Réforme territoriale : ce qu’est vraiment le modèle allemand et pourquoi il n’a pas grand-chose à voir avec ce que la France vient de faire<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale a adopté mardi 25 novembre en seconde lecture la réforme des régions par 277 voix contre 253 et 30 abstentions.
L'Assemblée nationale a adopté mardi 25 novembre en seconde lecture la réforme des régions par 277 voix contre 253 et 30 abstentions.
©Reuters

De la bonne réforme

L'Assemblée nationale a adopté mardi 25 novembre en seconde lecture la réforme des régions par 277 voix contre 253 et 30 abstentions. D'ici la fin de l'année et l'adoption définitive du texte, une comparaison avec le modèle allemand et ses Länder - dont la réforme française se revendique - permet d'ores et déjà de douter d’un enjeu vital : la cohésion territoriale comme base du développement libéral.

Ingrid Ernst

Ingrid Ernst

Ingrid Ernst est urbaniste, comparatiste des stratégies territoriales en Europe et Méditerranée (notamment France, Allemagne, Maroc..). Ancien Directeur d'une administration régionale de l'état français, elle est universitaire depuis 1993 (Paris-Ouest-Nanterre) et cherche à cerner en théorie et en pratique les « Logiques des territoires » (titre de l’ouvrage qu’elle s’apprête à publier), en confrontant jeux des échelles spatiales, références culturelles et dynamiques socio-historiques.

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Puisqu’il s’agit en France de créer de grandes régions comme en Allemagne, expliquons à nos voisins ce que nous allons faire pour nous débarrasser de nos affreux travers centralisateurs. Ne gardant pas un bon souvenir de Napoléon, les Allemands applaudiront certainement l’initiative. Pour s’apercevoir illico que la Réforme territoriale s’inspire du Saint Empire, avec son budget emprunté au négoce international, son administration famélique, sa cohésion à la merci des guerres entre ses princes-électeurs ou d’un moine qui affiche ses thèses devant l’église d’un bourg de province.

Alors, avant de leur parler de notre idéal allemand, actualisons un peu nos informations. Cela pourrait d'ailleurs être utile pour repenser notre approche, non pas en copiant celle de la République Fédérale, qui s’est développée sur fond d’une logique historique très différente, mais en y observant la prise en compte d’un enjeu vital que nous sommes sur le point d’oublier : la cohésion territoriale comme base du développement libéral.

Commençons par la grande région-modèle des aménageurs français, le Bade-Wurtemberg, territoire d’une économie florissante qui réunit dans une entente idyllique quelques holdings des plus globales à un tissu très varié de PME exportatrices. Le Bade-Wurtemberg est un des seize états fédérés (Länder) de la République Fédérale d’Allemagne, se situant en troisième place tant pour sa superficie, que pour sa population de plus de dix millions habitants.

En tant qu’états à part entière, les Länder disposent d’une assemblée élue au suffrage universel, dotée de pouvoirs législatifs, d’un gouvernement, de ministères et, hors des villes-états, d’une organisation territoriale. Deux niveaux de collectivités locales y sont alors nécessairement présents, les Kreise (en général plus grands qu’un arrondissement français) et les communes. A ces deux niveaux, dont l’autonomie est garantie par la constitution fédérale, s’ajoutent deux niveaux de déconcentration de l’état (fédéré, bien entendu, l’état fédéral n’étant que très exceptionnellement présent localement) : d’une part quatre grands territoires à fonction de Préfecture du Land, les Regierungspräsidien, qui se divisent en 12 Régions d’aménagement (Regionalverbände) à statut d’établissement public (sauf celle de Stuttgart qui a été transformée en collectivité territoriale).

Sous l’autorité des Préfectures du Land, les Régions d’aménagement détaillent le plan du Land, font approuver ce plan régional par les collectivités-membres (processus parfois très houleux, ce n’est pas du tout un consensus en pantoufles), puis contribuent à sa mise en œuvre. Il faut savoir que ces plans fixent pour chaque lieu les objectifs et priorités d’investissements publics : dans le cadre de leurs mission d’intérêt général, les instances publiques sont censées fournir le cadre territorial dans lequel les entreprises peuvent librement se déployer... euh, en respectant tout de même un certain nombre de contraintes environnementales. Pour simplifier le tout, les Kreise exercent en plus de leurs compétences de collectivités territoriales, des fonctions déconcentrées du Land. Il s’agit non pas de délégations mais, comme les pouvoirs de police du maire en France, de missions très encadrées sous l’autorité des Préfectures du Land.

Ainsi nous pouvons constater sans peine que, loin d’être une grande région qui ne porte pas grand-chose dessous, le Bade-Wurtemberg est un état unitaire avec (sans compter l’intercommunalité !) quatre échelons territoriaux emboités se partageant l’administration publique déconcentrée et décentralisée de façon complexe et structurée. Depuis quarante ans, ce système qui peut paraître un peu lourd, est régulièrement et vigoureusement contesté, notamment par les collectivités locales. Pourtant, il s’est maintenu tout simplement parce qu’il est le plus économe.

En effet, on ne peut surestimer les coûts économiques, sociaux et environnementaux finalement à charge de la collectivité, résultant des double-emplois d’équipements, de l’étalement urbain, des déficits de formation et surtout des disparités territoriales de développement. Car s’il existe de vastes étendues d’une misère homogène, un grand territoire très productif comporte toujours des zones moins développées, qui, délaissées, s’avèrent des véritables boulets pour l’administration publique et deviennent ensuite des forces centrifuges immaîtrisables. Ces disparités internes sont croissantes avec la polarisation résultant d’un développement mondialisé non encadré. L’organisation territoriale stratifiée sert donc tant à la fois l’évitement de coûts cachés et l’orientation productive des investissements publics.

Le cas du Bade-Wurtemberg montre que la coordination des moyens à toutes les échelles avec un objectif d’équité territoriale, négocié entre collectivités locales concurrentes, nécessite quelques rouages administratifs. Et il montre en même temps, que le jeu en vaut la chandelle.

D’ailleurs, mis à part des différences de planification régionale, la Rhénanie-Westphalie (avec la Ruhr), le Hesse (avec Francfort) et la Bavière ont la même organisation. Ces quatre états fédérés représentent 45 % de la superficie, 58 % de la population et 63 % du PIB de la République fédérale - ce ne sont donc pas particulièrement les pauvres de la nation ! Or, comme tous les Länder, ils ont mis en œuvre d’importantes réformes administratives, ont privatisé, simplifié à tout va (comme en France, l’efficacité de tout ça fait beaucoup débat), mais sans pour autant toucher à leur schéma institutionnel.

Hors villes-états, d’autres Länder, nettement plus petits et moins développés n’ont jamais eu de préfectures du Land (comme le Mecklenbourg-Vorpommern, 2,2 millions d’habitants, densité de la Creuse) et on ne doute pas qu’à cette échelle, ils s’en sortent avec leur structure étatique, quelques missions thématiques, et la déconcentration générale auprès des Kreise. D’autres états (comme la Rhénanie-Palatinat, 3,9 millions d’habitants, 201 h/km2) ont transformé les Préfectures en directions sectorielles du Land, en les conservant sur place.



Avec sa structure fédérale très différenciée, la République fédérale d’Allemagne dispose donc selon ses territoires de un à cinq échelons institutionnels. Et hormis la ville-état de Hambourg, ce sont les territoires insérés dans une organisation à 4 ou 5 niveaux d’administration qui présentent les PIB/h les plus élevés ! Alors cessons de fantasmer sur le soit disant mille-feuille français, car le vrai problème est celui de la cohésion de l’état.

La cohésion de la République fédérale d’Allemagne repose historiquement sur un principe de coopération entre entités autonomes dans le contexte d’une concurrence négociée, tant verticalement entre collectivités locales et niveaux étatiques, qu’horizontalement entre états fédérés, non seulement par les conférences de leurs ministres de l’éducation ou des transports, mais aussi par le Finanzausgleich, une péréquation assez conséquente de leurs moyens budgétaires. Jamais aucun acteur public français n’accepterait un tel niveau d’engagement dans la négociation permanente ! Pour des raisons historiques, le système politique français n’en a tout simplement pas développé ni le sens de la coopération, ni la communication explicite, ni la culture du conflit.

C’est une donnée fondamentale, mais pas un tort. Car il faut oser dire par ces temps de communautarisation, qu’en France, ce sont les valeurs universalistes liées à la centralisation qui ont permis une certaine équité territoriale, et partant, la solidarité nationale nécessaire à sa cohésion, cohésion qu’elle a su maintenir avec une politique de décentralisation très progressive. D’ailleurs jusque-là, on n’avait pas encore oublié que les forces centrifuges les plus ravageuses ne sont non pas les différences identitaires, mais les disparités de richesses.

Or, plus le maillage territorial est fin, mieux sont mis en évidence les disparités locales de développement et, partant, la volonté politique d’y remédier. Dans ce contexte, il est intéressant de comparer les cartes française et allemande des territoires NUTS 2, dont les indicateurs servent de critères pour l’attribution des aides européennes. Tout en notant une densité de population en Allemagne près de deux fois plus importante qu’en France, on s’aperçoit que le NUTS 2 moyen allemand a nettement moins d’habitants que celui français. Pour la France, les NUTS 2 reprennent les frontières des 22 régions, en moyenne 2,9 millions d’habitants. En Allemagne, la moyenne de 2,1 millions d’habitants relève d’un savant mélange entre différents statuts territoriaux. Il y a même un territoire NUTS 2 crée « artificiellement », par division du Land du Brandebourg (2,4 Millions d’habitants) dans le seul but de bénéficier d’aides européennes pour sa partie la moins développée.

Bref, en Allemagne, on a volontairement cherché à identifier les zones en difficulté, plutôt que de les noyer statistiquement dans de grands territoires plus développés, comme la France tend à le faire. A ce titre l’intention manifeste d’y fusionner des régions métropolitaines qui polarisent déjà leurs périphéries, avec d’autres régions quasi-désertifiées, ne peut être de bon augure pour l’équité territoriale et donc la cohésion nationale.

Si l’état français ne veut pas tomber en morceaux en faisant les frais d’une lutte à mort entre les seigneuries locales qu’il idéalise quelque peu aujourd’hui, il ne peut créer des territoires à autonomie étendue, forcément supports de forces centrifuges, sans définir de nouveaux principes de solidarité entre eux, leurs missions de coordination de leurs échelons inférieurs et leur responsabilité à l’égard des instances nationales.

Et pour ce faire, l’état doit d’abord définir une stratégie de la répartition des compétences d’intérêt public, en précisant l’échelle qui leur est adaptée, avant de procéder à de hasardeuses délimitations territoriales.

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