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L’Aube… ou la nuit : ce que le FN réussit à offrir aux sympathisants PS en perdition.
L’Aube… ou la nuit : ce que le FN réussit à offrir aux sympathisants PS en perdition.
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Du PS au FN

Après l’Oise, le Lot-et-Garonne, le Nord, c'est au tour de l’Aube d'avoir vu le Parti socialiste éliminé au premier tour des élections législatives. Déboussolés par une carence en leadership et une idéologie bousculée par la réalité économique, les ex-électeurs socialistes se tournent vers l'abstention... voire le vote FN.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Quels messages ont voulu adresser les électeurs lors de l'élection législative partielle dans l'Aube, alors que le second tour verra s’affronter le FN et l’UMP ? Qu’est-ce que traduisent ces signaux envoyés ?

Jean-Philippe Moinet : Le parti au pouvoir, le PS, est d’autant plus en déroute que ces élections, partielles ou intermédiaires, sont sans enjeu national. La bouderie est nationale, l’abstention massive, ce qui laisse naturellement un espace supplémentaire au vote protestataire extrême. Le PS paie le manque de résultats sur le premier sujet de préoccupation nationale : le chômage. Après un discours socialiste, de la campagne de 2012, qui berçait les Français d’illusions sur des droits sociaux sans cesse extensibles, les temps du réalisme politique s’est vite imposé. Sans que des résultats tangibles n’apparaissent. Le signal, dans une anémie civique malheureusement assez répandue, c’est que la protestation populaire monte : le FNPC  - posture frontiste alliée à une idéologie de type contre-système nationaliste, faite de social et d’interventionnisme – ramasse la mise alors que la gauche social-démocrate peine à mobiliser. Le signal est qu’en temps de crise, de bouleversement des repères et d’échecs des politiques publiques sur le front de la croissance et de l’emploi, le "gaucho-lepénisme" (concept étudié par le politologue Pascal Perrineau) prospère.

L’abstention a été particulièrement forte lors du premier tour, dépassant les 75 %. Qu’est-ce qui fait que certains électeurs de gauche se réfugient derrière le vote FN tandis que d’autres choisissent l’abstention ?

La déception. Les déçus de la gauche au pouvoir cherchent, pour partie, une issue de secours, idéologique et électorale. Ils ne sont pas tous convaincus par l’offre politique concurrente, ils se réfugient souvent dans l’abstention (qui a été très forte aussi aux élections européennes), et certains sont tentés de faire entendre leur protestation en utilisant, sans conséquence majeure, un vote transgressif mais aussi banalisé, et qui attire les couches les plus populaires de la population, ouvriers et chômeurs.

Comment expliquer qu’une partie de l’électorat socialiste se tourne désormais vers le vote FN, alors que près d’un électeur sur dix de François Hollande s’était déjà reporté sur le vote FN lors des européennes ?

La gauche du PS, tentée par les thèses protectionnistes et "souverainistes", à la manière de "démondialisateur" Montebourg, est à la fois en perte de vitesse et en manque de leader. Le discours social de Marine Le Pen, qui concurrence Jean-Luc Mélenchon et les gauchistes du PS, a sans doute un certain écho. La démagogie, en temps de crise, a d’ailleurs toujours un certain écho, et il faut y prendre garde : quand le social rejoint le national, le cocktail idéologique peut devenir dangereux. Mais un peuple en souffrance, écoeuré aussi par ce qu’il voit de la politique avec des affaires à répétition, est prêt à se tourner vers une alternative au "système en place", et parfois à basculer dans un discours à la fois social, autoritaire et xénophobe.

Quels sont les thèmes et les propositions du FN qui suscitent un attrait chez les sympathisants de gauche ? En quoi peut-on dire que ces attentes notamment en matière d’emploi ne sont pas suffisamment prises en compte par le gouvernement ?

Dans le discours du FN, ce qui peut plaire à un électorat de la gauche de la gauche, c’est la phraséologie anti-"mondialisme", anti-capitaliste, et anti-européenne de parti d’extrême droite. Ses propositions prônant par exemple une hausse du Smic et des bas salaires (sans dire comment ces augmentations seraient financées, par les entreprises déjà en difficulté) ont un certain écho à gauche. Tout comme la démagogie lepéniste consistant à dire que la retraite à 60 ans pourrait être rétablie. Comme, en France, une partie de l’électorat continue à se bercer d’illusion sur l’éternité du "modèle social Français", le FN entretient cette culture étatiste et socialiste, au sens traditionnel du terme. En outre, le FN, quand il se pose en défenseur des "sans grades", des "petits contre les gros",  parle à une frange de la population qui pense que toutes les élites (économiques, politiques et médiatiques) profitent de leurs positions dominantes sur un peuple qui souffre. C’est ce qui fait le succès du populisme social et national.

Selon un sondage Ifop pour Atlantico publié en mai dernier, 22 % des ouvriers et employés considèrent que le FN est le parti le plus efficace en matière de justice sociale, plus que toute la gauche réunie (voir ici). Comment expliquer ce basculement spécifique de l’électorat historique de la gauche vers un vote FN pourtant souvent analysé comme une sensibilité très forte aux thématiques de la sécurité et de l’immigration ?

Les deux dimensions, justice sociale d’une part, sensibilité sécuritaire et anti-immigration d’autre part, ne sont pas contradictoire dans l’esprit d’une part de la population qui, en temps de crise, souhaite précisément que justice soit faite en érigeant des barrières et des frontières. Ce sont d’ailleurs souvent les populations socialement défavorisées qui sont confrontées aux problèmes d’insécurité, d’incivilités et qui estiment que l’étranger peut devenir une menace. Quand le sentiment de justice sociale passe par la xénophobie, cela peut conduire à de graves tensions. L’objectif de l’extrême droite est aussi d’instrumentaliser ces tensions, de jouer sur les peurs, pour progresser dans les esprits, et les urnes. Cet engrenage là est redoutable, si face à cela l’indifférence civique progresse.

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