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Adoption pour les couples homosexuels : quand Alain Juppé réussit à dire tout et son contraire pour justifier son adhésion
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Contradictions

Alain Juppé a donné une interview à l'hebdomadaire Les Inrockuptibles paru mercredi 12 novembre dans laquelle il se dit pour l'adoption par les couples homosexuels. Il y explique notamment son raisonnement pour le moins incohérent et qui ne parvient pas à sortir du cadre imposé par ses opposants politiques.

Thibaud Collin

Thibaud Collin

Thibaud Collin enseigne la philosophie en classes préparatoires au collègue Stanislas à Paris. Il a consacré plusieurs ouvrages à des questions de philosophie morale et politique, dont un livre d’entretiens avec Nicolas Sarkozy La République, les religions, l’espérance (Cerf) et récemment Les lendemains du mariage gay (Salvator).

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Atlantico : Alain Juppé s'est exprimé dans les Inrockuptibles et s'est dit favorable à l'adoption des couples gay tout en se positionnant contre l'autorisation de la PMA pour les couples de femmes, estimant : "Pour moi, fondamentalement, l’acte de naissance d’un enfant, c’est un homme et une femme. Ensuite, il y a l’acte d’élever un enfant", rappelant que c’est l’épanouissement de l’enfant qui prime, quelle que soit la forme du couple.  Le tout en estimant qu'il aurait "préféré un autre mot que mariage car des couples homosexuels et hétérosexuels, ce n’est pas tout à fait la même chose." Quelle est la cohérence de ce raisonnement ?

Thibaud Collin : Alain Juppé est pris dans une contradiction qui est symptomatique de l’anarchie intellectuelle dans laquelle se meut une bonne partie de notre classe politique, notamment dans l’opposition actuelle. Comment peut-on être pour l’adoption par des couples de même sexe et contre l’élargissement de la PMA aux couples de femmes ? De plus, que signifie "un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, ce n’est pas tout à fait la même chose" ? Soit c’est un truisme, soit Alain Juppé identifie qu’un enfant n’a pas à être privé de sa double origine, maternelle et paternelle. Mais alors si c’est le cas, comment peut-il considérer que les couples de même sexe ne pose pas un problème pour le bien de l’enfant ? Il y a là non seulement une incohérence mais une injustice assumée comme telle ! La seule raison de cette incohérence est la peur d’être trop "en avance" sur l’électorat. N’oublions pas que la fameuse expression de Jacques Chirac à propos d’Alain Juppé "le meilleur d’entre nous" signifie le "meilleur des chiraquiens". Or Chirac n’a jamais brillé par sa cohérence intellectuelle. Pourquoi le disciple serait-il supérieur à son maître ?  

S'il allait au bout de sa réflexion, quelles devraient être les conclusions du Maire de Bordeaux ? 

Alain Juppé comme beaucoup d’homes politiques que les journalistes appellent de "droite" court dans le soi-disant sens progressiste de l’histoire, avec toujours évidemment un métro de retard sur ses adversaires politiques, par ailleurs compagnons de route intellectuel. Il n’a donc aucune armature doctrinale si ce n’est celle que lui fournissent des gens de gauche.Il ne voit pas que la population française supporte de plus en plus mal cette hégémonie intellectuelle de la gauche. Bref, son logiciel intellectuel date des années 1970. Si Alain Juppé voulait être cohérent, il devrait comprendre que lorsqu’on valide des principes même au nom des exceptions, on valide de facto toutes les conséquences nécessaires de ces mêmes principes. Ainsi accepter la loi Taubira implique de valider la PMA et la GPA. Les promoteurs de la loi Taubira le savent très bien mais, eux, ils attendent que la population française soit "prête" à l’accepter. Politique des petits pas mais intellectuellement cohérente. Des gens comme Alain Juppé perdent donc sur les deux tableaux, intellectuel et moral.  

"On ne peut pas créer un système dans lequel on légitime le recours à de tels procédés. Mais naturellement, il faut prendre en compte l’intérêt de l’enfant et lui donner un statut" a-t-il dit au sujet de l'inscription des enfants nés de GPA et de PMA à l'étranger au registre d'Etat civil français tout en estimant que la GPA était inacceptable. Faut-il y voir une contradiction ? Dans quelle mesure, en prenant une telle position, la France encouragerait-elle une pratique contraire au droit ? 

Là encore, Alain Juppé réfléchit dans le cadre posé par ses adversaires politiques. La notion d’intérêt supérieur (qui traduit best en anglais) de l’enfant est faite pour introduire le principe utilitariste dans les affaires familiales. Sous couvert de bons sentiments, il s’agit de calculer la meilleure solution dans une situation donnée ; tout dépend de ce que l’on objective comme données contraignantes. Mais cette logique récuse l’idée de principes intangibles à respecter pour le bien de l’enfant. C’est un cheval de Troie du relativisme dans l’approche législative et judiciaire des questions familiales. D’où le fameux sophisme lu dans l’Obs lors du débat sur la loi Taubira : "mieux vaut pour un enfant être adopté par un couple de pharmaciens gays du 7ème arrondissement de Paris plutôt que de rester dans son orphelinat en Ethiopie" ! 

"On ne démariera pas les couples homosexuels", ajoute-t-il. Sur ce point, ne touche-t-il pas du doigt un élément qui effectivement rend difficile, voire illusoire, un retour sur la loi Taubira ? 

Il n’y a certes pas de rétroactivité de la loi mais depuis quand une loi votée ne peut-elle pas être abrogée ? C’est la "droite" qui inventé cette "impossibilité" sur les lois dites "sociétales". Voyons comment elle s’est ridiculisée en s’opposant massivement au PACS en 1998/1999 pour ensuite quelques années après militer pour son renforcement. La soi-disant "réécriture" de la loi Taubira n’est qu’un élément de langage pour essayer de ménager la chèvre progressiste et le choux conservateur (ou l’inverse). En attendant, cela mécontente tout le monde. Alain Juppé n’est donc pas un représentant de ce que certains nomment "la droite honteuse", il est plutôt représentant de ce que l’on pourrait appeler un "progressisme honteux".

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