Luxleaks : les pistes concrètes pour venir à bout des pratiques fiscales déloyales du Luxembourg (et du capitalisme dévoyé en général)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pieds de Jean-Claude Juncker.
Les pieds de Jean-Claude Juncker.
©Reuters

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40 médias internationaux dont Le Monde s’appuient sur des documents obtenus par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) pour dénoncer des accords passés entre le Luxembourg et 340 multinationales dont l'objectif est l'évasion fiscale.

Eric Vernier

Eric Vernier

Eric Vernier est Maître de conférences à l'ISCID-CO, Chercheur à l’IRIS, Auteur de « Techniques de blanchiment et moyens de lutte » chez Dunod, 2017, 4e édition.

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Atlantico : Concrètement, comment procèdent ces entreprises qui s'adonnent au "tax ruling" ? Quel est le montant du manque à gagner pour les États européens ?

Eric Vernier : Le principe est simple. Les entreprises font en sorte de dégager leurs bénéfices dans les pays les moins taxés, les fameux paradis fiscaux et en l’occurrence le Luxembourg. Les multinationales ont deux grands principes pour y parvenir.

Le premier est de générer des charges élevées (achats, royalties,..) là où l’impôt est lourd. Le bénéfice est alors faible voire négatif. En revanche ces mêmes sociétés vont dégager des bénéfices très élevés dans les paradis fiscaux et donc ne pas payer d’impôt.

Le second est encore plus simple : les sociétés de facturation et d’encaissement sont localisées directement sur ces territoires. C’est le cas d’Apple qui reçoit les paiements de sa plateforme iTunes au Luxembourg.

Vous imaginez bien que cette présentation très simple suppose en fait des montages de sociétés parfois extrêmement complexes, et encouragés par des mesures incitatives des pays concernés ou comme dans ce dossier par des accords directs entre le pays et les entreprises.

Le manque à gagner pour les pays européens est considérable. J’avais déjà dit en 2012 que rien que pour les quelques entreprises du net en France, c’était une perte fiscale annuelle d’un milliard d’euros. Pour les États-Unis, l’estimation de l’OCDE est d’environ 1 600 milliards d’euros de bénéfices accumulés non déclarés, soit une perte globale de plus de 500 milliards.

Quels sont les grands groupes français concernés ?

Ce sont dans cette affaire essentiellement des groupes américains qui sont concernés. Mais ce type de montage concerne toutes les multinationales mondiales. Les Françaises vont choisir d’autres cieux, souvent plus éloignés de l’Europe par souci de discrétion.

Le dossier LuxLeaks cite cependant AXA, CNP Assurances, BNP, BPCE, LVMH,… Mais des raisons parfaitement légales peuvent aussi expliquer leur présence, notamment en ce qui concerne les constitutions de titres financiers, particulièrement efficaces au Luxembourg.

On parle déjà de "Luxembourg Leaks", ce qui n'est pas sans embarrasser Jean-Claude Juncker. La Commission s'est d'ailleurs dite prête à sanctionner le Luxembourg, s'il y a lieu. En l'état actuel de la législation européenne en l'espèce, quelles mesures pourraient prendre la Commission contre le Luxembourg ?

Je ne vois pas bien ce que pourrait faire la Commission. C’est encore une déclaration martiale sans grand intérêt, destinée à calmer le peuple, exaspéré par la litanie des affaires, notamment en France. Une enquête est en cours et pas seulement sur le Luxembourg.

Mais quelles pourraient être les sanctions ? un avertissement, un blâme ? La Commission est sans véritable recours...

Peut-elle être amenée à légiférer via le triangle institutionnel européen pour pousser le Luxembourg à abandonner la pratique du "tax ruling", ou tout du moins à l'encadrer ? Face au rapport de force que semble engager le Luxembourg, l'Europe doit-elle également répondre par la force ?

L’Europe doit certainement être beaucoup plus rigoureuse dans sa démarche vertueuse de lutte contre la fraude fiscale, mais je pense qu’elle n’en a pas réellement les moyens. Trop de pays sont concernés directement ou indirectement. Certains sont comme le Luxembourg des paradis fiscaux et bancaires, d’autres ont besoin de ces territoires sur un plan financier ou diplomatique. N’oublions pas que la France est un paradis patrimonial pour certains étrangers, dont les ressortissants des pays du Golfe. Les Qatari par exemple ne paient pas de taxes sur les plus-values immobilières à Paris.

D’autre part, le secteur bancaire et financier est trop puissant pour que l’on s’y attaque vraiment. La finance représente par exemple à elle seule 46 % du PIB luxembourgeois et la City à Londres draine 13 % du PIB du pays.

Il est souvent répété que l'encadrement de la fraude fiscale ne peut intervenir que dans un cadre international, de manière concertée. Dans ce cas de figure idyllique, quelles mesures pourraient être engagées ? Soutenues par quelles instances ?

C’est un cas de figure idyllique certes, mais c’est la seule réponse. Or, elle est impossible à mettre en œuvre totalement.

La première mesure a été prise… sur le papier : c’est l’échange d’informations entre les pays sur les détenteurs de comptes bancaires. Mais ce sera long à réaliser et surtout, les informations concernées ne sont que parcellaires. Par ailleurs, il faudra procéder à des accords bilatéraux.

La deuxième mesure serait locale, par un contrôle plus efficace, grâce aux nouvelles technologies, des flux financiers notamment entre entreprises. C’est aussi réformer la TVA intracommunautaire qui draine une grande partie de la fraude fiscale en Europe. Mais il faut en tout état de cause une véritable volonté politique partagée par tous.

Comme le soulignait Charles Gave, il est aisé de confondre libéralisme et capitalisme dévoyé. Sommes-nous dans un cas de figure de capitalisme dévoyé ou l'exil fiscal a-t-il aussi des bienfaits cachés ? L'Europe et ses instances n'ont-elles pas aussi intérêt à la préservation de ces paradis fiscaux, comme Jersey ?

Les paradis fiscaux ont leur utilité, car ils présentent aussi l’avantage de la discrétion bancaire, pour utiliser un euphémisme. Certains États y ont des comptes qui permettent de financer des groupes de résistants dans les pays en guerre ou les dictatures. Les gouvernements les utilisent aussi à des fins diplomatiques (commissions occultes,  financements,…).

Enfin, comme je l’ai déjà indiqué, certains pays non paradisiaques possèdent des territoires opaques. Lorsque l’on parle des paradis fiscaux des Caraïbes, on trouve de nombreux territoires britanniques ou néerlandais. Le Prince d’Andorre n’est autre que François Hollande, Président de la République française.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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