Une alliance des "patriotes" sous l’égide de Marine Le Pen ? Ce qui se cache derrière l’OPA du FN sur le mot<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen s’est prononcée dimanche 23 novembre pour une "grande alliance patriote" qui réunirait le FN et d’autres partis de droite comme de gauche.
Marine Le Pen s’est prononcée dimanche 23 novembre pour une "grande alliance patriote" qui réunirait le FN et d’autres partis de droite comme de gauche.
©Reuters

A l'assaut des symboles

Marine Le Pen s’est prononcée dimanche 23 novembre pour une "grande alliance patriote" qui réunirait le FN et d’autres partis de droite comme de gauche. Si cette alliance n'est pas encore prête à voir le jour, le FN réussit toutefois à s’accaparer un terme qui a une charge symbolique très forte, même s'il est déjà passé par tous les camps politiques au fil de l'histoire.

Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Atlantico : Marine Le Pen s’est prononcée dimanche pour "une grande alliance patriote" qui réunirait le FN et des partis comme "Debout la France" de Nicolas Dupont-Aignan, le MPF de Philippe de Villiers et le Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) de Jean Pierre Chevènement. En quoi peut-on parler d’OPA du FN à l’égard du terme "patriotisme" ? Comment expliquer que le parti frontiste utilise ce mot très régulièrement ?

Gil Mihaely : La totalité des partis politiques essaye de s’accaparer des mots-clefs. Par exemple, quand on parle de solidarité, de justice sociale et d’égalité on pense plutôt à la gauche. En revanche quand on parle de nation ou de national on pense plutôt à la droite. Certains partis comme l’UMP et le PS essayent d’utiliser certains termes pour exclure le FN. C’est le cas avec l’adjectif « républicain » - comme dans « front républicain » - prononcé pour se démarquer du FN. 

Aujourd’hui, le FN essaye pour sa part d’accaparer un terme qui a une charge symbolique très forte et qui est déjà passé par tous les camps au fil de l’histoire. Au moment de la Révolution le patriotisme était en effet plutôt un terme utilisé par les républicains et les démocrates. Plus tard, il a été associé avec nationalisme et guerre, devenant alors un terme « de droite ». Aujourd’hui « patriotisme » évoque beaucoup de choses.  Ce mot permet de se positionner sur des questions comme l’Europe, les frontières, la nation, l’Etat nation et la souveraineté.

La notion de patriotisme renvoie à plusieurs thématiques, notamment économiques et celle des frontières.  A ce sujet, un sondage Ifop pour Atlantico publié en février indiquait que 59 % des Français étaient favorables à une restriction des conditions d’installation des Européens dans le cadre des accords de Schengen. Les Français sont-ils attachés au respect des frontières ?

Les règles de Schengen ont été conçues il y a plus des vingt cinq ans pour un espace composé d'Etats à peu près homogènes en ce qui concerne le niveau de vie et la sociologie. A l’évidence, ce n’est plus le cas. A l’instar de leurs économies, les pays européens sont très différents socialement. En conséquence, leurs législations en matière de travail et sécurité sociale sont également très différentes.  On peut le constater à partir de deux exemples. Le premier est le cas des Roms (roumains et bulgares) dont la circulation en Europe pose des problèmes à de nombreux pays. En clair, la Bulgarie et la Roumanie ne font pas leur boulot vis-à-vis de leur population la plus faible et exportent une partie de leurs problèmes à l’extérieur de leurs frontières ce qui exaspère les opinions publiques dans les pays d’accueil.

Le deuxième exemple est celui des travailleurs détachés et du dumping social, phénomène qu’on appelait le plombier polonais il y a quelques années. Quand les différences des prestations sociales du coût du travail sont très importantes, la libre circulation créée une concurrence faussée entre travailleurs à l’intérieur de l’espace Schengen.  

Dans quelle mesure cette thématique du patriotisme structure-t-elle la vie politique ?

Aujourd’hui, le vrai clivage politique n’est pas entre la gauche et la droite, mais entre ceux qui pensent que l’Etat nation a toujours sa place et un rôle à jouer, et ceux qui continuent de penser que l’Etat nation est le principal responsable des malheurs du XXe siècle, un obstacle pour le progrès de l’humanité. Ces derniers estiment qu’il faut continuer les projets de dépassement des nations fusionner les Etats nation dans des ensembles supranationaux comme l’Europe.

C’est une question qui structure les clivages à l’intérieur même des partis. Il y a par exemple des gens étiquetés de gauche comme Jean-Pierre Chevènement et des gens étiquetés plutôt de droite comme Nicolas Dupont-Aignan et Philippe de Villiers qui s’accordent sur ce sujet. Le clivage transcende aussi les écologistes : certains pensent que seul l’Etat nation a les moyens pour faire respecter des règles permettant de sauver la planète tandis que d’autres pensent que par définition l’écologie exige un dépassement des frontières.

Beaucoup de gens sont fiers d’être Français mais un grand nombre d’entre eux ne se sentent pas exclusivement Français. Comment expliquer ce paradoxe ?

Nos identités sont multiples et compliquées. Chacun fait cohabiter plusieurs appartenances : à la nation, à une ville, un quartier, un club de foot ou une région à forte identité. La particularité de l’identité nationale est qu’elle prime sur toutes les autres : c’est pour elle qu’on tuait et qu’on était prêt à mourir. Même si aujourd’hui on se pose la question de l’Etat nation, du rôle des frontières et que l‘identité nationale revient un peu en force, nous ne sommes pas au même niveau d’adhésion à l’idée nationale qu’à la fin du XIXe siècle et du début du XXe entre la guerre franco-prussienne et celle de 14-18.

Mais ce n’est pas uniquement une question de sacrifice suprême. L’identité nationale structure la citoyenneté et la solidarité. Nos impôts servent à aider nos concitoyens, donc les autres membres de la famille nationale, nous consentirons à faire un effort ensemble pour s’en sortir ensemble, nous nous sentons concernés par la politique nationale, et sommes plus touchés par les inondations dans le Midi que des séismes au Japon. Bref, notre appartenance à la nation est la condition sine qua non pour rendre possible le fonctionnement d’un Etat moderne et efficace.

Pourquoi est-il judicieux politiquement pour le FN d’investir le champ politique via cette question ? Ses adversaires politiques se retrouvent-ils piégés par cette nouvelle tactique ?

Le clivage d’aujourd’hui se situe autour de l’Etat nation, donc des frontières et de l’identité nationale. Le FN se positionne sur ce nouveau tableau et en même temps s’éloigne des clivages obsolètes en gauche et droite. De toute façon l’analyse politique du FN qui met le doigt sur la question nationale est pertinente. 

Les adversaires du FN sont piégés. Ils partagent l’analyse du FN concernant les nouveaux vrais clivages politiques mais les partis ont des traditions et des positions anciennes, notamment vis-à-vis de l’Europe. Ils sont presque tous engagés dans un projet européen où la logique même est de dissoudre l’Etat nation dans un ensemble supra national.

Comment expliquer que les autres partis politiques aient délaissé les sujets portant sur la thématique de la nation ?

Ces thèmes ont été délaissés dans les grands projets d’après-guerre avec l’euphorie des années 70 et 80. A l’époque les choses marchaient bien et il y avait un consensus général pour dire que la nation et l’Etat nation étaient des concepts liés au XIXe et XXe, et que le XXIe siècle serait supra national ou ne serait pas. Ce terme connoté négativement était en quelque sorte « contaminé », car lié à la droite et la guerre.

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