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Mais qui est cette classe moyenne russe que la crise n’empêche pas de remplir les stations de ski françaises ?
©Reuters

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Le comportement des touristes anonymes russes est sans doute plus révélateur de l'état de la Russie car ils représentent une plus grande variété de profils socio-économiques.

Michael Bret

Michael Bret

Michaël Bret est économiste, président de Partitus. Il a travaillé ces dernières années pour le Collège de France, l'Institute for Fiscal Studies de Londres, BNP Paribas à Hongkong, l'OCDE et AXA Investment Managers. Il enseigne à Sciences Po et à l’Inalco.

Son compte Twitter : https://twitter.com/m_bret

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Depuis le coup d'envoi de la saison de ski début décembre, il est fréquent de croiser des Russes dans les stations européennes. Une situation qui peut paraître étonnante au regard de l'état de l'économie russe. Quel est le profil de ces Russes capables de se payer des vacances en France pour les sports d'hiver ?

Michael Bret : Les Russes qui ont les moyens de venir skier en France, en Suisse ou en Autriche sont d'évidence très aisés par rapport à leurs compatriotes. Le salaire mensuel médian est de 21 mille roubles, soit aujourd'hui moins de 300 euros. C'est loin d'un budget de voyage au ski, même au départ de l'hexagone ! Mais la question est très pertinente et va bien plus loin que l'anecdote du tourisme hivernal. Les projecteurs ont été surtout braqués récemment sur les élites économiques russes capables d'acheter des clubs de football ou de disputer aux princes du pétrole, à coups de millions, les plus belles propriétés foncières des capitales ocidentales.

Les sanctions européennes et américaines allaient-elles ruiner des pans de nos économies ou faire s'effondrer les prix de l'immobilier ? Loin des grands titres de journaux, le comportement des touristes anonymes russes est sans doute plus révélateur de l'état de la Russie car ils représentent une plus grande variété de profils socio-économiques. Et finalement, l'industrie du luxe a un peu souffert, mais les biens immobiliers affectés intéressent surtout les émirs et nos milliardaires. L'industrie du tourisme a plus d'impacts directs et indirects sur la société française dans son ensemble.

Florent Parmentier :Le fait de trouver des Russes dans nos stations n’est guère étonnant, si l’on prend en compte la population globale du pays et le niveau des infrastructures touristiques. En effet, ces dernières ont été victimes de sous-investissements chroniques en Russie depuis plusieurs décennies ; c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les Jeux Olympiques de Sotchi ont coûté si chers (outre des soupçons de détournement), compte-tenu des grands travaux effectués.

En outre, de nombreuses élites économiques russes ont déjà une partie de leur famille à l’étranger : dans ces conditions, il est plus raisonnable de prétendre à des vacances dans des stations correctement équipées que de repartir en Russie pour un confort incertain. Ce pays doit encore se doter d’une politique touristique plus ambitieuse en la matière. Pour le moment, les Jeux de Sotchi n’ont pas marqué un tournant à ce sujet.

Si la fréquentation des stations françaises et des lieux de villégiatures du globe par des oligarques russes étaient monnaie courante, depuis quand constate-t-on la présence d'une classes moyenne ? S'agit-il d'un phénomène nouveau ?

Michael Bret : Depuis la fin des années Eltsine, le profil des touristes russes nous rendant visite s'est singulièrement élargi. Un temps réservés à une nouvelle élite ultra-riche, les séjours en Europe de l'ouest sont de plus en plus réalisés par une classe moyenne supérieure et très supérieure qui émerge dans la société russe dans la dernière décennie. Mais ne nous y trompons pas, il s'agit bien d'une population encore extrêmement aisée comparée à la moyenne russe.

Florent Parmentier Par "classe moyenne", il faudrait certainement entendre "classe moyenne supérieure". Il est évident qu’un Russe de la classe moyenne, fonctionnaire ou cadre, n’a pas nécessairement les moyens de passer une quinzaine de jours à Courchevel. Il est néanmoins vrai depuis une bonne dizaine d’années que la clientèle n’est plus seulement cantonnée à quelques familles d’oligarques.

En outre, deux caractéristiques peuvent encore renforcer le phénomène observé dans les prochaines années : d’une part, la relative baisse du prix des transports, facilitant les déplacements de manière générale ; d’autre part, la pratique consistant à échanger des logements pour les vacances peut également attirer des touristes plus occasionnels. Reste à voir si la tension actuelle ne risque pas de provoquer des dégâts dans les relations touristiques qui se sont construites au fil des années…

Dans quelle mesure cette catégorie de la population subie-t-elle les conséquences de la chute du rouble ?

Michael Bret : Puisque les touristes russes ne sont plus exclusivement ceux à l'interface des plus hautes sphères du pouvoir et de l'économie, les intérêts qu'ils représentent se sont diversifiés. Tous sont affectés par la chute du rouble, que ce soit pour leur patrimoine ou leurs revenus. Mais le taux de change n'est pas la fin de leurs maux, car leurs activités en Russie pâtissent du ralentissement économique, et un danger bien plus grand encore pointe avec le tarissement des investissements étrangers en Russie. Les sanctions et les craintes d'un enlisement de la crise géopolitique ont eu leur effet. En revanche, la partie de leur patrimoine ou de leur activité économique libellés en euros reste inchangée, et c'est sans doute une explication de leur présence cet hiver encore. Voire même, un faible rouble leur fait bénéficier d'un léger effet de richesse dans leur pays : si leurs économies sont en euros, ils peuvent acheter plus de bien et services produits en rouble. Mais cela reste assez limité car les biens en Russie sont pour l'essentiel importés donc exactement plus chers.

Un autre facteur explicatif de leur présence est que nous parlons de très hauts revenus. Dans un premier temps, ils consomment toujours autant et épargnent moins. Un changement de comportement de consommation pourrait ne se matérialiser que plus tard si la crise dure longtemps. Affaire à suivre, donc.

Florent Parmentier : La violente chute du rouble n’est perceptible que si l’on possède la totalité de ses avoirs dans cette monnaie. De fait, les Russes résidant déjà pour partie à l’étranger ou ceux qui ont des avoirs placés dans des banques anglaises, suisses ou autrichiennes sont encore largement insensibles à cet effondrement sur le plan économique, tant qu’ils puisent dans leurs réserves en monnaie étrangère. Logiquement également, cela pourrait toutefois devenir un problème à terme, lorsque ces réserves seront épuisées.

A contrario, qui sont ceux en Russie qui paient le prix fort de cette crise ? 

Michael Bret : L'homme de la rue et les petites industries sont sans conteste les grands perdants de cette crise. Le premier voit le prix de la plupart de ses dépenses non alimentaires s'envoler avec l'effondrement du rouble. Les deuxièmes souffrent d'un manque de commerce avec un partenaire commercial et industriel important et d'un manque cruel de financement de l'économie. Tant que les relations russo-ukrainiennes ne se seront pas stabilisées, le tissu industriel si étroitement lié de part et d'autre de la frontière sera dans l'impasse et les échanges russes auront du mal à sortir de l'ornière dans laquelle ils sont coincés : matières premières énergétiques dans un sens, produits manufacturés dans l'autre.

Florent Parmentier : Ceux qui paient le prix fort de cette crise sont ceux qui voient les produits de première nécessité, comme les fruits et légumes, augmenter sensiblement suite à diverses représailles initiées par le gouvernement russe ; le fait de payer ces produits plus chers se fera nécessairement, pour cette catégorie de population, au détriment d’autres produits de consommation.

Certes, à première vue, les classes aisées propriétaires d’actions sont virtuellement beaucoup moins riches avec la baisse de la bourse de Moscou ; toutefois, tant que leurs actions ne sont pas vendues, ils n’enregistrent toutefois pas de pertes. On peut donc en conclure qu’à ce stade, ce ne sont pas les principaux perdants. Ces derniers se comptent aussi parmi les membres de la classe moyenne qui n’ont pas de compte à l’étranger, qui eux subissent la dévalorisation du rouble.

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