, la politique doit évoluer, pour adopter de nouveaux outils.

Après 15 ans d'érosion de la participation électorale aux Etats-Unis, de nombreuses expériences – isolées ou massives – y ont été menées. La psychologie et l’économie comportementale ont été mises à contribution pour aider les principaux partis à remettre sur le chemin des bureaux de vote des millions d'électeurs. Ce sont ces expériences - innovantes, surprenantes et réussies - que nous présentons.

Ces méthodes nouvelles ne peuvent souvent pas être importées telles qu’elles en France, pour des raisons culturelles ou légales. Elles peuvent néanmoins guider les pouvoirs publics et les partis politiques dans l’organisation des campagnes, pour les inscrire dans notre époque et parler aux électeurs d'aujourd'hui.

A quelle heure irez-vous voter ?

  • Vouloir voter ne suffit pas pour aller voter : ce n'est pas seulement sur la motivation qu'il faut peser pour réduire l’abstention, mais sur le passage à l’acte.

Acte moral et civique, devoir envers la patrie, aller voter est pourtant, à y regarder de plus près, un acte complètement irrationnel. D'après des chercheurs américains, la probabilité de mourir dans un accident de la route en rejoignant son bureau de vote un jour d’élection nationale serait en effet supérieure à celle d’avoir la moindre influence sur le résultat du scrutin.Vu sous cet angle, notre "devoir civique" devient un peu angoissant : on se trouverait presque des raisons de s'abstenir.

Et des raisons de s'abstenir, les Français semblent en trouver de plus en plus. Face à cette démobilisation, les partis de gouvernement sont plongés dans la perplexité, et s’interrogent sur leurs méthodes de communication, les valeurs qu’ils incarnent ou encore les leaders qui les portent. Beaucoup plus rarement sur les leviers pratiques qui peuvent inciter les citoyens à voter.

  • Lutter contre l'abstention passive

Des chercheurs d’Harvard et de l’University of Notre Dame ont étudié les ressorts de l’abstention (1), et sont parvenus au travers de leur expérience conduite en Pennsylvanie pendant la primaire démocrate de 2008, à augmenter significativement la participation des électeurs victimes d’abstention "passive" (différents des abstentionnistes « militants » bien décidés à faire de leur silence un acte politique en soi).

Les chercheurs en psychologie et théorie de la décision ont observé de longue date et dans de nombreux domaines que vouloir agir n’est souvent pas suffisant pour que l’action se produise. De nombreuses études (sur la vaccination contre la grippe par exemple, moins de la moitié de ceux qui disent vouloir se faire vacciner le faisant effectivement) confirment ce qu’on sait intuitivement : de la volonté à l’action, il y a un pas parfois difficile à faire.

C’est souvent en mettant les individus en condition pour qu’ils réfléchissent par avance à tout ce qu’ "agir" impliquera concrètement que l’on favorisera le passage à l’acte. En imaginant ce moment précis où ils agiront, les individus concernés éliminent en effet mentalement les principaux obstacles susceptibles de générer de la passivité.

  • A quelle heure irez-vous voter?

Dans le cas des élections, à la place des messages téléphoniques ("demain, n’oubliez pas d’aller voter") répétés à des millions d’Américains lors des désormais fameuses opérations de "get out the vote" organisées par les deux principaux partis politiques (littéralement, "aller chercher les voix"), les chercheurs ont testé l’effet de questions précises permettant aux électeurs de réfléchir aux modalités pratiques de ce vote : "à quelle heure prévoyez-vous d’aller voter ?", "que ferez-vous avant d’aller voter ?", "d’où viendrez-vous en arrivant au bureau de vote ?".

Sans être uniformes, les effets de l’expérience sont très nets : +4 points de participation sur l’ensemble de l’échantillon concerné par ces questions précises. Une hausse dopée notamment par l'effet impressionnant (+9 points) sur les électeurs vivant seuls. L’expérience montre en effet que ces méthodes n’ont pas d’effets significatifs sur les ménages dans lesquels vivent plusieurs électeurs, et qui sont amenés de toutes façons à se poser ce type de questions. 

Impact moyen sur la participation de différentes méthodes de mobilisation par téléphone

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Lecture : Pour les individus vivant seuls, poser des questions précises sur leur plan de vote augmente leur participation de 9,1 points. Si on ne leur diffuse que des messages génériques ("n’oubliez pas d’aller voter"), leur participation recule en moyenne de 0,7 point (résultat non significatif).

Source : Etude réalisée en Pennsylvanie lors des élections à la primaire démocrate de 2008, sur un échantillon de 287 228 personnes représentatives et pré-identifiées comme démocrates. Source : David W. Nickerson and Todd Rogers (2010). “Do You Have a Voting Plan? Implementation Intentions, Voter Turnout and Organic Plan Making.” Psychological Science 21(2):194-99.

Sans transposer purement et simplement ces méthodes de campagnes en France – de nombreux obstacles juridiques, financiers et techniques existent, à commencer par l’absence de fichiers téléphoniques regroupant les électeurs – pourquoi ne pas chercher à les adapter, pour aider les électeurs en puissance à le devenir dans les faits ?

A titre d’exemples peu onéreux, les préfectures pourraient ajouter à l’envoi des programmes, de petits pense-bêtes à pré-remplir pour détailler son "plan de vote" et préparer son agenda personnel pour le dimanche d’élection. Les partis politiques pourraient aussi encourager leurs militants à poser ce type de questions concrètes, qui auront bien plus d’effet sur les électeurs qu'un énième appel à voter pour tel ou tel candidat. Les campagnes télévisées pourraient en outre être modernisées, pour diffuser ces questions à la veille des élections. 

Note : (1) La participation aux Etats-Unis étant chroniquement faible : un record a été atteint en 2012 avec 57,5% lors de la réélection de Barack Obama, contre une participation moyenne aux scrutins présidentiels de 54% entre 1980 et 2008.

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