Comment l’air de rien, le gouvernement est en train de mettre en place l’impôt sur la nationalité sans même passer par la case Parlement<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale vient de donner son feu vert le 8 décembre pour une ratification de la convention fiscale entre la France et Andorre.
L'Assemblée nationale vient de donner son feu vert le 8 décembre pour une ratification de la convention fiscale entre la France et Andorre.
©Reuters

Déni de démocratie

L'Assemblée nationale vient de donner son feu vert le 8 décembre pour une ratification de la convention fiscale entre la France et Andorre, permettant d'imposer les ressortissants nationaux qui y demeurent. Et si elle ne s'applique aujourd'hui qu'à une principauté, sa conception juridique laisse entendre qu'elle pourrait à l'avenir s'appliquer à n'importe quel pays.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Maître Thomas Carbonnier est Avocat et coordinateur pédagogique du DU Créer et Développer son activité ou sa start-up en santé au sein de l’Université Paris Cité (issue de la fusion Paris 5 et Paris 7). Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Dans quelle mesure cette clause pourrait-elle avoir des conséquences plus vastes sur l'ensemble des Français résidant à l'étranger ?

Thomas Carbonnier : La Principauté, déchue de son statut de paradis fiscal depuis 2009, a conclu sa première convention fiscale conclue avec la France en avril 2013.

Selon l’article 25 (d) de la convention : "la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidents d’Andorre comme si la présente Convention n’existait pas. Lorsque la législation fiscale française permet l’application de la présente disposition, les autorités compétentes des États contractants règlent d’un commun accord la mise en œuvre de cette dernière".

L’objectif est de permettre à la France de taxer ses nationaux résidents d’Andorre sans tenir compte des stipulations de la convention. Cette forme de taxation ne sera toutefois applicable que lorsqu’une disposition de droit interne permettra d’imposer les personnes sur le fondement de la nationalité.

En effet, actuellement, l’article 4 du Code général des impôts français fixe des critères de l’imposition en France des personnes physiques sans faire référence à la nationalité française. Les critères sont la présence en France d’un foyer, le lieu de séjour principal, le lieu de l’exercice d’une activité professionnelle et le centre des intérêts économiques.

Lorsque ces critères ne sont pas suffisants pour permettre le rattachement fiscal d’un contribuable à un pays, le droit fiscal international peut avoir recours au critère de la nationalité. En pratique, le recours au critère de la nationalité est rarement nécessaire.

Peut-on considérer que le gouvernement est en train de faire passer en catimini un impôt sur la nationalité ?

Le 8 décembre 2014 lors de la discussion en séance publique du projet de loi autorisant l’approbation de cette convention fiscale, Madame Annick Girardin, Secrétaire d’État au Développement et à la Francophonie, a pris l’engagement au nom du gouvernement actuel de ne pas créer l’impôt sur la nationalité.

Toutefois, comme le souligne très justement Madame Claudine Schmid, députée des français de Suisse et du Liechtenstein, "le gouvernement  refuse d’ouvrir des négociations pour supprimer la clause permettant l’application de l’impôt sur la nationalité quand il sera voté par le parlement. On est donc en droit de s’interroger sur sa volonté réelle et surtout sur la pérennité de cet engagement pour les gouvernements futurs".

Comment pourrait-on passer d'une clause ne concernant qu'Andorre à ce nouveau principe de fiscalité ?

Le rapport présenté par la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale le 15 octobre 2014 est particulièrement explicite sur le sujet. Selon ce rapport, "l’Andorre laisse la porte ouverte à une évolution de la fiscalité française qui aurait pour objet d’imposer les personnes de nationalité française sur ce seul critère, quel que soit le lieu de leur résidence fiscale et de la source de leurs revenus". Selon les termes de la convention, la France pourrait alors imposer ces personnes "comme si la présente Convention n’existait pas". La convention ne serait donc pas un facteur bloquant à la mise en place de cette fiscalité nouvelle.

D’après le Gouvernement, l’insertion de cette clause serait proposée à l’ensemble des partenaires avec lesquels il négocie une convention. Il s’agirait de préserver la marge de manœuvre au pays pour le cas où il déciderait de mettre en œuvre ce type de fiscalité… !

Dans de telles conditions, comment l’exception ne pourrait-elle pas très vite devenir un principe ?

Au moment où cette clause a été discutée, la principauté d'Andorre ne disposait pas encore de fiscalité directe sur les revenus, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Dans ce cas, qu'est-ce qui justifie encore la présence de cette clause ?

La convention comporte quelques adaptations au modèle proposé par l’OCDE. Ces adaptations tiennent compte de la structure du système fiscal andorran, caractérisé par l’absence de fiscalité dans certains domaines.

Ainsi, la qualité de résident andorran est reconnue aux personnes physiques qui séjourneraient en Principauté plus de 183 jours par an, ou y auraient le centre de leurs intérêts économiques, ou y exerceraient leur activité professionnelle principale, sans toutefois y être imposées sur l’ensemble de leurs revenus.

Cette clause particulière viserait tout simplement à rendre la convention applicable en Andorre, dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, en janvier 2015. En effet, dans l’intervalle, le critère de résidence défini à l’article 4 ne serait pas pertinent, dans la mesure où il reposerait sur l’assujettissement à l’impôt.

Pour faire court, cette clause devrait être d’application limitée, étant donnée l’entrée en vigueur de l’impôt sur le revenu andorran (reportée jusqu’en 2018 dans certaines situations).

Quels sont les autres pays imposant leurs ressortissants vivant à l'étranger ? En quoi la disposition de cette convention est-elle différente ?

Si l’article 25 d de la convention conclue avec l’Andorre ne devrait pas provoquer de révolution fiscale dans l’immédiat, cette situation n’est pas sans rappeler la convention fiscale conclue avec le Monaco dont objectif a toujours été de taxer les Français résidant à Monaco (et non le contraire… je vous laisse le soin d’en deviner les raisons !).

C’est une sorte de mur de Berlin qui sépare la France et Monaco. Il y a d’un côté, la France, un pays qui prône une plus grande liberté de circulation de personnes et des biens dans un espace géographique appelé Europe mais qui, de manière totalement contradictoire, met en place une fiscalité liberticide : le contribuable est prié de payer ses impôts en France à tout prix. De l’autre, un pays qui offre une fiscalité paradisiaque pour attirer les capitaux et les élites en vue d’assurer le développement d’emplois pérennes.

Bien entendu, certains répliqueront que les citoyens américains sont également taxés suivant le critère de la nationalité. Si le principe est vrai, il mérite toutefois d’être nuancé puisqu’il est en réalité très théorique. En pratique, beaucoup d’exceptions permettent d’échapper à l’application pleine et entière de ce principe. Ainsi, pour un citoyen américain, les premiers 95 000 dollars du salaire d'un citoyen américain résidant à l'étranger sont exclus de l’impôt sur le revenu américain ! Tout revenu au-delà de cette somme est imposable par fiscal américain, sauf si l'impôt du pays où réside le citoyen est supérieur.

Un citoyen n’ayant un revenu que de 95 000 dollars peut vivre de manière très confortable dans la quasi-totalité des pays du monde et échapper à l’impôt sur le revenu américain. De surcroît, peu de pays proposent une fiscalité plus légère que les USA. Il s’en déduit donc que le système américain imposant ses ressortissants selon le critère de leur nationalité vise uniquement à éviter des abus et non à les empêcher de changer de pays.

En définitive, la France poursuit son chemin de privation lente, discrète et progressive de liberté vis-à-vis de ses citoyens, probablement en raison d’une idéologie forte. Pauvre France.

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