100 euros de coût de fabrication pour un produit vendu à 41 000 euros : pourquoi les mécanismes de fixation des prix des médicaments ne sont pas aussi fous qu’ils en ont l’air<!-- --> | Atlantico.fr
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Un laboratoire est libre de choisir si son médicament sera ou non remboursé.
Un laboratoire est libre de choisir si son médicament sera ou non remboursé.
©Reuters

Le juste prix

Le prix du traitement Sovaldi qui permet de soigner en trois mois l'hépatite C a été fixé en France à 41 000 euros alors qu'il coûte aux Etats-Unis 67 000 euros et 705 euros en Inde.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : Comment le prix des médicaments est-il fixé en France ?

Frédéric Bizard : Une fois l’Autorisation de mise sur le marché obtenue, le laboratoire est libre de choisir si son médicament sera ou non remboursé. S’il n’est pas remboursé par la collectivité, le laboratoire est libre de fixer son prix. Mais si l’industriel souhaite que son produit soit remboursé, il s’engage dans une procédure longue avec l’administration, qui peut être conflictuelle comme pour le Sovaldi.

Le prix des médicaments remboursés (prix fabricants hors taxes en officine) est établi en France par des négociations entre chaque laboratoire pharmaceutique et le Comité économique des produits de santé (CEPS). Le CEPS est un organisme interministériel placé sous la tutelle des ministres en charge de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie. La négociation avec le CEPS est située dans un cadre conventionnel, en cas de non accord, le CEPS peut fixer unilatéralement un prix.

Le CEPS se fonde sur quatre critères pour fixer le prix :

  • L’amélioration du service médical rendu (ASMR) apporté par le médicament. Cette ASMR est déterminée au préalable par la Commission de la transparence de la haute autorité de santé (HAS), par comparaison aux autres médicaments déjà commercialisés de la même classe. Elle varie de I à V, d’amélioration majeure à aucune amélioration. Le Sovaldi, en association avec l’interféron alpha pégylé et/ou à la ribavirine,  a été coté le 14 mai 2014 avec une ASMR importante  de niveau II, pour le traitement de l’ensemble des patients souffrant de l’hépatite C. Contrairement aux traitements précédents, le Sovaldi guérit 90% des patients avec très peu d’effets secondaires.
  • Des conditions prévisibles et réelles d’utilisation ,
  • Des volumes de ventes prévus et constatés ,
  • Des prix de médicaments comparables.

Pour des médicaments les plus innovants (I à III), le CEPS fixe un prix proche de la moyenne pratiquée dans les quatre principaux marchés européens (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie). Le CEPS demande au laboratoire de s’engager sur un volume de ventes (accord prix-volume) afin de fixer un montant de dépenses pour l’Assurance Maladie par médicament.

Comment expliquer que les négociations en la France et le laboratoire Gilead aient duré si longtemps ?

Après négociation du prix avec le CEPS, la décision finale sur le  prix du médicament reste de la compétence de la Ministre de la Santé, avant publication au Journal Officiel. C’est ainsi que la Ministre de la Santé a engagé un bras de fer avec le laboratoire Gilead, qui commercialise le Sovaldi, pour faire baisser son prix. Le 10 juillet 2014, la Ministre annonçait que "la négociation commençait".

En  fait, c’est l’union de quatorze pays européens, dont la France, qui a permis de créer un rapport de force important avec le laboratoire Gilead pour faire baisser le prix. Cependant, l’industriel disposait d’une série d’arguments de poids pour défendre le prix de son médicament dont son efficacité, son confort d’utilisation (3 mois de traitement seulement) et son action rapide (permet aux patients de reprendre son travail et de retrouver une vie normale). Les négociations auront duré près de quatre mois et demi pour arriver à une baisse de prix de l’ordre de 25%. Au-delà de cette baisse de prix, le gouvernement a introduit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2015, en cours de vote à l’Assemblée nationale, une nouvelle taxation sur la croissance du chiffre d’affaires des laboratoires, qui concernera entre autres Gilead. 

Que sait-on du prix de fabrication de ce médicament ? Au regard de son coût de revient, son prix est-il justifié ?

Le prix de revient exact du médicament n’est pas rendu public. On parle d’un coût de production entre 100 et 200 euros par patient pour Sovaldi. Ceci ne signifie pas grand chose tant les couts de R & D sont élevés dans l’industrie pharmaceutique (plus d’un milliard de USD par molécule), auxquels il faut ajouter les coûts de distribution. Il n’en demeure pas moins que Sovaldi restera très rentable pour le laboratoire, puisqu’on estime que le seuil de rentabilité du produit serait inférieur à 10 000 euros par patient, soit au moins quatre fois mois que le prix fixé en France.

Comment pourrait-on s'assurer que les innovations médicales soient davantage accessibles ?  

Notre système de financement des dépenses de santé en général arrive au bout de ses limites. Le panier de services et biens de santé remboursés par l’Assurance maladie n’est pas géré de façon suffisamment dynamique pour permettre de dégager assez de ressources pour financer les innovations. L’évaluation médico-économique régulière de l’ensemble des techniques et produits de santé, adossé sur un système d’entrées et de sorties du contenu du panier de soins remboursés devrait être appliqué. L’innovation majeure comporte toujours une composante destructrice des services ou produits existants, dans la santé comme dans les autres secteurs. Ce système de gestion dynamique du panier remboursable fonctionne mal pour le médicament et pas du tout pour le reste du panier de soins. Réformer notre système de financement est une condition indispensable pour garantir l’accessibilité financière pour tous aux innovations médicales actuelles et futures en France.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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