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La prescription d'antibiotiques en France serait supérieure de 41 % à la moyenne européenne.
La prescription d'antibiotiques en France serait supérieure de 41 % à la moyenne européenne.
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Selon un rapport de l'OCDE publié mercredi 3 décembre, la prescription d'antibiotiques en France serait supérieure de 41 % à la moyenne européenne, une situation "préoccupante" selon l'organisation.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : La résistance aux antibiotiques en France est-elle en augmentation ? La situation est-elle réellement préoccupante ?

Stéphane Gayet : D’une façon générale, on consomme beaucoup de médicaments en France, en comparaison des autres pays européens. Il est difficilement concevable de sortir d’une consultation d’un médecin sans aucune prescription médicamenteuse ; ce qui est moins le cas dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ce consumérisme médicamenteux a plusieurs facteurs : une offre riche, le remboursement, des prix bas et des habitudes sociétales, elles-mêmes liées aux autres. Cette tendance se retrouve avec les antibiotiques. Or, la résistance des bactéries aux antibiotiques ou « antibiorésistance » est essentiellement liée à la « pression de sélection ». Il faut bien distinguer l’antibiorésistance acquise de l’antibiorésistance naturelle (nous utiliserons le mot résistance par commodité). Une bactérie est identifiée par son genre (ex : Staphylococcus ou staphylocoque), son espèce au sein du genre (ex : aureus ou doré) et enfin ses caractères individuels qui la distinguent au sein de l’espèce (ex : souche n°…). Une souche (ou clone) est constituée d’éléments ou individus bactériens identiques. Chaque espèce bactérienne résiste naturellement, avant tout processus de sélection, à certains antibiotiques : on parle de « résistance naturelle » qui est le tronc commun de toutes les souches d’une même espèce. De temps à autre, au sein d’une population bactérienne, va émerger un individu radicalement différent, résultant d’une mutation. Ce nouvel élément sera éliminé par les autres ou le milieu si ses nouveaux caractères sont néfastes. Il s’imposera parmi les autres si au contraire ses nouveaux caractères sont avantageux. C’est ce qui se produit avec les antibiotiques : dans une population bactérienne, apparait de temps en temps un mutant qui résiste à un antibiotique A ; il sera éliminé, à moins que le milieu ne soit imprégné de cet antibiotique A, auquel cas il survivra quand les autres seront tués par l’antibiotique A auquel ils sont sensibles. On est en quelque sorte passé de la sélection naturelle à la sélection artificielle, ici médicamenteuse.

Dès lors, le niveau de résistance bactérienne d’un pays reflète les habitudes de prescription et de consommation antibiotiques de ce pays ; du moins d’un point de vue schématique, car des facteurs supplémentaires peuvent intervenir, comme les manquements en matière d’hygiène microbienne qui facilitent la diffusion interpersonnelle des souches bactériennes résistantes. Toujours est-il que la France figure parmi les pays européens qui ont une résistance bactérienne assez élevée. Mais il convient d’apporter trois nuances : primo, la France a mis en place une surveillance très rigoureuse des bactéries résistantes, ce qui n’est pas le cas de tous les pays européens ; secundo, ces données sont en évolution et il faut considérer les tendances ; tertio, il faut encore faire une distinction selon les espèces bactériennes. Ainsi, la résistance augmente chez certaines espèces, mais diminue fort heureusement chez d’autres. La situation est certes préoccupante, mais les autorités de santé, les experts et de nombreux professionnels de soins sont mobilisés depuis des années pour œuvrer afin de lutter contre ces différentes résistances bactériennes. La lutte contre la résistance des bactéries aux antibiotiques est l’une des priorités de santé publique en France depuis plus d’une décennie.

Pour quels types de bactérie la résistance a-t-elle augmenté ? Pour lesquels a-t-elle diminué ?

Sur le plan dynamique, on constate en effet une augmentation d’année en année de la résistance des entérobactéries (bactéries entériques : présentes au sein de la flore colique ou flore du colon, comme par exemple le colibacille ou Escherichia coli et la klebsielle ou Klebsiella pneumoniae) aux céphalosporines dites de troisième génération (C3G, antibiotiques apparentés à la pénicilline et parmi les plus utilisés en milieu hospitalier : médicaments injectables et coûteux). Ce type de résistance qui croît est lié au fait que ces souches dites multirésistantes (bactéries multirésistantes ou BMR) sécrètent des enzymes qui inactivent certaines céphalosporines. La pénicilline, plutôt les pénicillines, comme les céphalosporines, appartiennent à la famille des bêta-lactamines, l’une des grandes familles d’antibiotiques. Ces entérobactéries très résistantes aux antibiotiques le sont donc essentiellement par production de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE, enzymes qui inactivent de nombreuses bêta-lactamines, dont bien des céphalosporines). Il faut avouer que ce phénomène s’aggrave plus en France que dans d’autres pays européens. Toutefois, avec d’autres mécanismes de résistance des entérobactéries, l’évolution française est moins défavorable : il s’agit des entérobactéries produisant une carbapénémase ou EPC (les carbapénèmes étant des antibiotiques très haut de gamme, proches des pénicillines et céphalosporines, réservés à l’usage hospitalier : fort coûteux et injectables). On observe en effet que les EPC sont en France nettement moins fréquentes et en fréquence plus stable qu’à Malte, Chypre, qu’en Roumanie, Italie et Grèce.

Enfin, la résistance à la méticilline (pénicilline étalon anti-staphylococcique utilisée uniquement en laboratoire et non en thérapeutique) chez Staphylococcus aureus (staphylocoque doré) et la pseudo résistance (simple baisse de la sensibilité) à la pénicilline de base chez Streptococcus pneumoniae (pneumocoque) diminuent depuis plusieurs années. Mais, s’agissant de la première, la diminution observée en France est moins importante que celle que l’on enregistre dans d’autres pays européens.

Comment éviter de développer des résistances ?

On a longtemps banalisé la prescription et la consommation des antibiotiques, qui sont pourtant des médicaments non anodins. Il convient de rationaliser leur recours. Tout état fébrile n’est pas d’origine infectieuse, toute infection n’est pas de nature bactérienne et toute infection bactérienne ne nécessite pas un traitement antibiotique. Considérés pendant plusieurs décennies comme des médicaments que chaque médecin pouvait aisément maîtriser, les antibiotiques doivent à présent faire l’objet de nombreuses précautions, au même titre que d’autres médicaments dangereux. Le fait d’associer deux antibiotiques dans les tout premiers jours d’un traitement, pour ne poursuivre après qu’avec un seul, la prescription de doses assez fortes et pendant une durée suffisante (mais beaucoup de personnes arrêtent leur antibiotique dès qu’elles se sentent mieux, grave erreur), ainsi que l’arrêt net, non progressif, du traitement, sont des mesures qui peuvent réduire les résistances.

Toutefois, on relèvera que certaines de ces mesures (bithérapie en tout début de traitement, doses assez fortes, durée suffisante) vont dans le sens d’une augmentation du coût de l’antibiothérapie et éventuellement de ses effets secondaires non bactériens (effets indésirables sur divers organes).

Les prescriptions médicales sont-elles les seules responsables ? Quels sont les autres facteurs entrant en ligne de compte ?      

On s’est trop longtemps focalisé sur la responsabilité des antibiotiques prescrits et consommés en médecine, en occultant tous ceux qui sont dans nos aliments. Or, la grande majorité des animaux d’élevage reçoivent des antibiotiques dont une grande partie ne sera pas détruite par la cuisson et par conséquent sera retrouvée dans notre assiette. L’exemple le plus frappant est celui des volailles qui font l’objet d’un élevage intensif en grande promiscuité : elles sont systématiquement traitées par de fortes quantités d’antibiotique, souvent des cyclines (famille d’antibiotiques), cela en raison de leur grande vulnérabilité individuelle et collective (risque d’épidémie). Il faut également parler des facteurs de croissance non hormonaux : des médicaments non hormonaux ont un effet anabolisant et sont administrés pour cette raison aux animaux d’élevage. Or, certains d’entre eux ont une action antibiotique qui est dans ce cas un effet secondaire, collatéral. C’est l’occasion d’affirmer que tout médicament allopathique a plusieurs effets : l’effet thérapeutique qui est celui recherché, motif de l’administration, et les effets secondaires, collatéraux, qualifiés d’indésirables. Un exemple typique est constitué par l’aspirine : elle soulage les maux de tête mais favorise les saignements. À propos des antibiotiques ou des produits à effet antibiotique se trouvant dans nos aliments, il faut savoir que les poissons d’élevage ne sont pas épargnés. C’est un argument en faveur des végétariens.

Si l’apport antibiotique provenant des animaux a été longtemps laissé dans le silence et méconnu du grand public, il faut quand même préciser qu’il existe aujourd’hui un plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire. En médecine humaine, le premier plan de ce type date du début des années 2000, alors qu’en médecine vétérinaire, il date du début des années 2010 : un retard d’une dizaine d’années a donc été pris par rapport à la médecine humaine.

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