De la Corée du Nord au Pakistan, quand le soft power d’Hollywood ne rentre plus comme dans du beurre<!-- --> | Atlantico.fr
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La Corée du Nord a protesté contre une production hollywoodienne : le film "The Interview"
La Corée du Nord a protesté contre une production hollywoodienne : le film "The Interview"
©Reuters

Changement de monde

La série américaine "Homeland" s'est attirée les foudres du Pakistan à cause de la collusion qu'elle donne à voir entre autorités et talibans. La Corée du Nord a elle aussi protesté, mais contre une autre production hollywoodienne : le film "The Interview". De quoi se demander si la puissance du soft power américain est toujours d'actualité.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Le soft power du XXIe siècle

Au fond, il s’agit d’identifier le soft power du monde global et interconnecté du XXIe siècle qui ne sera pas forcément – loin de là – le monde américain.

Rappel historique

Redéfinissons d’abord le terme soft power, dont le droit d’auteur appartient au géopoliticien américain Joseph Nye. Dans mon esprit et en synthèse, cela signifie l’irrésistible attractivité d’un exemple pacifique (à la différence du hard power qui désigne le pouvoir des armes et des muscles), qui interpelle, inspire et in fine change en mieux l’Humanité, indépendamment des différences ethniques et socio-culturelles.

Or si le terme est entré dans le vocabulaire géopolitique récemment, ses origines remontent loin dans l’Histoire globale, en la rythmant souvent en binôme avec le hard power.

Ainsi, les conquêtes militaires d’Alexandre le Grand au IVe siècle avant JC étaient précédées, préparées, accompagnées, conceptualisées par les idées du philosophe Aristote qui fut son « coach » intellectuel.  Ensuite, si le hard power de Saint Louis (Louis IX) étaient ses croisades sur fond de démonstration de la force militaire, le génie de son soft power s’est exprimé à travers sa création de la Sorbonne, en d’autres termes, le prototype d’une éducation transcendant les frontières, rapprochant les peuples et préparant un avenir meilleur, et ce, en cette époque, depuis le rayonnement du quartier parisien autour de ce nouveau foyer de culture, qui a reçu le nom du Quartier Latin, en référence à la seule langue commune que parlaient ses habitants (si l’on transplantait, avec beaucoup d’imagination, une telle situation sur l’époque contemporaine, ce quartier s’appellerait aujourd’hui « anglais », ou plutôt « américain » à cause de l’actuelle langue globale).

Continuant ce survol de l’Histoire, le soft power de la Renaissance fut incontestablement la diffusion, à l’échelle planétaire, au milieu du XVe siècle, de l’imprimerie qui a éclipsé les manuscrits, en envoyant par ricochet au chômage des armadas de scribes, ayant perdu leur raison d’être. Trois siècles plus tard, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la physionomie de l’Humanité a été métamorphosée par le soft power de nouvelles inventions technologiques, connues sous le nom de la première révolution industrielle (machine à vapeur, flying shuttle dans le textile, le train, la Bourse, etc.) et aussi, bien entendu, par la puissance des idées des Lumières, qui ont proclamé l’universalité des droits humains.

Au début du  XIXe siècle, le Code civil de Napoléon (soft power) était l’étendard civilisationnel de ses conquêtes militaires (hard power). Alors qu’à la fin du même siècle, le cortège de nouvelles percées technologiques, ayant l’attractivité pacifique globale, sur la vague de la deuxième révolution industrielle (téléphone, électricité, automobile, avion, photographie, etc.) n’a pas empêché les terribles excès du hard power échappant à tout contrôle : la Première et la Deuxième Guerres mondiales.

En revanche, l’impact du soft power s’est révélé décisif pendant la guerre froide (1945 – 1989), qui a été gagnée par les Américains non seulement en raison de leur puissance militaire, mais aussi et sans doute surtout grâce à la formidable attractivité de ses « idées simples »  (selon l’expression d’Alexis de Tocqueville) : Coca Cola,  bleue jean, rock, twist, les films de Hoolywood, Disney, etc. qui pénétraient les esprits de ceux qui étaient censée combattre « l’impérialisme américain » de l’autre côté du rideau de fer.

Mise à jour du soft power aux réalités du monde contemporain à l’ère de la globalisation

A la lumière de ce rappel historique, une question lancinante se pose actuellement à nous tous, en ce début de l’année 2015 : quel sera le soft power du XXIe siècle ? D’où viendra-t-il ? Y a aura-t-il un pays en particulier, qui l’incarnera, ou il sera diffus, transnational, bref - global dans le monde global, sans autres frontières que celles qui subsistent dans la tête des gens qui refusent d’évoluer ?

J’entends par là le soft power comme équivalent d’un rêve partagé par la quasi-totalité de la population de la planète, et non les nouvelles technologies d’information et de communication (cutting edge technologies) qui sont vite devenues absolument, banalement accessibles à tout le monde et partout, et par conséquent, ne représentent plus, à mon avis, l’unicité d’une promesse de rêve qui confine au miracle. Qui accompagnent notre "race to the top", le cheminement vers notre bonheur.

Les récentes réactions de rejet, souvent irrationnellement violentes, disproportionnelles aux films américains dans les pays autoritaires, cloisonnés, liberticides (celle du Pakistan et du Liban à la série Homeland, celle, très médiatisée, de la Corée du Nord à la comédie burlesque The Interview),  - et je suis sûr que d’autres « affaires » de ce genre viendront vite compléter cette liste - prouvent a contrario la vitalité du rêve américain qui survit et se renouvelle en ce début de nouveau millénaire, et ce, même malgré le reflux d’influence des Etats-Unis sur l’arène géopolitique, orphelins d’un véritable projet global à long terme (à la différence de la situation pendant la guerre froide où l’Amérique fut la championne du monde libre face au danger communiste), faute de moyens et aussi d’envie de l’ancien unique « gendarme de la planète », dont le hard power s’ébrèche, en ce début du XXIe siècle, en raison de ses difficultés économiques internes et du total changement de paradigme géostratégique.

La liberté individuelle, la quintessence du modèle américain, comme un nouveau soft power, réinventé dans le monde global du XXIe siècle

Quelle est la raison fondamentale de cette étonnante vitalité du soft power américain ?

Pour mieux la comprendre, il faut rappeler que l’un des clivages clés du monde contemporain passe par la dichotomie entre la démocratie (à savoir – la reconnaissance du fait que la seule légitimité qui vaille en politique c’est la légitimité électorale dans le strict cadre de la Loi claire et transparente, précédée par un débat réellement contradictoire sur la place publique et confirmé, après un acte d’élection, par le permanent fonctionnement du système de contre-pouvoirs, questionnant et mettant en cause le pouvoir élu (checks and balances) et l’autocratie (à savoir – un modèle de fonctionnement politique où un groupe de personnes ou une personne s’arroge le droit de détenir le monopole du pouvoir décisionnel, au nom d’une idéologie comme la Chine, et d’une certaine vérité historique, le plus souvent à coloration nationaliste, religieuse, quasiment messianique comme la Russie et la Turquie, et ce, sans aucune contradiction – opposition – alternative valables).

La particularité du moment présent réside dans le fait que les autocraties semblent avoir, pour l’instant, le vent en poupe, en bénéficiant d’une dynamique économique (Chine, Turquie), alors que l’économie, déjà globale,  peut, aujourd’hui, être provisoirement découplée de la politique, qui reste nationale. En revanche, les démocraties, elles, souffrent de l’atonie en économie (absence ou mollesse de croissance) et de la paralysie de leurs systèmes politiques et institutionnels, victimes de leurs propres complications et contradictions, à l’instar d’un Gulliver empêtré par lui-même.

Or, fondamentalement, les autocraties tiennent leur actuelle progression économique à l’imitation (et parfois au perfectionnement et à l’adaptation aux impératifs du moment) des recettes intrinsèquement occidentales qui découlent du mode de fonctionnement de l’Occident, inconcevable sans la liberté et la dignité individuelles. Mais à plus long terme, il est évident, à mes yeux, que la condition sine qua non de la créativité et de l’innovation, les seuls carburants valables de l’excellence économique pérenne, inscrite dans la durée, reste la liberté individuelle, et cette dernière constitue la quintessence même des Etats-Unis, dès la genèse de ce pays et jusqu’à nos jours. Je récapitule : la liberté individuelle comme le nouveau soft power, réinventé dans le contexte de la globalisation en cours (nexus of people, places and ideas) un véritable changement de monde, dont l’ampleur n’est comparable qu’avec celle de la Renaissance (cf. mon EBOOK « Reconnecter la France au monde. Globalisation, mode d’emploi », édité par Atlantico - Eyrolles, mai 2014) !

La liberté individuelle qui reste un objectif inatteignable (bien qu’indispensable pour l’évolution économique partout dans le monde et fortement désirées, souvent non-négociables pour les nouvelles générations, Millenials, à l’échelle planétaire) dans les régimes autocratiques, qui continuent à brider l’épanouissement de l’individu au nom d’un prétendu « projet national », véhiculé d’un haut. Une pollution, une aberration, la myopie voire la cécité conceptuelle qui mène, inexorablement, à un repli sur soi, et donc à une impasse suicidaire dans le monde global du XXIe siècle.

L’autre option du soft power du futur : la réinitialisation de la notion de travail comme source d’épanouissement, sur le chemin du bonheur

Parallèlement à la liberté individuelle (une idée éternellement neuve), l’autre facette du soft power du futur pourrait être la réinitialisation de la notion de travail, celle-ci étant actuellement dramatiquement dévalorisée dans la plupart des pays occidentaux tentés, par le mirage d’une improbable « civilisation de loisir », qui ne déplairait pas à Karl Marx qui rêvait d’une société « sans classes et sans division du travail », où les ouvriers pourraient « faire, à leurs heures libres, de la peinture et de la musique », et où tout le monde pourrait « chasser le matin, pêcher l’après-midi, pratiquer l’élevage le soir, faire de la critique littéraire après le repas, selon son bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique littéraire ».

Actuellement, ce mirage, cette exaltation d’une « civilisation de loisirs », d’inspiration archaïquement marxiste, débouche, en réalité, en Occident, sur une économie qui stagne, tirée vers le bas par la mentalité d’assistanat et le chômage systémique. Qui verrouille l’avenir de ses jeunes générations, ou lieu de le leur ouvrir.

Non, le vrai travail, au sens initial de ce terme, un travail, à l’origine de la race to the top individuelle, au service de la société, un travail qui ouvre la perspective d’avenir, n’est pas une annexe des loisirs, ou une sorte de hobby arbitraire. Ce n’est non plus une souffrance, ni une punition. Le travail, dans cette vision que je propose, est une étape indispensable sur un long cheminement de chaque individu vers sa profonde vocation et son épanouissement (fulfulment).

J’entends par là un travail productif, constructif, qui occupe l’essentiel de notre temps disponible, dans le cadre d’un contrat social. Un travail qui fait sens, qui donne du sens à la vie. Qui ouvre toujours un nouvel horizon. Qui – n’en déplaise à Karl Marx – désaliène l’individu et libère l’énergie créatrice de l’Etre Humain.

Vu sous cet angle,  la Chine, l’autre (avec les Etats-Unis) potentiel géant du XXIe siècle, qui fonde son succès sur le travail, pourrait offrir au monde un nouveau soft power, au rayonnement universel, sans jamais oublier que ce tropisme chinois (et d’une façon plus générale, asiatique) pour le travail – au sens que je lui donne – entrerait, logiquement, à plus longue échéance, en contradiction avec son actuel système politique rigide,  basé sur un simulacre idéologique (communiste), auquel même ses apôtres patentés ne croient pas.

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