République contre démocratie : comment Sarkozy reconstruit une vision pour la droite<!-- --> | Atlantico.fr
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"La République ne se confond pas avec la démocratie", a déclaré Nicolas Sarkozy le 7 novembre.
"La République ne se confond pas avec la démocratie", a déclaré Nicolas Sarkozy le 7 novembre.
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Pas si antinomique

Le meeting de Nicolas Sarkozy le 7 novembre n'a pas seulement été l'occasion pour lui de décrire le fonctionnement du parti qu'il souhaite à la place de l'UMP, mais également de mettre en perspective la vision qu'il souhaite pour le droite. Et si l'opposition entre "république" et "démocratie" peut paraître énigmatique, voire sujette à interprétation, son sens politique est quant à lui à la fois astucieux et très concret.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Benoît de Valicourt

Benoît de Valicourt s’inscrit dans la tradition du verbe et de l'image. Il travaille sur le sens des mots et y associe l'image réelle ou virtuelle qui les illustre. Il accompagne les acteurs du monde économique et politique en travaillant leur stratégie et leur story-telling et en les invitant à engager leur probité et leurs valeurs sur tous les territoires. 
 
Observateur de la vie politique, non aligné et esprit libre, parfois provocateur mais profondément respectueux, il décrypte la singularité de la classe politique pour atlantico.fr et est éditorialiste à lyonmag.fr
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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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"Les 1 000 petites fêlures se rassemblent aujourd'hui pour devenir une grande fracture. (...) La République ne se confond pas avec la démocratie. La République, c'est une morale et elle ne doit reconnaître aucune communauté. Elle ne reconnaît que des citoyens égaux en droit et en devoir. La démocratie est divisible, la République est indivisible"

Nicolas Sarkozy, Vendredi 7 novembre 2014

Atlantico : Alors que l'on a souvent tendance à penser que les deux notions se confondent, comment faut-il comprendre cette nuance dans les termes ? Quels enjeux profonds se cachent derrière ?

Christophe De Voogd : Cette partie est sans doute la plus énigmatique du discours, qui est par ailleurs techniquement remarquable. Enigmatique, car pour l'historien que je suis, la République est la forme dans laquelle la démocratie s'est réalisée en France. Opposer les deux est donc effectivement  surprenant, voire inquiétant. On peut l'interpréter comme la "patte" d'Henri Guaino qui est davantage ancré dans la tradition de la 5ème que dans la 3ème république : démocratie dans son esprit signifie certainement "démocratie libérale". Une sorte d’opposition entre une république d'autorité qui est du goût d'Henri Guaino, et un pluralisme libéral qu'il appelle le "communautarisme". Il vise par-là les libéraux à l'anglo-saxonne, et/ou les tenants de la "Pensée 68", favorables à une démocratie libertaire.

Mais cette ambiguïté pourrait être grave : Nicolas Sarkozy prête ainsi le flanc à une attaque sur le thème du "discours liberticide !" que ne manqueront pas d’entonner les médias. Il est impératif qu’il soit plus clair sur le sujet.

Benoît De Valicourt : Dans l’absolu, Nicolas Sarkozy a raison de dissocier les deux termes puisque la démocratie est une organisation politique dont la souveraineté appartient au peuple et la république est l’organisation publique de la société où le pouvoir n’est pas détenu par un seul et n’est pas héréditaire. Par exemple, la Belgique est une monarchie où le peuple est souverain, la France est une république et le peuple est aussi souverain. L’histoire de France joue en faveur des amalgames ; l’Ancien Régime était une monarchie absolue et le peuple n’était pas souverain mais à partir de 1789, la France devient une république et le pouvoir est transféré aux citoyens (mâles !). Il est donc facile de confondre république et démocratie alors qu’une république peut être tout sauf démocratique et, de l’autre côté du Rideau de fer des millions de personnes peuvent en témoigner. Il est plus compliqué d’opposer démocratie et république sauf à rajouter le terme populaire pour renforcer la notion démocratique mais la redondance ne trompe personne.

Si en effet, la république peut ne pas se confondre avec démocratie, la démocratie peut se confondre avec république comme elle peut se confondre avec monarchie ou avec d’autres organisations publiques de la société à partir du moment où le peuple est souverain et donc libre d’accepter le régime qui lui est proposé.

En réaffirmant que la République est indivisible, Nicolas Sarkozy cite Charles Péguy qui disait « La République est une et indivisible, voilà ce qui est sorti de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est de cette République-là que nous sommes républicains » mais il ne rappelle pas que si la République est une et indivisible c’est par l’organisation publique de la société sur un territoire donné et défini comme entité unique.

L'ancien président a pointé du doigt ceux "qui veulent la démocratie sans la République", par opposition à "ceux qui, comme nous, veulent la démocratie et la République". Vouloir la démocratie sans la République, qu'est-ce que cela signifie ? Qui dénonce-t-il ainsi ?

Christophe de Voogd : Eh oui et c’est bien là je m’y perds ! Sarkozy souhaite à la fois la république et la démocratie, il revient donc sur sa propre opposition des deux termes. Je peux me tromper mais je pense qu’il y a dû y avoir une grosse discussion sur cette articulation "démocratie/république" entre Sarkozy et Guaino. En tout cas on arrive à deux énoncés contradictoires, ce qui n’est jamais bon ! Le professeur de speechwriting que je suis ne peut s’empêcher de penser qu’il y avait une solution au dilemme, à la fois satisfaisante politiquement et efficace rhétoriquement : opposer "la démocratie sans la République" à "la démocratie dans la République" ! Mais la vie politique va toujours trop vite…

Benoît De Valicourt : Nicolas Sarkozy pointe-t-il les monarchistes de ce pays ? Sérieusement, ils ne sont pas assez nombreux pour mettre en péril la République ! en revanche, il semble dénoncer les "corrompus" de la République qui sont davantage attachés aux valeurs de la démocratie garantissant leur présomption d’innocence qu’à l’exigence des valeurs de la République quand on la sert ou quand elle garantit nos droits. Nicolas Sarkozy se veut le défenseur d’une République irréprochable garantissant droits et devoirs des citoyens. Il dit : "Ce qui fait une nation, ce n’est pas simplement le multipartisme, les élections libres et la liberté d’expression, les droits de l’homme …", ce qui sous-entend que c’est la République qui fait la nation bien plus que la démocratie. Cela peut surprendre, d’autant qu’on parle volontiers de la France comme d’une grande nation démocratique bien plus que d’une grande nation républicaine. Il y a dans ce discours un mélange des genres ; d’un côté on retrouve l’ami des américains qui opposent républicains et démocrates mais qui sont avant tous unis sous le drapeau étoilé et d’un autre côté, on (re)découvre la culture du chef de droite dénonçant les limites de la démocratie bousculant l’ordre, la droiture, l’exemplarité. Ce discours du 7 novembre à la porte de Versailles est à décrypter avec la plus grande précision tant il dénonce l’évolution de la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

En ralliant les adhérents UMP et une partie des Français sous la bannière de la République, en quoi peut-on dire que Nicolas Sarkozy est parvenu à reconstruire une vision pour la droite ?

Christophe de Voogd : Du point de vue "technique", plusieurs raisons permettent de dire que ce discours est un coup de maître. Premièrement, il réussit à contrecarrer une chose très peu remarquée mais dévastatrice qui est la mainmise sémantique sur la thématique républicaine par Marine Le Pen. Depuis deux ans, elle utilise le terme "République" ou ses dérivés dans chacun de ses discours. Il était donc fondamental pour la droite de récupérer cette thématique républicaine.

Deuxième coup de maître : reprendre au nom de la droite la thématique républicaine que la gauche souhaite également s'accaparer (il suffit pour s'en rendre compte d'écouter le moindre discours de Bernard Cazeneuve, mais il n'est pas le seul). Sarkozy souhaite donc affirmer la force d'une droite républicaine, enjeu capital depuis la naissance de la République et la force historique d’une droite antirépublicaine de Maurras à Vichy (au moins !).

Troisième coup de maître, le discours est un argumentaire historique, un discours largement justifié, comme l'idée que la République, c'est l'autorité, idée que l'on retrouve chez Clémenceau et Jules Ferry. Comme l’idée aussi que la République ne renie pas les "racines chrétiennes" de la France. Clémenceau encore, peu suspect de catholicisme militant: "La France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal". Ou encore le fait que, depuis la Révolution Française, la République est bel et bien assimilationniste : et ce, à l’égard des provinciaux, à l’égard des minorités comme à l’égard des immigrés ; et ce, de Barrère en l’an II jusqu’à Chevènement aujourd’hui ! Autrement dit la République en France a toujours compris l'égalité comme "le droit à la ressemblance" ("Tu es étranger mais tu peux –et dois - devenir un Français comme moi" et non comme "le droit à la différence" ("Tu es étranger et tu peux le rester comme Français").

Il reste une erreur majeure dans ce discours, et qui est due à la lecture "hyper-gaullienne", en fait bonapartiste, de la République par Henri Guaino, c'est que la République, et notamment la 3ème, mais aussi avec le rôle du Conseil constitutionnel, la Vème, signifie peut-être avant tout la garantie des grandes libertés démocratiques : presse, association, grève, etc.

Benoît De Valicourt : Deux jours après son discours, Nicolas Sarkozy n’est bien entendu pas parvenu à reconstruire une vision pour la droite, seul le Figaro peut s’en convaincre. En revanche, l’ancien Président de la République définit une ligne qui s’inspire de la radicalisation de la droite après la crise du 6 février 1934. Au moment de cette crise majeure qui ébranla nos institutions, Marcel Déat, député de la SFIO écrivait : "Le 6 février, Place de la Concorde, il y avait des réactionnaires, des fascistes, des petites troupes organisées et courageuses, oui ; mais il y avait aussi une foule énorme de braves gens qui n’avaient pas d’opinion politique mais qui, par contre, avait des sujets de mécontentement et de colère. Il y avait même des radicaux et des socialistes et s’ils manifestaient, c’était contre les saligauds qui déshonorent la République".

On retrouve cette même revendication de défense de la République face au désordre, aux affaires, à la colère, au chômage … L’histoire est un éternel recommencement, c’est d’une consternante banalité, mais ce qui l’est moins, c’est que le recul devrait nous permettre d’imaginer autre chose que les réponses que nous avons déjà connues. En développant un tel discours, Nicolas Sarkozy appelle à un renouveau de la droite basé sur ce qu’elle a de plus conservateur, rappelant l’héritage chrétien, l’indépendance de la nation dans l’Europe, le libéralisme économique et la valeur du travail, l’âme et la culture françaises, les bons et les mauvais citoyens selon qu’ils sont assistés ou contribuables.

En 2012, le principal reproche fait à Nicolas Sarkozy était de chasser sur les terres du FN et Patrick Buisson a été désigné comme le responsable de cette dérive droitière. Aujourd’hui, l’ancien maire de Neuilly va plus loin, il n’a pas besoin de dénoncer l’immigration, l’islam, les assistés sociaux, les maux de l’Europe, … Marine Le Pen lui a fait le boulot, les Français acceptent l’idée que la France "droitdelhommiste" relève du mythe de l’utopie. Nicolas Sarkozy peut, sans complexe, affirmer que le retour à la vraie France passe par une République une et indivisible, sous la bannière de l’ordre, de l’honnêteté et de la morale.

La société  française est-elle dans l'attente de cette vision portée vendredi soir par Nicolas Sarkozy ? Quels symptômes observe-t-on ?

Christophe de Voogd : Encore une fois, ce discours est un coup de maître au sens politique, car il répond évidemment à une attente de l'opinion, une attente d'autorité, d'assimilation et d'unité nationale. Ce qui est très "astucieux", c'est que ce discours permet de resituer ces besoins au sein même de la tradition républicaine, qui parle à tous les Français, et qui est un facteur de légitimation sans égal. Comment accuser de "crypto- fascisme" quelqu’un qui utilise 109 fois le mot de "République" dans le même discours ?

Benoît De Valicourt : Une partie de la société est sans doute dans cette vision parce que la crise, la baisse du pouvoir d’achat, l’immigration, l’insécurité, l’islamisme radical, la corruption, les magouilles, bref tout ce que dénoncent les droites, créent un sentiment de malaise et d’injustice. En même temps, cette situation déstabilise l’organisation de la société, renforce l’individualisme et menace les institutions qui ne sont plus reconnues comme les garantes de la République Française d’autant que les affaires, les dissimulations fiscales et autres n’incitent pas à l’exemplarité. Nicolas Sarkozy analyse parfaitement la situation, il n’y a pas de doute sur sa capacité d’opposant à dénoncer les maux de notre société. Mais il dénonce une situation qu’il a entretenue pendant plus de 25 ans et aujourd’hui après deux années consacrées à la lecture, aux conférences et à la réflexion, il pourrait incarner le changement dont la France a besoin … sauf que vendredi soir, Balkany, Guéant et d’autres assistaient à son meeting au cours duquel l’ancien Président de la République refusait catégoriquement le mensonge et que depuis novembre 2013 on peut voir sur tous les murs de France l’affiche du FN "Unis, les Français sont invincibles !" ; Et si Nicolas Sarkozy imaginait une autre droite qui ne lui serait pas soufflée par les conservateurs cachés derrière le buisson ?

En effet, république et démocratie ne se confondent pas ! La démocratie (moderne) est une organisation politique qui confère au peuple le pouvoir de décider des finalités (par exemple : la France des prochaines années sera-t-elle socialiste ou libérale ?) en choisissant ses représentants qui sont censés mettre en œuvre ces finalités. La démocratie est fondée sur l’égalité de tous les individus adultes, égalité non en intelligence ou en compétence, mais en bon sens, réalisme, et conscience morale. Tandis que la république désigne une forme de communauté et de solidarité, et peut cohabiter avec toutes sortes d’organisations politiques. La république, en effet, est une morale et non une politique ! Elle n’admet pas les communautés intérieures tandis que la démocratie peut les admettre, par exemple.

L’ancien président veut simplement dire ce qui est politiquement correct quand on est français : il faut dire qu’on est à la fois démocrate et républicain, c’est à dire à la fois pour la liberté et pour la solidarité. Qui oserait se dire républicain et non démocrate ? qui oserait se dire démocrate et non républicain ? on ne serait jamais élu ! En France, nous avons en ce moment de graves soucis pour le maintien de la république, avec les ruptures sociales décrites par exemple par le superbe livre de Christophe Guilluy (Cicéron décrivait déjà la même chose dans l’histoire du songe de Scipion : une république est perdue quand on trouve dans le pays deux peuples au lieu d’un, comme celui qui voyait deux soleils dans le même ciel…). Il faut donc absolument défendre la république. Mais il faut aussi défendre la démocratie, sinon on passe dans le camp des ayatollas.

Nicolas Sarkozy ne reconstruit aucune vision pour la droite ! Il n’a aucune conviction ! C’est un politicien qui veut retrouver le pouvoir et qui dira ce qu’il faut pour cela ! S’il avait effectivement une « vision », cela se serait vu auparavant… Un politique qui porterait une vision pour la droite serait celui qui décrirait des réformes structurelles profondes comme par exemple le chèque scolaire. De mon point de vue, seul Hervé Mariton porte vraiment des convictions de cet ordre.

Chantal Delsol

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