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Les PME (et leurs salariés) sont les grandes sacrifiées du dialogue social français.
Les PME (et leurs salariés) sont les grandes sacrifiées du dialogue social français.
©Reuters

Plus simple, on vous dit !

Si la semaine de mobilisation du patronat vise à mettre en lumière les obstacles que rencontrent quotidiennement les entrepreneurs, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Et entre le monde des grandes entreprises et celui des PME, les intérêts sont au mieux différents, le plus souvent divergents.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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  • La France est un pays composé majoritairement de PME, puisque seules 2000 entreprises emploient plus de 500 personnes ;
  • Le Medef est principalement composé de patrons issus des mêmes grandes écoles que les responsables politiques, ce qui entretient à la fois une porosité entre les deux milieux et un manque de représentativité ;
  • Les grandes entreprises ont un taux d'imposition significativement plus faible que les PME ;
  • Les PME sont moins bien armées que les grandes entreprises pour faire face à l'empilement des réglementations.

Atlantico : Le Medef, qui participe largement à la semaine de manifestations des patrons, a pourtant accepté, bon gré mal gré, les propositions du gouvernement sur le compte pénibilité et le temps partiel, des dispositifs qui sont quasi inapplicables par les PME. Pourquoi le dialogue social mené par les représentants des patrons ne défend-il que les intérêts des grosses entreprises françaises, alors que la France est surtout un pays de PME ?

Frédéric Fréry : La France est effectivement un pays de PME puisque seules 2000 entreprises emploient plus de 500 personnes. Il y a donc deux mondes qui s'ignorent, et qui ont une très faible perméabilité. Si vous regardez par pays, parmi les 100 plus grosses entreprises, lesquelles ont moins de 30 ans, vous en avez 63 aux Etats-Unis, 9 en Europe et en France, seulement… une (Free, en l'occurrence). Les petites entreprises, en France, ont beaucoup de mal à devenir des "entreprises de taille intermédiaire", là où se crée pourtant le plus de richesses. L'autre incompréhension, c'est quand on entend des ministres de l'Economie dire que "si 2 millions d'entreprises embauchaient au moins une personne, le problème du chômage serait largement réglé". C'est évidemment idiot, car une entreprise unipersonnelle peut difficilement embaucher une autre personne. Et à l'inverse de ce qui se passe aux États-Unis, il n'y a pas de volonté de communiquer sur la possibilité qu'une petite entreprise puisse devenir grande. Par exemple, je n'ai jamais entendu en France quelque chose comme "une entreprise sur 40 000 devrait embaucher 40 000 personnes". Quand un jeune entrepreneur français souhaite créer une entreprise, il rêve au maximum d'embaucher 200 personnes…

L'intérêt de l'Etat pour les grandes entreprises s'explique ensuite, assez naturellement, par une forte proximité sociale et culturelle. A 99%, les dirigeants des grandes entreprises françaises proviennent des grandes écoles, comme les ministres ou les hauts fonctionnaires. On retrouve donc une "consanguinité" qui génère une porosité. On voit bien que quand un haut fonctionnaire ou un politique se retrouve dans une entreprise, ce sera toujours dans une grande, jamais dans une petite. Cela contribue à la myopie du système qui amène à considérer que "ceux que l'on connaît", les dirigeants des grandes entreprises, sont naturellement les porte-paroles de toutes les entreprises françaises, alors qu'il n'en est rien, évidemment.

Pourquoi les intérêts sont-ils si différents, alors que grandes et petites entreprises devraient naturellement, du moins en apparence, partager les mêmes intérêts ?

Les grandes entreprises ont des ressources sans comparaison avec les petites, donc elles peuvent, par exemple, délocaliser ou relocaliser les profits selon qu'un taux d'imposition leur plaît ou non. Résultat : toutes les études montrent que les grandes entreprises ont ainsi un taux d'imposition significativement plus faible que les PME. Ces dernières doivent accepter les contraintes du système, là où les grandes entreprises peuvent en jouer. Il y a donc une rupture entre le seuil de tolérance des contraintes, selon la taille, même si dans l'absolu les intérêts peuvent effectivement être les mêmes.

Les 35 heures sont un exemple marquant d'un dispositif ayant largement complexifié la vie des PME. Qu'est-ce qui dans cette loi rendait son application inenvisageable pour les petites entreprises ?

Dans ces grandes négociations paritaires comme le furent les 35 heures, il y a toujours la volonté de concilier de nombreux points de vue, ce qui aboutit nécessairement à un consensus qui génère plutôt des usines à gaz. C'est d'ailleurs exactement la même chose avec l'actuel "compte pénibilité".  Et le pire, c'est que cette volonté de plaire à tous part à la base d'une bonne intention. Le risque dans ce genre de chose c'est la dérive progressive où tous ceux qui ont participé à l'élaboration de la décision ne se rendent plus compte de la complexité à laquelle on a abouti, et qui leur échappe totalement, jusqu'au constat du monstre bureaucratique final une fois que le dispositif est mis en place.

Depuis les années 1990, des 35 heures au "compte pénibilité", se sont succédés des dispositifs inapplicables, et des corrections rarement appliquées. Pourquoi est-il impossible de corriger cet aveuglement alors que le problème est connu ?

Cette complexité n'est pas spontanée, elle est le résultat d'une défense d'intérêts, parfois pleinement légitime. C'est l'exemple de la pénibilité : le sujet a sa légitimité. La mise en place d'un calcul d'une grande complexité qui a va être installé, c'est autre chose… Et les dispositifs sont conçus de telle manière qu'une fois mis en place, les modifier revient à retirer des avantages accordés à certaines catégories. Tout gommer devient donc impossible sans créer de graves contestations. Et les fonctionnaires français, lors de la gestation d'une loi, mettent un point d'honneur à anticiper tous les cas de figure. La complexité est alors inévitable.

Le gouvernement, depuis deux ans et demi, est censé avoir pris des mesures visant à fluidifier l'activité des entreprises. Ces dispositifs plus ou moins acceptés par les grandes entreprises, ont été largement décriés par les petites. Qu'est-ce qui y était inadapté pour les PME ? Quelle a été la conséquence ?

Les grosses entreprises disposent de la superstructure, des supports logistiques et des experts nécessaires pour pouvoir tirer la quintessence des dispositifs proposés par le gouvernement. Pour les petites, naviguer entre les arcanes juridiques mobilise une grande partie du temps du dirigeant, temps  qu'il ne peut plus passer à diriger son entreprise. Il y a donc une coupure nette entre ceux qui ont les experts pour profiter des dispositifs, et ceux qui seront obligés de rajouter cette complexité à leurs tâches. Il y a par conséquent en bout de chaîne plus d'inconvénients que d'avantages. Mettre en place des aides qui nécessitent des mécanismes compliqués et du temps, cela n'aide jamais les petits. En tout cas c'est souvent la dérive que connaissent les mesures prises pour aider les entreprises.

Qu'ont réussi à faire d'autres pays, comme l'Allemagne par exemple où les intérêts sont défendus de manière plus "unitaire", que la France ne parvient pas à atteindre ?

L'Allemagne n'est pas un pays centralisé mais fédéral, les syndicats allemands sont dans une logique de gestion paritaire, et ils ont renoncé à la logique de lutte des classes, axant plutôt leur action sur la création de richesses supplémentaires qui pourront être ensuite redistribuées aux salariés. On est donc dans d'autres traditions que les nôtres, c'est pour cela d'ailleurs que prétendre régler les problèmes français en copiant ce modèle me semble un peu illusoire.  

Comment les PME peuvent-elles espérer inverser la tendance ? Sont-elles condamnées à être sous-représentées dans le dialogue social ?

Le seul espoir, c'est que de moins en moins de diplômés de grandes écoles veulent faire carrière dans les grosses entreprises. Pour beaucoup, ces dernières n'ont pas tenu leurs promesses de carrières longues et intéressantes. À grand coups de restructurations brutales, elles ont montré qu'elles pouvaient licencier quelqu'un qui leur avait consacré vingt ans de sa vie. Face à cette rupture du contrat implicite, de plus en plus de diplômés envisagent de créer eux-mêmes leur entreprise. C'est un signe positif pour le long terme, et peut-être même avec des résultats dans à peine dix ans.

Par contre à court terme, cela risque d'être compliqué. Il y a toujours cette vision réductrice, et parfois méprisante du "petit patron" par opposition au "grand patron". C'est une vision du passé, très "XXe siècle", mais elle existe encore. De plus, l'autre souci c'est que les jeunes entrepreneurs, les dirigeants de "start-up" sont assez peu engagés au niveau syndical alors que ce sera d'eux que viendra le renouveau. Il est même assez stupéfiant que l'on glorifie les start-up et que l'on traite avec une certaine condescendance le monde des PME, alors que par définition… ce sont les mêmes !

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