10 ans de prison pour avoir tué son mari qui violait leurs filles : la perturbante sévérité de la Cour d’Assises du Loiret<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Jacqueline Sauvage a été condamnée mercredi 29 octobre par la cour d'Assises du Loiret à 10 ans de réclusion pour avoir tué son mari.
Jacqueline Sauvage a été condamnée mercredi 29 octobre par la cour d'Assises du Loiret à 10 ans de réclusion pour avoir tué son mari.
©

Implacable

Alors qu'elle a été battue pendant des années par son mari, lequel violait leurs enfants, Jacqueline Sauvage, 65 ans, a été condamnée en première instance à 10 ans de prison ferme pour avoir tiré sur son époux. Un verdict qui questionne le sens de la mesure de la justice française.

Janine Bonaggiunta

Janine Bonaggiunta

Janine Bonaggiunta est avocate au barreau de Paris et enseignante à l'école de formation des avocats de Paris (EFB). Spécialisée dans les affaires de violences conjugales, elle est co-auteur de l'ouvrage "Acquittée" d'Alexandra LANGE, édité en 2012 chez Michel Lafon.

Elle est associée du cabinet BONAGGIUNTA-TOMASINI & ASSOCIES, aide aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

Voir la bio »
Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

Voir la bio »

Atlantico : Jacqueline Sauvage a été condamnée mercredi 29 octobre par la cour d'Assises du Loiret à 10 ans de réclusion pour avoir tué son mari. La femme a expliqué être passé à l'acte après avoir subi plusieurs années de violences conjugales et après que son mari ait abusé leurs enfants sexuellement. Quels autres crimes ou délits en France ont par le passé donné lieu à une sanction équivalente ?

Alexandre Giuglaris : Il faut tout d’abord souligner qu’il y a une grande différence entre la peine encourue et la peine prononcée. On entend souvent dans les médias, M. X ou Mme Y risque 10 ans de prison. Mais dans la quasi-totalité des cas, la peine prononcée est très largement inférieure à la peine encourue.

Au moment même où Mme Sauvage était condamnée par la cour d’Assises du Loiret, dans le Vaucluse, un homme a été condamné à une peine équivalente pour un braquage à main armée avec enlèvement. A-t-il subi les mêmes horreurs que Mme Sauvage ? Je n’en suis pas sûr…

10 ans de prison, c’est une peine très lourde qui est très peu prononcée même pour des crimes très graves. C’est donc ce qui surprend dans la condamnation de Mme Sauvage, surtout d’après ce que l’on sait de son mari et ce qu’il a fait endurer à sa femme et à ses enfants.

Dans le passé, quels exemples de crimes et de délits ayant marqué l'opinion ont bénéficié de quelles peines ?

Alexandre Giuglaris  : Le procès des viols collectifs à Fontenay-sous-Bois avaient soulevé beaucoup de critiques, notamment à la suite des peines légères prononcées en première instance. Mais en appel, l’année dernière, la peine prononcée la plus lourde a été de six ans de prison ferme contre un homme qui, en plus, a déjà été condamné à trente ans de réclusion à l'automne 2012 pour le meurtre de son ancienne compagne ! Les autres condamnations vont de cinq ans de prison, dont un avec sursis à trois ans, dont deux avec sursis. Ces peines sont bien inférieures à celles de Mme Sauvage. Une peine inférieure, de 7 ans de prison, a également été prononcée récemment à Alençon contre un homme coupable de viol. Et encore plus récemment, on a appris qu’un jeune homme est poursuivi par la justice et risque d’être condamné car il a défendu une jeune femme qui risquait de se faire agresser sexuellement ou violer. En effet, il s’est battu avec l’homme qui abusait de cette jeune femme…

Mis bout à bout, ces peines et ces poursuites, plus lourdes pour Mme Sauvage que pour des violeurs (même si Mme Sauvage a tué, j’en conviens parfaitement), interrogent sur le message qu’envoie notre justice. Les peines sont aussi là pour dissuader. Je ne soutiendrai jamais la justice personnelle mais quand on évoque ces cas, et il y en a d’autres, notamment si l’on parlait de la légitime défense, je ne peux que m’inquiéter du message envoyé. Nous ne devons en aucun cas régresser sur la dénonciation et la condamnation des viols et de leurs auteurs.

Quels sont les différents éléments extérieurs qui peuvent influencer une peine, indépendamment du contenu de l'affaire ?

Alexandre Giuglaris : La justice, notamment du fait du principe de l’individualisation de la peine, n’est pas la même pour tous sur l’ensemble du territoire et cela peut choquer à juste titre. Ce qui est plus grave, c’est quand les instructions officielles poussent à une justice qui n’est pas la même partout et pour tous. Nous avons ainsi combattu une circulaire de la garde des Sceaux qui invitent les magistrats à tenir compte de l’état possible de surpopulation carcérale avant de prononcer leur peine. C’est inadmissible. Ainsi, selon que la prison se trouve à côté du tribunal où est jugé votre agresseur est pleine ou non, il ne sera pas condamné de la même manière. C’est vraiment inadmissible.

Mais ces instructions de la chancellerie peuvent aussi avoir une connotation politique, puisque vous parlez d’influence extérieure. Ainsi, au moment où les bonnets rouges s’opposaient parfois violemment au gouvernement, Mme Taubira avait envoyé une circulaire incitant les parquets à la plus grande fermeté alors même qu’elle ne cesse depuis plus de deux ans d’expliquer qu’il faut faire preuve de davantage de "compréhension" et "d’individualisation".

Enfin, de multiples éléments extérieurs peuvent jouer dans un sens ou dans un autre. Si une affaire est médiatisée par exemple, le résultat peut évoluer, voire carrément changer. Je crois que si Mme Sauvage fait appel, le procès en appel ne sera peut-être pas tout à fait le même. D’autres facteurs jouent comme l’idéologie ou l’attitude de votre juge. Les avocats sont en général assez bien informés des magistrats à qui ils ont affaire.

Si la justice peut sans doute difficilement être la même partout et pour tous, c’est tout de même un objectif d’égalité et d’impartialité qui doit être recherché. A force d’instrumentaliser ou d’idéologiser la justice, comme on l’a vu avec le "mur des cons" du Syndicat de la Magistrature, on prend le risque considérable de miner la confiance des Français dans leur justice.

Selon une étude réalisée par Pierre Victor Tournier, démographe du champ pénal et chercheur au CNRS, les peines de prison ferme en France en 2012 ne concernaient que 21% des condamnations (voir ici). Constate-t-on une tendance de la justice française à n'avoir que rarement recours à de la prison ferme ? La justice et la loi françaises favorisent-elles le sursis ?

Alexandre Giuglaris : La prison ferme n’est absolument pas une peine de référence comme on l’entend trop souvent dans des débats mensongers. Les peines de prison fermes représentent certes 20% environ des condamnations mais seulement 10% de la réponse pénale. Donc les vieux débats sur le prétendu "tout carcéral" que l’on évoque souvent sont des fables pour ne pas dire des mensonges volontairement entretenus. Les peines avec sursis représentent 60% des peines de prison.

Par ailleurs, la France compte environ moitié moins de détenus que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe, ou 50% de détenus de moins que la Grande-Bretagne. Il y a aussi des pays qui incarcèrent moins, c’est vrai, comme les pays scandinaves. Mais la réalité est que la déflation carcérale, menée en Suède notamment, a conduit, comme le reconnaît le ministère de la justice, à une augmentation de la criminalité. C’est un choix…

Le problème français, qui est un problème structurel et ancien, est que l’on n'a pas suffisamment de places de prison (il nous en manque au moins 20 000) mais que nous manquons aussi de personnels pour assurer le suivi efficace et sérieux des personnes qui ne sont pas condamnées à de la prison ferme. Nous perdons sur les deux tableaux et ce sont les Français qui en payent les conséquences en matière de délinquance et de criminalité.

Jacqueline Sauvage a tué son mari après avoir subi des violences des années durant. Sa condamnation à de la prison ferme fait-elle figure d'exception dans ce genre d'affaires ?

Janine Bonaggiunta : En droit français, la peine prévue par le code pénal lorsqu'il s'agit d'un crime contre un conjoint, (ce qui caractérise une circonstance aggravante) est de 30 années de réclusion. Le fait d'avoir condamné Mme Sauvage à 10 ans d'emprisonnement signifie donc que le tribunal a estimé qu'il y avait des circonstances atténuantes. Il a donc pris en compte le climat conjugal difficile dans lequel elle évoluait, avec un mari incestueux et violent .

On peut considérer d'un point de vue légal que sa peine a notablement été diminuée. Il n'en demeure pas moins que si l'on va plus loin dans ce raisonnement, je dirais que ce n'est pas lui la victime mais bien elle, du fait de ce qu'elle a vécu. La Cour n'ayant pas retenu la préméditation, il aurait fallu la déclarer irresponsable, compte tenu des circonstances dans lesquelles elle ainsi que ses enfants ont été habitués à évoluer. Au Canada, il existe depuis une vingtaine d'année ce qu'on appelle la présomption de légitime défense, et qui s'applique régulièrement à ce type d'affaires. On considère qu'une femme battue est dans un état post-traumatique constant, qu'il lui est donc impossible d'avoir des réactions de défense normales ni de protection, que ce soit pour elle-même ou sa famille.

Les textes prévus dans la loi française me semblent donc totalement décalés au cas d'espèce.

En 2012 d'ailleurs, Alexandra Lange, attaquée en justice pour un meurtre similaire avait été acquittée par la Cour. S'agit-il d'un cas particulier ? Que dit la jurisprudence récente  pour ce type d'affaire ?

Janine Bonaggiunta : L'affaire était similaire au niveau des faits, avec ce même traumatisme typique des femmes battues que je viens d'évoquer. La différence résidant en ce qu'Alexandra Lange avait subi une attaque de la part de son mari juste avant de prendre le couteau qui était à sa portée pour se défendre.  La Cour a donc estimé qu'elle était en état de légitime défense, et que cette réaction était proportionnée à l'attaque.

Or, dans le cas de Jacqueline Sauvage, on peut aussi estimer que l'attaque de son mari n'était pas ponctuelle mais bien constante, permanente. Pourquoi donc ne pas la considérer comme quelqu'un qui a été attaquée, qui s'est défendue pour survivre ?

Cette peine correspond malheureusement à la jurisprudence habituelle pour ce type d'affaires, et la cause d'irresponsabilité à son acte qui lui aurait permis d'être acquittée n'a pas été pris en compte, bien qu'une expertise psychiatrique aurait permis de la révéler. Il faut d'une manière plus générale que la justice reconnaisse que les femmes battues sont souvent irresponsables juridiquement.

La cour d'Assises du Loiret avait motivé sa décision par le fait que Jacqueline Sauvage n'avait pas fui le foyer familial. Que sait-on des mécanismes de l'emprise que peut avoir un individu d'un couple sur un autre ?

Janine Bonaggiunta : Ces femmes sont enfermées dans une toile d'araignée, dans toutes les dimensions sociales et humaines possibles. Elles sont tout d'abord très isolées par leurs maris souvent jaloux, ainsi que terrorisées. Ces derniers peuvent par exemple les chronométrer lorsqu'elles sortent de la maison, ou vont faire les courses… Leurs maris sont généralement toujours des princes charmant au début de leurs relations, et puis amorcent un long et interminable processus d'humiliation, qui a pour conséquence de détruire l'estime de soi et la confiance de leurs femmes. Ils les épient, sont jaloux, et utilisent tous les prétextes pour se mettre en colère. On peut assimiler cela à la même manipulation que dans une secte.

En France, le problème est que structurellement les institutions sont incapables de les prendre en charge, de les accueillir dans des structures ou de les isoler de leurs maris. Cela est dû à un manque de moyen évidemment, mais surtout parce que les actions sociales ont tendance à convoquer le mari, et à provoquer une confrontation de chacune des versions… Je vous laisse imaginer les conséquences et les représailles une fois que le couple se retrouve chez eux. Alors elles ne parlent plus.

Propos recueillis par Alexis Franco

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !