Compte pénibilité : quand Manuel Valls se résout à simplifier une énième créature de Frankenstein <!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls se résout à simplifier une énième créature de Frankenstein
Manuel Valls se résout à simplifier une énième créature de Frankenstein
©Reuters

Control freak

Alors que le compte pénibilité avait été annoncé indolore pour les entreprises, Manuel Valls est revenu sur cette idée en début d'année 2015, en annonçant qu'elle méritait une simplification, la charge administrative pour les entreprises étant déjà obèse. Un goût certain pour la mise en oeuvre des bonnes résolutions.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Ah, la retraite ! En France, la retraite est à la fois cette période où après avoir filé droit pendant 42 ans, on peut enfin tourner en rond, et ce magnifique sujet polémique qui enflamme les foules entre deux discours présidentiels compassés ou récupérateurs. Et cette année, un nouveau greffon vient s’ajouter aux nombreuses pustules qui encombrent le calcul de cette retraite : le compte pénibilité est né.

Ce fut une naissance dans la douleur.

Comme le rapportaient plusieurs articles de presse, l’introduction du Compte Pénibilité dans les entreprises, dispositif pourtant voté depuis plusieurs mois, aura déclenché quelques belles prises de têtes, bruyamment relayées par un patronat logiquement peu tendre avec le gouvernement, mais disposant tout de même de quelques arguments logiques. Pour rappel, ce dispositif, proposé puis voté dans le cadre des énièmes réformes de la retraite pour permettre au système de Ponzi actuel de durer encore quelques années, devrait permettre aux salariés exposés à des conditions de travail jugées pénibles de cumuler des points, sur un compte personnel, utilisables pour de la formation, pour financer un temps partiel en fin de carrière et, dans certains cas concernant les travaux les plus pénibles, pour partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite. Les petits calculs gouvernementaux, compte-tenu des règles d’applications limpides et faciles à décrypter, montrent qu’un salarié sur quatre serait concerné. Une paille.

Et il est vrai qu’introduire une bonne dizaine de critères pour évaluer la pénibilité, que le faire en deux temps (quatre critères pris en compte dès à présent, et six autres l’année prochaine), que laisser à un autre décret le soin de déterminer plus tard les modalités d’acquisition des points, qu’utiliser deux cotisations distinctes de l’employeur pour abonder au fonds qui servira pour les actions en rapport avec les droits "Pénibilité" ouverts, bref, il est vrai que multiplier les tubulures chromées dans l’usine à gaz paperassière française n’aide pas vraiment à simplifier la charge administrative des entreprises, déjà morbidement obèse en France.

Tant et si bien qu’après un départ sur les chapeaux de roue au premier janvier 2015, et après avoir pu mesurer en vraie grandeur les difficultés rencontrées par les entreprises pour s’accommoder de ce foutoir supplémentaire, zip, zoup, Manuel Valls décide de lancer une grande opération de simplification administrative sur le sujet.

Comme le sujet est d’importance (il ne s’agirait pas que ces enquiquinements administratifs obèrent la magnifique vitalité des entreprises françaises, hein), le chef du gouvernement s’est donné un petit sextuplet de mois (d’ici juin, donc) pour obtenir, de la part d’une de ces missions dont les politiciens raffolent, un rapport qui permettra de dresser l’état des lieux et de prendre de courageuses décisions qui seront entérinées dans la foulées, dans le second semestre de l’année, et probablement d’application en janvier 2016.

Je résume, parce que c’est à la fois très simple et parfaitement illustratif.

Suite à l’absence totale de volonté de toute réforme en profondeur des régimes spéciaux, et d’une remise à plat du régime général pour tenter de le sauver, il a été décidé de bricoler un peu, qui en augmentant les cotisations, qui en accroissant le nombre d’annuités, qui en diminuant les prestations fournies ou les personnes concernées. Comme cela faisait inévitablement grincer les dents d’un électorat dont le gouvernement pleurait déjà amèrement la fuite, il fut décidé, toujours dans la foulée et avec ce manque chronique de toutes gonades, qu’on allait réintroduire par la petite porte des avantages ou des arrondissements d’angles au travers d’un Compte Pénibilité.

Ce procédé, tout nouveau, ne s’appuyant au départ sur aucun texte de loi alambiqué, aucun historique tordu ou aucune habitude ancrée dans les mœurs, aurait pu reposer sur des bases simples, faciles à mettre en œuvre, et peu douloureuses pour les finances publiques de l’édifice social de retraite française. Le gouvernement et les syndicats se sont donc penchés sur le berceau du nouveau-né et l’ont immédiatement tabassé. Le résultat est l’habituelle créature de Frankenstein que tout le monde regarde avec un haut-le-cœur. Résolus à rattraper la tambouille, le gouvernement remet les couverts et, vite, vite, en moins de douze longs mois, proposera des amendements, des exceptions et des alinéas supplémentaires pour simplifier tout ça. Si ça, c’est pas un choc de simplification, qu’est-ce que c’est ?

En réalité, ne voyez dans ce ratage absolument rien d’exceptionnel, et c’est très bien.

Quelque part, cette foirade magistrale est plutôt un signe de « bonne santé » pour un gouvernement qui en a fait sa marque de fabrique. Il suffit pour s’en convaincre de constater que chaque opération, minutieusement préparée par les ministres puis les communicants du gouvernement, a pour le moment abouti à un flop ou une déroute, un abandon en rase campagne ou à une cristallisation négative de l’opinion. Constance dans la nullité ? Incompétence crasse ? Karma pourrissime ? Un peu de tout ça ? Difficile à dire, mais une chose est certaine : quelque chose qui, subitement, réussirait d’un coup à Hollande et son équipe, produirait des effets palpables autres que négatifs, ce serait à la fois de l’inédit et passablement inquiétant.

Pensez-donc : pour le moment, seuls les résultats catastrophiques empêchent notre brochette d’énarques psychotiques de passer la surmultipliée du socialisme triomphant. La moindre lueur d’amélioration marquerait le retour d’un moral à casser les briques à petit coup de mentons vengeurs. Et d’ailleurs, la mobilisation populaire sans précédent en hommage aux victimes des récents attentats, malgré sa récupération turbo-putassière par un appareil d’État frétillant d’aise, a fourni un tel coup de fouet à l’équipe en place qu’elle n’a même pas jugé utile d’attendre pudiquement les enterrements pour appuyer de tout son poids sur le champignon d’accélération des mesures sécuritaires, parfaitement contradictoires avec l’esprit des victimes. Dès lors, on imagine sans mal l’effervescence qui règnerait si, sur un malentendu ou un coup de bol malheureux, une des réformettes entreprises par Hollande virait au succès : nul doute que le pays passerait en mode vénézuélien, avec tout ce que cela suppose.

Il faut donc se résoudre à la médiocrité et aux échecs minables, qui forment une saine barrière aux fougueux élans de socialistes débridés. De ce point de vue paradoxal, le compte pénibilité est un succès puisqu’il a déjà réussi à s’auto-pénibiliser : toute la batterie de personnels impliquée dans son établissement, son calcul et ses conséquences en matière de retraite va probablement endurer plus que d’autres les lubies changeantes de nos politiciens, de l’administration délirante qu’il va falloir mettre en face et devoir gérer.

Pas de doute : en matière d’échec, le compte pénibilité est une réussite.

Article également publié sur le blog d'Hashtable

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