Pauvreté des seniors, le retour : la fin de la parenthèse enchantée pour les retraités <!-- --> | Atlantico.fr
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Le taux de pauvreté des plus de 50 ans augmente.
Le taux de pauvreté des plus de 50 ans augmente.
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Retour vers le futur

Selon le rapport annuel du Secours catholique paru jeudi, 8,5 % des personnes aidées par l’organisation caritative avaient plus de 60 ans en 2013, contre 5 % en 2000. Sans croissance, sans amélioration du taux d’emploi, sans recul de l’âge de départ à la retraite, il y aura obligatoirement un nervous breakdown avant 2030, car d’ici là, la France passera de 15 à 20 millions de retraités.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Si les seniors ont longtemps été tenus plus éloignés de la pauvreté que l'ensemble de la population, est-ce encore le cas ? Quelle proportion des personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté représentent-ils ?

Philippe Crevel : Depuis les années soixante-dix, nous avions oublié que retraite pouvait rimer avec précarité. En effet, un effort important avait été à l’initiative du Président Valéry Giscard d’Estaing pour améliorer la situation des plus âgés d’entre nous. Ce processus s’est poursuivi jusque dans les années 90. Il reposait sur de fortes revalorisation du minimum vieillesse et sur l’amélioration des petites pensions en particulier en ce qui concerne les femmes.

L’allongement de la durée de vie avec son corollaire l’isolement associé à la crise économique commence à se faire ressentir et peut laisser penser que l’âge d’or des retraites est derrière nous.

Le Secours catholique, dans son dernier rapport souligne que la part des seniors dans ses centres d’accueils a fortement augmenté ces dernières années, passant de 5 % pour les personnes de plus de 60 ans en 2000 à 8,5 % en 2013. Il faut relativiser ce chiffre en prenant en compte le vieillissement de la population conduisant à une augmentation des plus de 60 ans au sein de la population française.

La dégradation est encore plus nette pour les 50-59 ans dont la part est passée sur la même période de 13 % à 17 %. Elle traduit la montée en puissance du chômage des seniors et la précarisation des actifs âgés qui ne peuvent pas encore liquider leurs droits à retraite, droits qui seront réduits du fait de longue période de chômage.

Le Secours catholique indique que les personnes âgées qui viennent demander de l’aide habitent dans des petites villes et vivent seuls. C’est l’éloignement et la solitude qui combinés avec de faibles moyens plongent certains seniors dans la précarité.

Au-delà du rapport du Secours catholique, la situation actuelle des plus de 60 ans est assez contrastée. En effet, le taux de pauvreté des retraités était de 8,4 % en 2012. Pour les personnes de plus de 65 ans, ce taux est de 9,3 %. Cela signifie que 8,4 % des retraités vivent avec moins 987 euros par mois. Cela concerne 1,127 millions de personnes. Le taux de pauvreté pour l’ensemble de la population était de 13,9 % en 2012 soit 8,5 millions de personnes. Ce taux monte à 19 % chez les étudiants et à 37 % chez les demandeurs d’emplois.

Les retraités du fait de la régularité de leurs revenus disposent d’un niveau de vie supérieur à celui des actifs. Ainsi, en 2011, le niveau de vie moyen par des actifs atteignait 2 193 euros pour 2214 euros pour les retraités. Le niveau de vie est calculé en prenant en compte le revenu disponible, incluant les revenus du patrimoine, les loyers imputés aux propriétaires et aux personnes logées gratuitement nets des intérêts d’emprunt.

Comment a évolué la part des seniors précaires (vivant en-dessous du seuil de pauvreté) ces 10 dernières années ? Comment a évolué leur revenu moyen sur la même période ?

Le taux de pauvreté des plus de 65 ans a fortement chuté dans les années soixante-dix. Il est ainsi passé de 35 à 15 % de 1970 à 1980. Il est passé en-dessous de 10 % au milieu des années 80 et est resté entre 8,5 et 10 % depuis. Le taux de pauvreté des retraités et surtout des plus de 65 ans est en légère hausse depuis 10 ans tout comme celui de l’ensemble de la population.

Le niveau de vie moyen des retraités est passé de 1806 à 1966 euros par mois de 2004 à 2011. Le montant moyen des pensions perçues par les retraités est sur la même période est passé de 1029 à 1256 euros. Il est à souligner que le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse est en-dessous de 600 000. Ils étaient plus de 3 millions en 1970. 

Les pensions des retraités continuent à augmenter par un effet appelé noria. Les hommes et les femmes qui liquident leurs droits à la retraite constitués ces quarante dernières années remplacent des générations qui avaient peu cotisés et dont les pensions étaient faibles. En revanche, si on met de côté cet effet de remplacement générationnel, le pouvoir d’achat des retraités a tendance à diminuer ces dernières années en raison de l’augmentation des prélèvements et des faibles revalorisations des pensions.

Ces chiffres sont-ils à mettre en perspective avec le taux de chômage chez les seniors ? Quel est ce taux ? Quelle est la part de chômage structurel et conjoncturel ?

Le taux de pauvreté des plus de 50 ans augmente légèrement. Il est passé pour les hommes de 10,2 à 10,9 % de 2007 à 2012. Pour les femmes, ce taux est passé de 11,2 à 11,9 %. Le taux de chômage des seniors  de plus de 55 ans augmente fortement depuis deux ans. Il s’élevait à 7,4 % en 2012 contre 5 % en 2005. Sur ces douze derniers mois, le chômage des plus de 50 ans a augmenté de 11 %.

Si la situation des seniors reste meilleure que la moyenne de la population, en revanche, ils sont en première ligne pour les licenciements ; en outre, ils éprouvent les pires difficultés pour retrouver un emploi. La durée moyenne du chômage pour les plus de 50 ans était de 502 jours au mois de septembre, en progression de 37 jours en un an.

Cette dégradation du marché de l’emploi pour les plus de 50 ans est imputable au ralentissement économique. Comme les salariés les plus âgés ont les salaires les plus hauts, il est évidemment tentant pour les employeurs de licencier les plus de 50 ans pour réduire leur masse salariale. Par ailleurs, le sous-emploi des seniors est de nature structurelle.

Le taux d’emploi des plus de 54 ans est un des plus faibles d’Europe même s’il a fortement augmenté depuis 1998. Le taux d’emploi des 54-65 ans est ainsi passé de 28 à 45 %. Ce taux est en moyenne de 48 % en Europe et est supérieur à 50 % en Allemagne. En France, les actifs souhaitent partir tôt à la retraite, autour de 60 ans. Ils sont sur ce sujet en accord avec les employeurs qui souhaitent mettre à la retraite le plus tôt possible leurs salariés. Il y a une antienne en vertu de laquelle un salarié âgé est moins productif qu’un jeune. Or, aucune étude ne prouve cette croyance.

L'accès à la propriété pour les seniors est-elle encore un rempart face à la pauvreté ?

La possession de sa résidence principale est un atout maître contre la précarité. Plus de 75 % des retraités sont propriétaires. Si le niveau de vie des retraités est équivalent à celui des actifs, c’est grâce à la possession de leur logement. Les retraités d’aujourd’hui ont pu, bien souvent, acquérir leur logement dans les années 70, 80 ou 90. Ils ont pu acheter en période de croissance et d’inflation ce qui a réduit d’autant les charges de remboursement. Les retraités locataires consacrent une part plus importante de leurs revenus à leur logement que les propriétaires. Or, ces dernières années, les loyers ont eu plutôt tendance à augmenter.

Certes, le Secours catholique signale que 12,4 %, en 2013 des plus de 60 ans qui viennent dans les centres d’accueil sont propriétaires. Ils n’étaient que 10 % en 2010. De plus en plus de personnes éprouvent des difficultés financières pour entretenir des logements devenus trop grands ou nécessitant des travaux importants.

Et la cellule familiale, dans la présente conjoncture ?

Les seniors, et tout particulièrement les retraités, sont aujourd’hui financent leurs enfants et leurs petits-enfants. La solidarité joue dans ce sens jusque vers 80 ans. Au-delà de cet âge, l’isolement et la dépendance modifient la donne.

En 2003, sur les 15 000 morts de la canicule, essentiellement des personnes très âgées, environ 2000 étaient sans famille ; leurs corps n’ont même pas été réclamés. Les personnes âgées en situation de précarité sont bien souvent des femmes du fait de leur espérance de vie plus longue. Ce sont des femmes qui ont eu des vies familiales et professionnelles complexes.

Il y a accumulation des difficultés. C’est moins la conjoncture que le délitement des liens sociaux qui expliquent la montée de la précarité chez les personnes âgées.

Au-delà de la crise, comment expliquer qu'en quasiment une génération la situation des seniors se soit délitée ? Dégradation du marché du travail, des caisses de retraite et de retraite complémentaire... Quels ont été les déclencheurs ?

Les problèmes sont devant nous. Nous savons tous que de nouvelles mesures seront prises pour maitriser les dépenses de retraite. Le gel des pensions entamé en 2013 tout comme la faible ou l’absence de revalorisation des salaires servant au calcul des pensions auront de fortes incidences sur le pouvoir d’achat des retraités dans les prochaines années.

Plusieurs études menées notamment par Florence Legros prouvent qu’une remontée du nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse est possible à moyen terme tout comme le taux de pauvreté. L’augmentation des durées de chômage et la stagnation des salaires pourraient gravement nuire au pouvoir d’achat des futurs retraités. Sans croissance, sans amélioration du taux d’emploi, sans recul de l’âge de départ à la retraite, il y a obligatoirement du nervousbreakdown avant 2030 car d’ici là la France passera de 15 à 20 millions de retraités.

Si la réforme des retraites était une nécessité, les seniors en ont-ils aussi payer le lourd tribu ?

Les retraités ont été mis à contribution depuis 2012. Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait étendu la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie de 0,3% aux retraités.

La majoration de 10 % des pensions pour les retraités ayant et trois enfants a été fiscalisée. Par ailleurs, les pensions de base et complémentaires sont gelés depuis 2013. A cela, il faut ajouter la suppression de la demi-part attribué aux veufs et veuves décidée par l’ancienne majorité mais qui a été totalement appliquée cette année. En tout, les retraités subissent un manque à gagner de plus de 4 milliards d’euros.

Propos recueillis parFranck Michel / sur Twitter

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