Remboursement de l’IVG à 100% : ce que le gouvernement pense gagner sur le terrain de l’égalité sociale… et ce qu’on perd globalement par le signal envoyé<!-- --> | Atlantico.fr
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Simone Veil, à l'origine de la loi sur l'IVG
Simone Veil, à l'origine de la loi sur l'IVG
©Reuters

Femmes

Alors qu'une journée de soutien était organisée samedi pour les 40 ans de l'entrée en vigueur de la loi Veil, Marisol Touraine a détaillé plusieurs mesures visant à en faciliter l'accès.

Christian Jamin

Christian Jamin

Christian Jamin est gynécologue et endocrinologue. Il exerce actuellement à Paris. Spécialiste de la régulation du traitement hormonal chez la femme, il participe activement aux recherches de nouvelles méthodes de contraception. Il s'implique également dans la prévention de l'IVG.

Il a co-écrit Une nouvelle vie pour la femme, aux éditions Jacob-Duvernet, 2006.

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Atlantico :  L'IVG est totalement remboursé depuis 2013. Est-il réellement nécessaire d'aller plus loin en remboursant l'ensemble de la procédure comme le veut la ministre de la Santé ? Les femmes les plus modestes seront-elles moins dissuadées d'y recourir en raison des coûts que cela ne représente plus ?

Christian Jamin : Tout ce qui va dans le sens de l'amélioration de la santé des femmes est bien évidemment appréciable ainsi la gratuité totale de l’IVG pourrait être considérée comme un progrès. Mais bien entendu on ne peut limiter ce message au remboursement total de l'IVG, les fonds alloués à la santé n’étant pas illimités.

Parlons d'abord de l'accès à l'IVG. Il est très variable d'une région à l'autre et, dans chaque région, les délais varient eux aussi grandement. La majorité des IVG se fait dans les structures publiques ou sociales car les libéraux sont peu nombreux à pratiquer des IVG, médicamenteuses en particulier. Le prix trop bas, 191,74€ alloués aux médecins de ville pour les IVG médicamenteuses, qui inclut à la fois les consultations (2 à 3) et les médicaments, est un facteur délétère majeur qui n’incite pas les libéraux à s'impliquer. Seuls les hôpitaux ont vu leurs tarifs revalorisés récemment. Avant tout, il eut été souhaitable de payer correctement l'acte en ville pour faciliter l'accès à l’IVG : en effet à quoi sert de rembourser d'avantage si l'accès est toujours aussi difficile ?

Second point : l'IVG était déjà pris en charge dans un premier temps à 65% puis récemment (2013) à 100%. Ce qui vient d'être proposé est une prise en charge à 100% des dosages de béta HCG (hormone de la grossesse) et des échographies. Ici, on touche à l’ubuesque. En effet si vous êtes malade, par exemple avec suspicion de grossesse extra utérine, vous devrez payer le ticket modérateur pour vos dosages de béta HCG et vos échographies, alors que ces mêmes examens seront gratuits s’il s’agit d’une IVG ! Les examens nécessaires à la pratique des IVG dans les hôpitaux et les plannings familiaux est déjà pris en charge à 100%, ce qui permet aux plus modestes d’y avoir accès gratuitement (cependant les hôpitaux, pour alléger leur budget, ont tendance à expédier les femmes faire leurs examens en ville où elles paieront le ticket modérateur). Cette gratuité ne peut fonctionner toutefois que si ces centres soient disponibles pour les recevoir, d’où la première partie de mon propos : pour améliorer l’accès à l’IVG, il faut avant tout libérer des places en incitant financièrement les libéraux à « s’y coller ». L’accès à l’IVG est un problème de pluralité des lieux de pratique plus que de coût qui est déjà nul dans de nombreux centres.

L'IVG est bien entendu légale en France mais quel message sa gratuité intégrale envoie-t-elle à la société ? 

La gratuité totale inciterait-elle à pratiquer d’avantage d’IVG ? Probablement pas directement, car les femmes ne décident pas de faire une IVG ou non sur des arguments de coûts, tant ceux-ci sont déjà modestes ou même souvent déjà nuls. En revanche, il est très probable que la gratuité participe à la banalisation de l’IVG.

N'est-il pas contradictoire de rembourser entièrement l'IVG quand les pilules contraceptives ne le sont pas toutes ?

Comme je le disais plus haut, dans le monde des bisounours tout pourrait être gratuit mais il n’en est rien. Il est choquant à mes yeux que les examens nécessaires à la pratique d’une IVG soient totalement pris en charge alors que les mêmes examens en cas de maladie ne le sont pas. Il est non moins choquant que les contraceptifs (pilules et stérilets) dont l’objectif est bien de choisir le moment de sa grossesse et donc de diminuer les IVG ne soient pris en charge à 100% que pour les mineures, les CMU et AME (protection sociale des immigrés en situation irrégulière). Rappelons que récemment ont été déremboursées les pilules de 3 et 4ème génération sur des arguments discutés par certains spécialistes. Ces pilules, utiles à certaines femmes, ne sont pas moins dangereuses (si tant est qu’elles le soient davantage), si la femmes doit les payer. Il aurait été plus simple de revenir sur les bonnes pratiques médicales plutôt que de frapper les femmes au portefeuille. Soulignons aussi que toutes les pilules, quelle que soit leur génération, présentent de faibles risques, et que leur prescription doit obéir aux mêmes précautions, qu’il s’agisse des 2èmes, 3ème ou 4èmes génération, principe mal expliqué et donc insuffisamment compris par les prescripteurs et les utilisatrices. L’utilisation de l’ensemble des contraceptions baisse en France depuis 10 ans. Ce phénomène qui préexiste à la crise récente des pilules a été fortement aggravé par cette dernière. Si les autorités de santé ont de l’argent disponible pour améliorer le contrôle des naissances, il semble qu’il aurait été mieux utilisé à une campagne pour redynamiser la contraception et promouvoir son bon usage.

Cette décision sur la prise charge de la totalité de l’IVG à 100% dans sa globalité est certes utile, mais n’en reste pas moins avant tout une opération militante et de communication.

Selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), le recours à l'avortement répété a légèrement augmenté à partir des années 1995 avant de se stabiliser à la fin des années 2000. En 1970, les IVG répétées représentaient moins d'une IVG sur dix, quand le chiffre s'établissait à deux sur dix en 2000. Comment expliquer ce phénomène ? Concerne-t-il tous les profils de femmes dans les mêmes proportions ?

Il n’existe pas de profil socio-économique de femmes épargnées par le risque d’IVG, en dehors de rares femmes très croyantes. Des travaux innombrables ont cherché à comprendre ce qui incite les femmes à se mettre en situation à risque de grossesse non programmée. Un travail personnel récent, en cours de publication, montre que  20% des femmes sous contraception hormonale orale ont 8 semaines par an de vacance contraceptive. On sait de plus que seules 3% des femmes non stériles hétérosexuelles sans désir de grossesse sont responsables de 30% des IVG. On sait aussi que les femmes les moins éduquées et appartenant aux groupes socio-économiques les plus défavorisés sont celles qui ont le plus déserté la contraception. Les travaux récents montrant cette augmentation des IVG itératives ne sont à ce jour pas suffisamment précis pour  établir avec certitude à quelle catégorie appartiennent ces récidivistes

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