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Anciens combattants, il n'y a pas que les Poilus : ces vétérans bien vivants oubliés par la Nation
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11 novembre

Les traditionnelles cérémonies du 11 novembre ont lieu cette année dans le cadre du centenaire du début de la Grande Guerre. L'occasion de rappeler que les soldats combattants pour la France ont par la suite participé à d'autres conflits, dont on parle bien moins.

François Lebigot

François Lebigot

François Lebigot est psychiatre des armées et professeur agrégé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce.

Membre de l'association Otages du monde, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le traumatisme psychique (Fabert, 2011).

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Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : En ce 11 novembre, François Hollande inaugurera le site Internet du Grand Mémorial qui regroupera 8,5 millions de fiches militaires des soldats ayant participé à la Grande Guerre sous l’uniforme français. Si la mémoire des Poilus est à juste titre honorée tous les ans, qu'en est-il des autres soldats ayant combattu plus récemment sur des terrains de guerre ? Qui sont-ils et sur quels théâtres de guerre ont-ils été envoyés ?

François Lebigot : La Grande Guerre a été l'acte de l'armée française. Les autres conflits sont surtout des commémorations plus locales. A Fréjus par exemple il y a un régiment spécial d'infanterie de marine qui avait l'habitude d'accueillir les soldats des anciennes colonies. Il reste un centre de référence pour les anciens des missions d'Outre-mer.

On peut parler d'ingratitude de la Nation concernant le fait qu'il n'y ait pas d'hommages nationaux pour les autres soldats. En fait, toutes les Nations n'aiment pas trop remuer ce genre de souvenir  et plus particulièrement la nôtre. En même temps il faut reconnaître une dette auprès des anciens combattants. On n'évoque pas trop les guerres de décolonisation car nous avons du mal à assumer cette histoire et on n'aime pas trop parler de ça. Par ailleurs, si on évoque moins les conflits où la France était impliquée comme en Afghanistan, en Bosnie, en Afrique ou pendant la guerre du Golfe c'est que ça n'intéresse pas tellement les gens.

Pierre Conesa : Il faut tenter de se souvenir de l'extraordinaire traumatisme qu'a été la première Guerre Mondiale, longtemps appelée la Grande Guerre, dans l'imaginaire collectif français. Conflit présenté comme "guerre courte et joyeuse", elle fit 8,5 millions de morts dont 1,5 million de Français sur une population de 41 M d'habitants à l'époque, soit 900 soldats français morts par jour en moyenne pendant 4 ans. C'est gigantesque ! Il n'y avait aucun recensement par nom et origine dans les premiers jours de la guerre. Beaucoup de morts des premiers mois de la guerre sont restés des cadavres anonymes. D'où la cérémonie du soldat inconnu.

Quand on regarde un monument aux morts, quelle que soit la commune, la liste des soldats morts en 1914-18 est incroyablement plus longue que les noms des morts dans les autres conflits. Dans les conflits suivants, la proportion des victimes civiles est beaucoup plus forte que celle des soldats morts au combat. La commémoration du 11 novembre tient lieu de manifestation du souvenir pour l'ensemble des soldats morts pour la France.
Il faut rappeler que la France n'a pas toujours été très digne dans sa politique de commémoration, puisque dans les monuments aux morts construits dans les colonies par exemple en Algérie,  le nom des indigènes morts durant la guerre, n'était pas inscrit. D'autre part, le seul monument aux morts qui n'a jamais été officiellement inauguré est celui de Gentioux en Limousin, premier monument aux morts pacifiste qui portait l'inscription "Maudite soit la guerre".

Peut-on parler d'un déficit de reconnaissance et comment l'expliquer ?

François Lebigot : En effet mais c'est aussi vrai pour toutes les armées du monde. Le soldat est celui que la Nation accepte de sacrifier. Une fois qu'il est mort ou défait on n'en parle plus. C'est ça, la fonction militaire.

Pierre Conesa : Je crois qu'on est sorti d'une époque de moquerie des anciens combattants perceptible dans les années 50 et 60. Le travail des historiens, les productions télévisuelles et cinématographiques ont apaisé les esprits et le regard est plus reconnaissant et aussi plus interrogatif sur la "guerre" en général. Alors qu'après 1918, le triomphe la victoire a fait oublier les souffrances et a entretenu un sentiment belliciste qui valorisait les vertus guerrières de la France, les guerres suivantes ont changé les esprits : la seconde guerre mondiale avec la défaite de 1940 puis l'occupation et la collaboration ne pouvait pas donner lieu aux mêmes démonstrations patriotiques. Le ministère inclut dans son champ d'action les "victimes civiles de guerre".  Enfin les conflits de décolonisation n'étaient même pas appelé guerres : on parlait "d'opération de pacification", de "maintien de l'ordre", "d'évènements"... On mit longtemps à parler de morts pour la France.

Comment sont pris en charge les militaires français qui reviennent des opérations extérieures ? La France se caractérise-t-elle à ce sujet par rapport aux autres pays ?

François Lebigot : Les soldats atteints d'un syndrome post-traumatique ne viennent pas tous s'en plaindre, loin de là. Certains s'adressent aux médecins des hôpitaux militaires et ils sont dans ce cas pris en charge. Par ailleurs, ceux qui sont rapatriés parce qu'ils souffrent de troubles sont eux aussi directement pris en charge à leur arrivée en France. C'est quand les militaires reviennent à la vie civile que les troubles  peuvent devenir majeurs. Les soldats voient alors un médecin généraliste qui  les renvoie vers les psychiatres. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à être spécialisés sur la question du syndrome post-traumatique. Un médecin peut toutefois faire un certificat médical indiquant que le militaire présente tel ou tel symptôme et que sa situation mériterait d'être examinée afin de voir s'il a le droit à une pension.

Il faut noter des différences avec les anglo-saxons dans la prise en charge. Ces derniers  font des thérapies de groupe alors qu'en France nous faisons à l'inverse des psychothérapies individuelles. Pour ma part, j'estime que la position française est sans comparaison meilleure car elle est plus adaptée et ce sont des traitements effectués sur place. La psychothérapie et thérapie faite directement lors des opérations militaires est intéressante et il faut noter que l'armée française est très médicalisée.

Alors que la Première Guerre mondiale a contribué à la recherche dans le domaine de la psychologie traumatique et que les soldats y ayant participé ont vécu une chose semblable au stress post-traumatique, dans quelle mesure peut-on dire que les militaires Français ayant par la suite participé à des conflits ont été eux aussi confrontés à ce stress ? Quels sont les conflits sur lesquels ce syndrome a été particulièrement présent ?

François Lebigot :La guerre d'Indochine a conduit des soldats à être touchés par le trouble post-traumatique. Ce fut une guerre de grande intensité particulièrement difficile car elle s'est déroulée dans la jungle, là où le danger pouvait survenir de n'importe où. Ce furent donc des situations de surprises très importantes. On peut ensuite parler de la guerre en Bosnie dans les années 1990. Les consignes de l'ONU étaient alors d'empêcher la riposte. Les soldats se sentaient du coup très exposés et très démunis. Ils pouvaient par exemple voir des enfants mitraillés ou des enfants visés par des snipers. C'était une situation particulièrement horrible.

Nous disposons d'un ordre de grandeur en ce qui concerne le nombre de personnes atteintes par le syndrome car les Américains sont les rois des statistiques. Sur la guerre du Vietnam, 10 % de l'ensemble du contingent a été touché contre 15 % de ceux qui ont envoyés au front et même 40 % de ceux qui ont participé à des combats dans la jungle. Les chiffres sont aussi élevés concernant les soldats Américains qui ont récemment participé à la dernière guerre en Irak : 40 % d'entre eux sont concernés car ils ont été soumis à des attentats et à des combats de rue. Même si la France ne dispose pas de chiffres à ce sujet, cela doit être le même ordre de grandeur pour certaines opérations françaises. En revanche le phénomène est moins important pour la guerre du golfe de 1990-1991 car il y a eu peu de combats de grandes intensité. C'est la même chose pour la guerre d'Algérie même si il y avait des guérillas.

En quoi peut-on dire que le syndrome post-traumatique est surtout lié à la dureté et lieu du conflit ?

François Lebigot : Les occasions d'être confronté à sa propre mort se multiplient dans ce genre de situation tandis qu'avec des engagements de faible intensité c'est plus rare. Des lieux comme la jungle donnent des combats difficiles au milieu de la végétation et où l'ennemi peut survenir de n'importe où. Les Vietnamiens avaient une grande pratique de la géographique et ils en profitaient pour surprendre à chaque fois les colonnes de soldats.

Tous les lieux où se déroulent des guérillas peuvent surprendre. Les soldats sont exposés là où se déroulent des embuscades ou lorsqu'il y a des mines posées sur des chemins. Si certains militaires sautent sur une mine cela crée forcément un traumatisme pour les autres derrière. Le lien est prouvé entre les deux phénomènes. Il n'y a pas de surprise et l'on sait à l'avance que l'on va tourner entre 15 et 40 % de personnes atteintes par le syndrome post-traumatique.

Pourquoi l'armée française et les médias ont-t-ils commencé à s'intéresser tardivement à la question du post-traumatisme ? Comment expliquer que les médias semblent accorder plus de place aux deux guerres mondiales qu'aux autres conflits de l'histoire contemporaine ?

François Lebigot : Les attentats frappant la France en 1995 ont mobilisé la société civile et dans la foulée des dispositifs pour venir en aide aux victimes des attentats ont été mis en place. Le système de soin s'est étoffé avec un maillage constitué sur l'ensemble du territoire français. Une cellule par département et même parfois deux ou trois dans certains départements particulièrement touchés ont été mises en place. La presse a souhaité informer le mieux possible ses lecteurs à propos de cette maladie, ses circonstances et  sur la façon de la soigner.

Lors la guerre du Liban l'armée française avait pour mission d'être une force de paix. Il y a pourtant eu beaucoup de pertes. On n'envoyait à l'époque aucun psychiatre sur le front. D'ailleurs, les chirurgiens suppliaient qu'on leur envoie des psychiatres. Tout a basculé lors des attentats du 23 octobre 1983 à Beyrouth, au Liban. Le Drakkar, l'immeuble où les Français logeaient, a été soufflé par une bombe et  une cinquantaine de personnes sont mortes.  Des Américains sont aussi morts le même jour et les survivants ont été touchés par des traumatismes. Cinq psychiatres ont été envoyés à la suite de ces événements au Liban lors de la guerre du Golfe au début des années 1990. Ce fut une première.

Souvent critiqué pour son manque d'utilité supposé, quel est vraiment le rôle du Secrétariat d'Etat aux Anciens combattants et à la mémoire ?

François Lebigot : Il n'a pas de rôle particulier sur la question du stress post-traumatique si ce n'est par l'intermédiaire des associations de combattants auxquelles vont s'adresser les anciens de la guerre Indochine ou d'Algérie par exemple. Ils savent  rediriger les gens vers les soins alors que les soldats n'ont pas su pendant longtemps qu'ils pouvaient en bénéficier. Tout s'est fait petit à petit et Michel Rocard s'est occupé d'associer les anciens combattants au travail qui se faisait avec les vétérans. Il n'est pas dans les missions du Secrétariat d'Etat aux Anciens combattants de s'occuper des personnes touchées par le syndrome post-traumatique car c'est l'armée qui s'en occupe. Elle a été à l'origine de tout ça car elle a pris connaissance du problème et s'est adaptée. Le rôle du secrétariat d'Etat est  quant à lui plus tourné vers les commémorations. 

Pierre Conesa : C'est  un choix politique et administratif de la France d'avoir organisé un service administratif dédié aux anciens combattants qui fut un ministère lors de sa création en 1920. Il y avait encore 6,5 millions d'invalides dont près de 300 000 mutilés à 100 %. Le premier occupant du ministère fut André Maginot, lui même ancien combattant.

Le statut administratif n'a cessé ensuite de se dégrader pour finalement être rattaché au ministère de la défense. L'équilibre actuel est bon sur le plan administratif. Son recentrage sur le travail de mémoire et du souvenir est justifié. Depuis que depuis 1991, la France envoie ses armées dans différentes opérations extérieures (OPEX) de plus en plus éloignées de la défense du territoire, le suivi des anciens combattants, qui sont maintenant des soldats d'une armée professionnelle et non plus des conscrits, change de nature et rendra plus difficile le travail de mémoire.

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