Proportionnelle intégrale en vue : l’histoire de 30 ans de liaisons incestueuses entre le PS et le FN<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande pourrait annoncer ce jeudi l'instauration d'une proportionnelle totale pour les prochaines élections législatives.
François Hollande pourrait annoncer ce jeudi l'instauration d'une proportionnelle totale pour les prochaines élections législatives.
©Reuters

A jouer avec le feu, on se brûle !

François Hollande pourrait annoncer jeudi 6 novembre l'instauration d'une proportionnelle totale pour les prochaines élections législatives. Et ce, alors qu'un sondage de l'Ifop (réalisé pour i>TELE et Sud Radio) annonce que si l'élection se tenait dimanche, la gauche n'accéderait pas au second tour dans tous les cas, tandis que Marine Le Pen arriverait systématiquement en tête.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : En 1981, la proposition d'une proportionnelle totale figurait déjà dans le programme de François Mitterrand. Elle ne fut cependant effective qu'en 1986, après la défaite essuyée par le Parti socialiste aux cantonales de 1985. 35 députés du Front national furent élus à l'Assemblée, mais au détriment de qui ? Peut-on considérer que l'instauration d'une dose de proportionnelle par la gauche s'est faite par opportunisme politique ? 

Jean Petaux : Du point de vue de l’agenda politique le « timing » correspond assez bien à celui que vous rappelez : une annonce en 1984, une loi adoptée en 1985 (qui provoque le départ de Michel Rocard du gouvernement Fabius), pour un premier effet au scrutin législatif de 1986.

Nous sommes, pratiquement dans le même tempo, avec une légère avance cette fois-ci. Puisque vous rappelez le choix de Mitterrand dans les années 80, il est évident que si la proposition figurait dans ses « 110 propositions » du candidat Mitterrand à la présidentielle de 1981, elle ne pouvait s’appliquer qu’aux élections législatives suivantes, celles de 1986. Il est donc toujours quelque peu spécieux de voir dans l’adoption du scrutin proportionnel en 1985 une pure manœuvre politique.

A l’identique, dans les 60 propositions de François Hollande, pour l’élection de 2012, figure « l’instauration de la proportionnelle » (formule floue par excellence : intégrale ? une dose seulement ? avec quelles modalités pratiques ? en particulier concernant les seuils de représentation ? avec une « prime majoritaire » ou pas ?). D’un strict point de vue formel, on ne peut pas dire alors que les deux présidents socialistes élus (si tant est que François Hollande confirme l’intention que vous évoquez) auront pris les Français par surprise.

Les socialistes ont toujours été, presque culturellement, hostiles au scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours (actuellement en vigueur). La SFIO, sous la IVème République, a pu participer aux majorités gouvernementales (et même voir son leader, Guy Mollet, battre le record de longévité à la présidence du Conseil, entre 1956 et 1957) uniquement que par la grâce de la proportionnelle. C’est bien la raison pour laquelle le général de Gaulle tout occupé à vouloir en finir « avec le régime des partis qui a causé tant de mal » (sic) n’aura de cesse, dès 1958, de changer le mode de scrutin en vigueur pour les législatives. Elu à l’Elysée, François Mitterrand qui ne manquait pas de pragmatisme (et d’opportunisme) se félicitera en privé du mode de scrutin pour l’élection des députés en juin 1981. Mode de scrutin qu’il aura constamment critiqué et dénoncé pendant ses 23 années d’opposition, depuis 1958. Il s’en félicita en 1981 parce que ce système, tant décrié, lui apporta, sur un plateau, une majorité absolue de députés socialistes au Palais-Bourbon et qu’il se paya même le luxe de faire entrer quatre ministres communistes dans le deuxième gouvernement Mauroy alors qu’il n’avait pas besoin des voix des députés PCF pour obtenir une majorité parlementaire « à sa main ».

Il reste qu’adopter une représentation proportionnelle quand on sent la défaite poindre comporte un fort parfum de « tripatouillage » de la règle du jeu. Faire rentrer 35 députés FN à l’Assemblée nationale en mars 1986 était, à l’évidence, un « coup » du futur président de la première cohabitation. C’était, sinon gêner la droite chiraco-barriste (de fait cela n’empêcha pas la droite parlementaire de gouverner et l’extrême-droite n’eût qu’un rôle mineur pendant les deux ans où elle a siégé) du moins empêcher que la victoire du RPR allié à l’UDF ne soit écrasante en offrant donc un espace de jeu à ce grand tacticien de Mitterrand.

Est-ce à cela que songe François Hollande ? Ce n’est pas impossible. C’est d’autant plus plausible que la proportionnelle présente une dimension « juste » que le scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours ne possède pas puisqu’il élimine de la représentation parlementaire toute formation politique isolée qui ne bénéficie pas de reports de voix au second tour. C’est ainsi que le FN n’a obtenu que deux députés depuis 2012 alors que Marine Le Pen, à la présidentielle de 2012, un mois auparavant totalisait sur son nom plus de 6,4 millions de voix (soit près de 18% des suffrages exprimés). Il n’est donc pas très difficile de convaincre l’électorat du « bien-fondé » de la proportionnelle. J’ajoute que ce mode de scrutin dès lors qu’il suppose un système de listes permet d’introduire la parité « femmes-hommes » et augmenterait donc mécaniquement la proportion de députées à l’Assemblée. Ce qui ne peut qu’être apprécié du corps électoral (et pas seulement de la partie féminine de celui-ci).

Toutes ces raisons apparemment « objectives » et « justes » peuvent être mises en avant et masquer ainsi une autre couche de « raisons pratiques » plus « subjectives et malignes » : affaiblir l’UMP, perturber fortement le fonctionnement de l’Assemblée avec un groupe FN compris entre 100 et 150 députés, imposer une sorte de « grande coalition » entre une partie de l’UMP et une partie du PS, au centre du jeu politique qui serait bornée à droite par une forte extrême-droite et à gauche par une extrême-gauche réduite. Recréer en somme une sorte de « Troisième force » modèle IVème République… Et, pour le président Hollande, une certaine respiration, si, d’aventure, l’Assemblée nationale était dissoute en 2016, avec ce nouveau mode de scrutin… Mais tout cela, bien sûr, relève de la politique fiction…

Car la vraie différence avec 1986 se situe aussi au niveau du calendrier. La proportionnelle mise en place par Mitterrand en 1986 pour la nouvelle Assemblée était destinée à lui permettre de tenir deux ans avant la présidentielle de 1988. Pour François Hollande, sauf à imaginer qu’il procède à une dissolution, il n’aurait pas le même intérêt à introduire la proportionnelle pour les législatives puisque, si la XIVème législature va à son terme celui-ci adviendra un mois après la présidentielle de mai 2017…. Présidentielle à laquelle on ne sait si l’actuel président se représentera, et si dans le cas d’une nouvelle candidature, on ignore s’il sera réélu (voire s’il figurera au second tour…). D’où l’intérêt quand même de corréler un éventuel changement de mode de scrutin législatif avec une non-moins éventuelle dissolution de l’Assemblée programmée en 2016…

A l'époque, les liens entre FN et PS existaient-ils (chez les cadres) ? Comment ont-ils évolué ? 

Je ne pense pas qu’il y ait eut des liens entre le FN et le PS à l’époque…. En 1986 en revanche, en Gironde, on vit apparaître une liste étrange conduite par une dénommée Pierrette Le Pen, première femme du président du FN (elle avait quitté le domicile conjugal en octobre 1984), qui se présenta dans ce département avec un objectif à peine caché : réduire, par l’ambiguïté du patronyme, le score du FN (« canal Jean-Marie »).

Cela n’empêcha pas justement le FN d’obtenir deux députés en Gironde cette année-là. Pierrette Le Pen fit un score ridicule mais le phénomène du report des voix des petites listes non admises à la répartition des sièges (puisqu’ayant obtenu un score inférieur à 5% des SE) a conduit à ce que les quelques voix de Pierrette Le Pen et de ses colistiers renforcent les listes arrivées en tête (le PS d’un côté, le RPR allié à l’UDF de l’autre). Ce n’est certainement pas cela qui a permis au PS d’obtenir 4 députés à cette élection, mais, de fait, Gilbert Mitterrand, second fils du président de la République, député sortant du libournais élu en 1981, et 4ème sur la liste PS des législatives de 1986, fut réélu à l’Assemblée. Cela n’a peut-être pas aidé, mais cela n’a pas nuit non plus…

J’ajoute que la liste de Madame Pierrette Le Pen était l’objet de toutes les attentions de la part du préfet de la Gironde, préfet de la région Aquitaine, Georges Abadie, qui siégea ensuite au Conseil constitutionnel de mars 1992 à mars 2001, nommé par… François Mitterrand. On ne peut donc pas parler de liens, en l’espèce, entre le PS et le FN (c’est même tout l’inverse), mais plus précisément d’une candidature opportune, à l’extrême-droite, pour concurrencer le FN sur ses propres « brisées » avec une tête de liste d’autant plus connue qu’elle était l’ex-femme du leader montant du FN… Elle devait poser à moitié-nue en 1987 dans les pages de Playboy provoquant un mini-scandale alors. Il s’agit de la mère de Marine Le Pen.

Qu'a objectivement gagné le PS à la montée du FN ? 

Le vieil adage « les ennemis de mes ennemis en politique peuvent s’avérer mes amis » n’est pas que de pure forme. Cela s’appelle d’ailleurs « l’alliance objective »… Plus vous encouragez la montée en puissance d’une force politique voisine ou proche d’une autre et plus vous êtes à même de faire baisser l’influence de cette dernière. Autre exemple : dans les « parrainages » nécessaires pour pouvoir être candidat à l’élection présidentielle on a vu, en 2002, des maires socialistes ou sympathisants, apporter leur soutien à Jean-Marie Le Pen qui peinait, disait-il, à recueillir les 500 signatures.

Ces élus pensaient « bien faire » en aidant à la candidature du leader du FN pensant gêner ainsi celle de Jacques Chirac… Riche idée qui s’est terminée comme on le sait au soir du 21 avril pour Lionel Jospin doublé, à l’amorce de la ligne droite finale, par Jean-Marie Le Pen. En revanche on a vu des maires de droite, plus inspirés, multiplier leurs parrainages à des candidats trotskystes (de Laguiller à Gluckstein en passant par Besancenot) pour favoriser les candidats à l’’extrême-gauche et ainsi proposer une offre politique à la gauche du PS et du PCF… C’est classique et tactique.Le PS n’invente donc rien en favorisant une éventuelle poussée du FN. Sauf que cette stratégie comporte ses risques et ses limites… On a vu celles de la présidentielle de 2002, on peut aussi se remémorer la situation survenue dans certaines villes du sud-est de la France aux dernières municipales en mars 2014.

Si, en 1997, la présence d’au moins 80 « triangulaires » au second tour de l’élection législative (suite à la dissolution d’avril) a permis la victoire de candidats PS au détriment du RPR ou de l’UDF, il n’est pas dit que dans un futur proche, cette même configuration triangulaire ne joue contre le PS au profit de l’UMP…  Voire, tout simplement, en faveur des candidats FN…

Le FN chasse pourtant sur les terres électorales de la gauche. Le PS a-t-il sous-estimé la menace que cela représentait pour lui ? A-t-il d'ailleurs tiré les leçons du 21 avril 2002 ? 

Vous avez parfaitement raison de rappeler ces éléments bien réels. En fait désormais le FN chasse sur toutes les terres, aussi bien celles de la gauche que celles de la droite républicaine. En conséquence de quoi les « apprentis sorciers » et les « docteurs Mabuse » de la tactique électorale devraient plutôt se méfier. Il est une règle quasi-constante en matière de jeu sur la règle du jeu électorale : la plupart du temps les dispositions adoptées soi-disant pour ne pas perdre une élection se retournent complètement contre leurs auteurs et ne font que renforcer la victoire du camp censé être gêné par ces manœuvres…

Ainsi en 1983 : Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, maire de Marseille, sentant la défaite poindre sur sa bonne ville qu’il dirige d’une main de fer depuis 1953, fait adopter un statut spécial pour les trois métropoles les plus peuplées de France : Paris, Lyon et justement Marseille (statut PLM). Ce mode de scrutin qui va lui permettre de sauver son siège de maire de la cité phocéenne alors qu’il est minoritaire en voix sur la ville, va fonctionner d’extrême-justesse pour Marseille qui, grâce à ce tour de passe-passe, ne vire pas à droite. Mais aussi bien pour Paris que pour Lyon, le résultat va être spectaculaire. En 1983, Jacques Chirac fait son premier « grand chelem » et l’emporte dans 20 arrondissements sur 20… Gaston Defferre s’en est moqué. La seule chose qui comptait pour lui était de conserver la gestion de Marseille, mais la « facture politique » ne fut pas mince à payer pour les PS parisiens et lyonnais qui ne l’emporteront qu’en… 2001. 18 ans plus tard.

La relation entre le FN et le PS a-t-elle fini par profiter davantage au FN ? 

C’est encore trop tôt pour le dire… En tout état de cause, on sait déjà que la stratégie de Sarkozy en 2012 consistant à « droitiser » excessivement son discours pour séduire l’électorat FN a plutôt eu pour effet de profiter davantage à Marine Le Pen qu’à lui-même… S’il continue d’ailleurs son retour en politique sur la ligne qui est la sienne depuis 2 mois, cela ne va pas non plus nuire à la présidente du FN…

Comment le PS tente-t-il de reprendre la main, notamment vis-à-vis de son électorat ? (Cf. Benoit Hamon qui est venu apporter son soutien aux candidats socialistes de Hénin-Beaumont, tombée aux mains du FN)

Si Benoit Hamon a, dans un futur proche, une influence sur les sympathisants socialistes en particulier et sur le corps électoral en général, cela va constituer une des grandes nouveautés de la prochaine année électorale… Voilà donc un phénomène à suivre de très près, tant il est rare, dans la vie politique française, de voir survenir un fait nouveau…

Que peut-on attendre de l'introduction de la proportionnelle aux législatives de 2017 ? Quels seraient les avantages pour les deux parties ?

Si le FN devait obtenir une centaine de députés dans la nouvelle Assemblée (et ainsi, pourquoi pas  compte tenu de la défaite envisagée pour le PS, d’ avoir un groupe parlementaire supérieur au groupe socialiste)  il ne donnera rien en échange au PS…

Le gain du PS (s’il est battu en 2017) aura été alors, éventuellement, de faire en sorte que l’UMP n’ait pu sortir des urnes législatives de juin 2017 qu’avec une majorité relative à l’Assemblée, condamnant cette formation à passer des alliances pour créer une majorité… Avec le FN ou avec le PS ? Tout dépendra de qui (à l’UMP ?...) aura été élu à la présidence de la République un mois plus tôt en mai 2017…

En septembre dernier, lors d'un déplacement à Bologne en Italie, Manuel Valls a déclaré que "l'Extrême droite et Marine Le Pen sont aux portes du pouvoir". Jean-Christophe Cambadélis déclarait quant à lui que cela aurait pour conséquence "le chaos en France". En ressortant la proportionnelle des tiroirs, le PS tente de jouer sur la peur du FN d'un côté et de favoriser sa poussée électorale de l'autre. Mais une telle stratégie - si elle a pu par le passé faire ses preuves - peut-elle dans le contexte actuel être encore payante ? A fortiori quand un sondage tout neuf met Marine Le Pen en tête du 1er tour de la présidentielle et éjecte le PS du 2e tour ? 

Vous pointez parfaitement du doigt les limites d’une stratégie consistant à jouer avec les allumettes à côté d’une bonbonne de gaz qui fuit… Plus les cadres dirigeants du PS (ou de l’UMP d’ailleurs) ont tendance à agiter la « muleta » du FN devant les électeurs du PS (devant une partie d’entre eux pour être plus précis) pour les remobiliser et/ou leur faire peur, plus ceux-ci sont tentés de voter FN justement…

C’est une sorte de réflexe. Comme lorsqu’il suffit d’interdire ou de mettre en garde pour provoquer la tentation… Surtout quand votre discours habituel ne fonctionne plus et que les résultats de votre politique n’apportent pas satisfaction. L’argument de la « peur du FN » relève du « truc » comme lorsqu’on menace du loup l’enfant qui ne veut pas obéir… Favoriser objectivement, la montée du FN pouvait paraître jouable et tentant avec un FN à 10% des suffrages exprimés sur l’ensemble du territoire (c’était le cas en 1986) … Avec un FN qui peut dépasser les 20% aux prochaines législatives (compte tenu d’une abstention importante qui, mécaniquement, le fera monter en pourcentage), cela devient carrément un enjeu politique s’apparentant de fait à un jeu politique dangereux…

Propos recueillis par Sarah Pinard

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