Unie sur l'économie mais clivée sur le sociétal : quand la droite se transforme en exact inverse de la gauche <!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy s'est prononcé samedi 15 novembre pour la première fois en faveur d'une abrogation de la loi Taubira, divisant la droite.
Nicolas Sarkozy s'est prononcé samedi 15 novembre pour la première fois en faveur d'une abrogation de la loi Taubira, divisant la droite.
©Reuters

Effet miroir

La question du mariage pour tous a de nouveau fait irruption dans l’actualité ce week-end, divisant les responsables de l’UMP. A gauche, c'est le débat économique qui fait sensation, clivant ceux qui cherchent à concilier capitalisme et besoins de la société contre ceux qui pensent qu’il faut donner la priorité aux besoins de la société, quitte à rompre avec le capitalisme.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : En quoi différentes conceptions des questions sociétales s’expriment-elles à droite ? Dans quelle mesure ces divergences traduisent-elles la présence de différents courants de pensée hérités d’une tradition historique ancienne ?

Christophe Bouillaud : Même si, sur les deux derniers siècles, la droite et le catholicisme sont liés, l’accent mis sur les questions liées à la conception catholique traditionnelle de la famille varie fortement selon les époques et selon les personnalités de droite. De fait, il existe une opposition dans le niveau d’engagement en faveur des règles promues en la matière par le catholicisme. Les démocrates-chrétiens étaient bien sûr plus exigeants sur ces questions, mais il existe même une droite, le « radicalisme », une « ex-gauche » d’avant 1940, qui se trouve être l’héritière des combats des républicains contre l’Eglise au XIXème siècle.

Dans les années 1960-1970, une droite soucieuse d’adapter le pays aux évolutions des mœurs alors en cours s’était fait entendre, à la fois pour ne pas laisser le monopole en ce domaine à la gauche et en vertu d’une conviction selon laquelle la liberté individuelle ne devait pas s’arrêter pas là où l’Eglise catholique l’exigeait.

Bien que cette droite paraisse parfois bien silencieuse ces derniers temps, je doute fort cependant qu’il se trouve une majorité même au sein des électeurs de droite pour revenir aux mœurs des années 1950 : difficulté de divorcer, pas de contraception moderne, pas d’avortement légal, un statut juridique différent pour les enfants « adultérins » pour reprendre le terme infamant de l’époque, un strict contrôle de l’érotisme et de la pornographie, etc. Nicolas Sarkozy dans sa propre vie privée constitue un résumé de cette évolution : n’en est-il pas à son troisième mariage ? D’ailleurs, qui y trouve à redire à droite ?

Si les questions sociétales font débats à droite, les questions économiques sont moins sujettes à des affrontements de fond. Comment expliquer que les responsables de l’UMP se positionnent tous en faveur du libéralisme économique, même s’il existe quelques menues divergences ?

La conversion de la droite française au néo-libéralisme date maintenant des années 1980. Elle est donc déjà ancienne, et certains analystes la font d’ailleurs remonter aux années 1960 avec certains aspects des politiques gaulliennes en  matière économique. Cette conversion – ou retour aux fondamentaux si l’on y voit un retour aux doctrines libérales d’avant 1914 - n’empêche pas par ailleurs le maintien de l’affichage d’un volontarisme très gaulliste en matière de politique industrielle de temps à autre lorsque la droite se trouve aux affaires.

Mais il est vrai que le débat économique semble aujourd’hui totalement éteint au sein de la droite et du centre : de l’UMP à l’UDI et au Modem, il n’est question que de faire mieux en matière de « maîtrise des dépenses publiques » et de « réformes structurelles » que ne le fait actuellement le gouvernement Valls, bref de mieux suivre que la gauche les suggestions du one best way européen.

La seule voix un peu discordante est, me semble-t-il, celle d’Henri Guaino fidèle à sa conception keynésienne/volontariste de la croissance, le seul à montrer en tout cas une inquiétude sur la voie à suivre. Il semble toutefois très isolé. Ce ralliement unanime au libéralisme tient sans doute à l’influence du secteur des grandes entreprises et des banques sur la droite française contemporaine : les grands marchés d’avenir sont pour elles à l’extérieur et supposent donc d’orienter le pays vers la demande extérieure. Il n’y a du coup pas beaucoup de discussions à avoir.

A gauche, en revanche, ce sont les questions économiques qui suscitent des affrontements idéologiques, tandis que les sujets sociétaux sont plus consensuels. Les différences idéologiques sur l’économie  s’inscrivent-elles dans une tradition politique ancienne au sein du PS ?

Le clivage traverse le PS, mais il est presque toujours présent dans toute l’histoire de la gauche depuis un siècle. C’est pour simplifier le clivage entre ceux qui pensent qu’il faut chercher concilier le capitalisme et les besoins de la société, et ceux qui pensent qu’il faut donner la priorité aux besoins de la société quitte à rompre avec le capitalisme ou à inventer un nouveau capitalisme plus directement orienté vers les besoins de société.

C’est un peu le vieux clivage réforme ou révolution, mais, aujourd’hui, c’est surtout l’opposition entre ceux qui pensent que l’économie de marché mondialisée possède ses règles intangibles à respecter quitte à en distribuer les fruits ensuite aux plus faibles par la redistribution et ceux qui pensent qu’il faut inventer une autre économie de marché, plus directement soucieuse des besoins humains les plus essentiels dont le travail et l’avenir écologique de la planète.

En plus, par souci de garder ses électeurs et ses militants, le PS a toujours eu depuis les années 1970 la mauvaise habitude de promettre de « changer la vie » avant d’arriver au pouvoir pour ensuite se révéler un très bon élève de l’adaptation de la France aux défis du capitalisme : le PS dit qu’il veut « changer la vie », et il finit par réussir la « désinflation compétitive » dans les années 1980 et par qualifier la France à l’entrée dans la monnaie unique. Le scénario actuel est assez similaire du « discours du Bourget » au « Pacte de responsabilité » en passant par le CICE.

Plus globalement, les divergences qui traversent les deux grandes familles politiques s’expliquent-elles aussi par le mode de scrutin majoritaire à deux tours en vigueur pour la présidentielle et les législatives qui force les élus à choisir un camp ?

Oui, le scrutin majoritaire à deux tours incite à la formation de deux camps, qui, chacun, doivent s’accommoder de la présence de leurs extrêmes ou de fortes dissensions idéologiques en leur sein s’ils veulent avoir une chance de l’emporter. A l’épreuve du pouvoir, ces alliances se révèlent le plus souvent un marché de dupes pour l’acteur le plus faible.

En 1981, le PS et le PCF gagnent ensemble la présidentielle et les législatives qui s’en suivent, mais très vite le PS va gouverner à sa guise sans le PCF qui s’écroulera de fait électoralement. Ce sont de fait les mêmes élus socialistes de 1981, élus par l’apport de voix communistes, qui vont assumer le « tournant de la rigueur » de 1983.

Le même scénario se retrouve avec la « gauche plurielle » (1997-2002) : ni les écologistes ni les communistes n’exerceront une quelconque influence sur les grandes politiques publiques du gouvernement Jospin. Il semble devoir se passer exactement la même chose pour les écologistes actuels, EELV, sous la présidence Hollande. Ils obtiendront au total quelques miettes pour prix de leur alliance électorale de 2012. Malgré tout, si l’on veut gagner, chaque camp doit s’unir.

Comment expliquer que certaines positions adoptées par des responsables politiques de droite comme de gauche soient aussi liées à leur implantation géographique ?

Comme le montre la tournée électorale de Nicolas Sarkozy, les préoccupations des électeurs et des militants ne sont pas les mêmes dans toutes les régions de France. On n’a pas les mêmes soucis à Paris qu’à Mende, ne serait-ce qu’en terme de prix du logement ou de délinquance par exemple.

Les géographes ne cessent depuis quelque temps d’insister sur la diversité persistante  et sur la diversification en cours de l’espace français, quelque soit d’ailleurs les échelles d’analyse retenues (quartiers, communes, cantons, etc.). Lorsqu’un Wauquiez, élu de la Haute-Loire se met à la veille des élections européennes de juin 2014 à vitupérer contre l’Europe, il est difficile de ne pas faire le lien entre ces  propos peu amènes et le caractère périphérique de son département de prédilection dans l’espace français et européen.

Quand les élus des Alpes Maritimes se montrent obsédés par l’immigration, il est difficile de ne pas faire le lien avec la proximité avec l’Italie, elle-même une des portes d’entrée de l’immigration clandestine sur le continent européen. De fait, l’une des obligations professionnelles des hommes politiques, c’est justement de se montrer à l’écoute des préoccupations de leurs électeurs. Dans le jargon académique de la science politique internationale de faire preuve de « responsiveness ». Comme les contextes dans lesquels les électeurs vivent ne sont pas les mêmes, les politiques adaptent leur discours en conséquence. L’ancienne candidate à la mairie de Paris, NKM, peut difficilement vouloir revenir sur le « mariage pour tous », sauf à décider de s’aliéner définitivement une part de l’électorat parisien.

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