Petites leçons de Scandinavie sur le lien entre socialisme et inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Une récente étude publiée par le Crédit suisse montre que les pays scandinaves sont les pays d'Europe où l'on constate le plus d'inégalités sociales.
Une récente étude publiée par le Crédit suisse montre que les pays scandinaves sont les pays d'Europe où l'on constate le plus d'inégalités sociales.
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Effet inverse

Une récente étude publiée par le Crédit suisse montre que les pays scandinaves sont les pays d'Europe où l'on constate le plus d'inégalités sociales. La hausse des inégalités est l'un des 15 risques mondiaux majeurs identifiés lors du dernier forum de Davos.

Henry Milner

Henry Milner

Henry Milner est chercheur invité au département de science politique a l’université de Montréal, où il est associé à la chaire de recherche du canada en études électorales. En 2004-2005, i a dirigé la chaire en études canadiennes à la Sorbonne. Il est notamment reconnu pour son expertise sur les pays scandinaves et dirige une école d'été sur ce thème

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Atlantico : Dans les pays du Nord de l'Europe, 10% de la population détient entre 65 et 69 % des richesses globales. Alors que ces pays, la Suède, la Danemark et la Norvège sont régulièrement pris comme modèles pour leur forte protection de la population, comment expliquer un tel niveau d'inégalités ?

Henry Milner : En général quand on parle des inégalités, et quand on compare les sociétés différentes, il est normal et préférable de parler de répartition des revenus. Ce qui nous intéresse, quand il s’agit des politiques redistributrices, c’est la capacité financière de l’Etat. Et celle-ci est basée sur la capacité à imposer les revenus et les achats. Donc c’est au moment où les richesses sont transformées en revenus qu’elles deviennent intéressantes pour l’Etat redistributeur.

Lire également : Les 10 risques qui menacent le plus le monde en 2015 selon les chefs d’entreprise de Davos

En ce qui concerne les pays en question, il est nécessaire de mettre le modèle scandinave dans une perspective historique. Le modèle socio démocrate des pays scandinaves, et surtout en suède, était basé, à leur âge d’or dans les années 1950, sur de grandes compagnies exportatrices comme Volvo, capables de verser de bons salaires. L’Etat y trouve son compte, car il peut désormais compter sur des prélèvements importants à la fois des salariés, qui jouissent d’un bon salaire, sur les dividendes des actionnaires et même sur leurs achats pour financer un Etat providence généreux.

Cette politique a incité certaines personnes aisées à quitter le pays pour éviter les forts taux d’imposition, mais le résultat fondamental était de consolider la position des grandes entreprises exportatrices. Les discussions entre les représentants syndicaux et le législateur autour de la cible de cette imposition, soit le fait de choisir entre imposer le revenu ou le patrimoine, ont donné lieu à un consensus autour de la priorité qui est de laisser aux entreprises de la compétitivité, des capacités d’investissement et d’innovation. Les fédérations d’employeurs et les syndicats socio-démocrates ont donc signé un compromis historique sur les responsabilités de chacun pour la bonne marche de ce modèle en 1938. Durant les années suivantes, le gouvernement social démocrate a encouragé un système de négociations centralisées entre les syndicats et le patronat, qui permettait l’application du "modèle de Rehn-Meidner". Dans ce modèle les syndicats mèneraient une "politique salariale solidaire", exigeant le même salaire pour le même type de travail, et refusant ainsi que le salaire soit fixé en fonction de la situation financière d’une entreprise particulière. En conséquence, des entreprises suédoises moins productives finissaient souvent par faire faillite, tandis que les plus productives, rentables et technologiquement avancées absorbaient la main d’œuvre ainsi libérée et bénéficiaient d’un compétitive international plus élevée. C’est ainsi qu’on a assisté à la consolidation d’entreprises très rentables. En accélérant les restructurations et la croissance, ce mécanisme contribua a l’augmentation rapide du niveau de vie dans les décennies d’après-guerre.

Quelle relation peut-on établir alors entre protection sociale et creusement des inégalités ?

On observe un léger creusement des inégalités dans les revenus (coefficients gini) récents. A cause surtout de la mondialisation le système de négociations centralisées a été affaibli et les écarts de revenus post-taxe ont un peu augmenté.  Les inégalités sont néanmoins compensées en grande partie par la redistribution sous toutes ses formes, qui va de l’assurance maladie jusqu’aux bourses d’éducation.

Si les populations sont mises à l'abri du besoin par l'Etat, en quoi alors ce creusement des inégalités est-il problématique ?

Soyons clair. Les inégalités de patrimoine font partie du système depuis longtemps et ne posent aucun problème en tant que telles. On parle ici de l'augmentation des inégalités de revenus, qui restent quand même plus égalitaires que dans les autres pays de l'OCDE. Donc les populations scandinaves ne pensent pas que ce creusement des inégalités soit profondément problématique. Elles considèrent même que leurs conditions de vie demeurent bonnes, mais si es écarts de revenus continuent de se creuser, cela pourrait les menacer. Cela explique, par exemple, pourquoi les Suédois viennent de remplacer un gouvernement de centre droit par un gouvernement de centre gauche. 

Est-ce qu'il pourrait se transposer ailleurs ? Quelle est la part de référent culturel qui permet que ce système puisse fonctionner ?

Les référents culturels ont un poids certains dans ce modèle scandinave, surtout la capacité à trouver des consensus autour de la coopération basée sur des compromis. Ainsi les pays scandinaves ont créé des institutions tripartites qui profitaient de cette capacité au milieu du dernier siècle, quand les conditions étaient très différentes d’aujourd'hui. Appliquer et adapter le modèle comme tel me semblerait infaisable s’il devrait être mis en place aujourd’hui, que ce soit danes les pays du nord ou ailleurs.

Le grand défi migratoire est très actuel, car les flux ont gagné en importance ces dernières années, surtout en Suède, qui reçoit beaucoup de refugiés de Syrie, d'Irak, etc. Une  migration très diffèrente de celle de Finlande notamment, mais aussi des autres pays européens. Il n’est pas sûr que ce modèle tienne en l’état, l’intégration économique et culturelle de ces nouveaux migrants a d’ailleurs joué un rôle dans la popularité grandissante de la version suédoise du Front National, qui a gagné 13 % du vote en septembre.

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