Paris Game Week : portrait de la génération jeux vidéos <!-- --> | Atlantico.fr
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Le salon Paris Game Week se tient du 29 octobre au 2 novembre.
Le salon Paris Game Week se tient du 29 octobre au 2 novembre.
©Reuters

Geek or not geek ?

Le salon Paris Game Week se tient du 29 octobre au 2 novembre. Au programme : les nouvelles consoles, les jeux sur le point de sortir mais aussi les dernières innovations technologiques. Pour autant, la population qui pratique le plus les jeux vidéos n'est pas celle à laquelle on pense de prime abord. Etat des lieux d'un divertissement très populaire dans notre pays.

Raphael  Koster

Raphael Koster

Raphael Koster est Docteur en Socio-anthropologie et ATER au Service des Sciences Sociales de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Sa thèse s'intitule "Le jeu vidéo comme manière d'être au monde. Socio-anthropologie de l'expérience vidéoludique".

Ses travaux s'attachent à explorer la portée culturelle des pratiques de jeux vidéo, à partir des représentations sociales des joueurs et d'enquêtes de terrain.

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Guillaume de Fondaumière

Guillaume de Fondaumière

Guillaume de Fondaumière est un producteur français de jeux vidéo. Il est directeur général délégué et producteur exécutif du studio Quantic Dream qu'il dirige aux côtés de David Cage, et Président du SNJV (Syndicat national du jeu vidéo).

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Atlantico : Alors que le salon Paris Game Week ouvre ses portes jusqu'au 2 novembre, quelles sont les grandes nouveautés en matière de jeux vidéo ?

Guillaume de Fondaumière : Le joueur, aujourd'hui, a envie de se mettre en avant, de montrer qu'il joue, et comment il joue. C'est pourquoi de plus en plus de fonctionnalités sont orientées sur le partage. Par exemple toutes les consoles proposent d'enregistrer des sessions de jeu et de les partager instantanément. Aujourd'hui sur Youtube, la chaîne la plus populaire n'est pas celle d'une chanteuse pop ou d'un acteur, mais celle d'un blogueur qui met en ligne ses propres sessions.

La deuxième tendance est celle du multi-joueurs : la quasi-totalité des jeux ont des fonctions qui permettent de jouer en ligne, mais aussi de discuter avec les autres joueurs en même temps que l'on joue. C'est une tendance de fond qui continue de progresser.

La troisième grande tendance est celle de l'objet connecté. Activision avait lancé cette tendance avec les premiers jouets connectés comme Skylander. De plus en plus de jeux proposent ces jouets connectés, et l'avenir nous réserve encore des surprises.

A quels publics ces jeux s'adressent-ils ?

Guillaume de Fondaumière : Avec Skylander, Activision a proposé une expérience qui s'adressait surtout aux enfants, mais on s'est rendu compte que cette nouvelle manière de jouer avec des objets connectés est en train de se diffuser auprès de tous les publics. Les Français de Hanakai Studio sont en train de développer un jeu qui s'appelle Prodigy, un RPG (role playing game, jeu où l'on incarne un rôle ndlr) orienté vers les adultes. Là aussi, le principe des figurines connectées est repris. Quant aux fonctionnalités de partage et de chat, on les retrouve tant sur les jeux "core gamer" comme Call of Duty que sur Minecraft, pour les plus jeunes.

Qui sont les "gamers", aujourd'hui ? Au niveau sociologique, en est-on resté à une population essentiellement masculine, tournée vers les jeux d'action et de guerre ?

Guillaume de Fondaumière : Pas du tout. Depuis une dizaine d'années, on constate d'une part que l'âge moyen du joueur a tendance à augmenter, et d'autre part que le public a tendance à se féminiser. Cette féminisation vient des jeux dits "casual" du type "Candy crush", mais aussi des jeux de console. On est passé à un ratio proche de 50-50.

Raphael Koster :La dernière étude statistique du SNJV (Syndicat National du Jeu Video) nous donne les caractéristiques d'un "joueur moyen" dont l'âge serait en France de 41 ans, avec - cela a été fortement médiatisé - pour la première fois une majorité de joueuses, à 52%. Mais ces chiffres ne nous apprennent en définitive pas grand chose sur la diversité des pratiques. Une autre étude, issue cette fois du milieu universitaire avec le projet de recherche ANR Ludespace (2011-2014) nous apporte des compléments intéressants sur la connaissance que nous avons aujourd'hui des publics de "gamers", en offrant une alternative aux enquêtes habituelles menées selon les méthodes de l'étude de marché. On apprend ainsi que les joueuses privilégient les jeux de type "simulation de vie", "éducatif", "chiffres et lettres", "installés par défaut" et "musique et danse".

Mais contrairement à ce que l'on peut croire, les statistiques nous révèlent que les joueurs ne privilégient pas pour autant nécessairement les jeux d'action et de guerre. En effet, chez les joueurs adultes de plus de 18 ans, les jeux les plus pratiqués sont d'abord les jeux installés par défaut, puis des jeux de carte, des jeux de chiffre et de lettre, d'adresse, de plateforme, éducatif... Les jeux d'action et de guerre les plus souvent évoqués sont les FPS (First Person Shooter) en réseau : ils n'apparaissent qu'en 13ème catégorie. Les pratiques genrées en France tendent donc à s'équilibrer, tant au niveau de leur intensité que du type de jeu choisi. Il est de plus en plus faux de prétendre qu'il existe des "jeux de fille" et des "jeux de garçon". 

Garçons et filles ont-ils une approche foncièrement différente des jeux vidéo ? A quoi cela tient-il ?

Raphael Koster : Même si les statistiques révèlent une plus grande homogénéité des pratiques entre filles et garçon qu'on ne pourrait le penser, les représentations genrées ont la dent dure dans les communautés de gamers. Ce ne sont pas tant les individus en tant que tels qui ont une approche différente des jeux vidéo, mais plutôt les contextes sociaux et les représentations collectives qui les contraignent à se positionner autrement. Par exemple, chez les joueurs professionnels d'e-sport, il existe des équipes féminines : mais elles sont souvent amenées à se présenter soit comme des "bimbos", soit comme des "garçons manqués" pour s'intégrer dans ces milieux fortement masculinisés. Mais les choses sont en train de changer. Les débats sur le sexisme dans le milieu du jeu vidéo ou l'affaire du "Gamergate" prouvent qu'il y a des préjugés qu'il est temps de dépasser. 

Les adultes sont de plus en plus nombreux à jouer aux jeux vidéo, mais finalement quelle est la différence entre le fait de s'adonner à des activités "traditionnelles" comme les jeux de société ou le baby foot, et le fait de se divertir devant un écran ?

Guillaume de Fondaumière : Il y a 40 ans, les adultes avaient assez peu de moments de jeu en tant que tel. Ce que le jeu vidéo a apporté, c'est la formidable possibilité de se replonger dans l'adolescence, ainsi que de nouveaux thèmes. Quantic Dream, société dont je suis le directeur général, poursuit l'objectif de développer des jeux pour adultes. L'idée est de développer des films interactifs, dont les thématiques sont très proches des séries télévisées. Le jeu vidéo peut donc toucher la fibre enfantine, la fibre adolescente mais aussi la fibre adulte.

Raphael Koster : Se retrouver dans un salon pour jouer à des jeux de société ou à des jeux vidéo, c'est toujours faire l'expérience de socialisations et du partage d'un plaisir d'être ensemble. C'est participer à chaque fois à des mécaniques de jeux communes qui positionnent socialement les joueurs les uns par rapport aux autres. Le dispositif vidéoludique a sa propre efficacité, mais je ne crois pas qu'il isole le joueur par rapport aux autres, dans un rapport de fascination à l'écran. J'ai rencontré des joueurs qui me rapportaient leur nostalgie des parties de jeux vidéo faits avec leurs copains après l'école quand ils étaient adolescents, en des termes similaires à ceux de joueurs de jeux de rôle ou de jeux de société. La principale différence concerne le rapport au corps : dans quelles attitudes ludiques souhaitent-on se mettre avec ses amis? Le jeu vidéo favorise une immersion vers les règles du jeu, et renforce souvent des enjeux de victoire et de compétition (encore que des exemples de détournement existent également, dans une démarche plus esthétique). Les jeux non-vidéo, si l'on peut généraliser à ce point, offrent peut-être plus d'espace pour l'élaboration d'un rythme et d'un espace commun, laissant plus de liberté au déploiement du collectif. 

Avec la technologie kinect, est-on passé d'une conception solitaire du jeu vidéo à une approche plus socialisante ? Cela a-t-il drainé un nouveau public que l'image du  "geek" pouvait auparavant rebuter ?

Raphael Koster : La technologie kinect s'inscrit dans la mouvance des dispositifs vidéoludiques à base de capture de mouvement, tels que la Wii ou la Playstation Move. En ce moment, des jeux comme Just Dance d'Ubisoft fondent leur discours marketing sur une approche de type événementiel, misant sur l'intergénérationnel auprès d'institutions culturelles pour attirer de nouveaux publics vers la connaissance du jeu vidéo. Et le fait est que cela semble marcher : dans des maisons de retraite et centres de loisirs pour personnes âgées, il n'est pas rare de voir installées des Wii pour favoriser la rencontre entre les membres et les jeunes des environs ou de leur famille. Mais ce n'est que le début d'une recherche plus vaste sur la médiation culturelle du jeu vidéo. L'atelier Game Older, à la Gaité Lyrique de Paris, propose par exemple des sessions de jeux sélectionnés pour donner à voir la diversité de ce qui existe aux personnes âgées, sans nécessairement se limiter à la kinect (voir ici). Et l'on voit également, dans des expositions sur le jeu vidéo, fleurir de nouveaux dispositifs interactifs destinés à favoriser l'accès au jeu vidéo aux publics qui n'y sont pas familiarisés.

Les jeux vidéo à destination des enfants sont de plus en plus nombreux. Faut-il y voir un risque, ou bien peuvent-ils contribuer à leur éveil ?

Raphael Koster : Le "risque" d'une pratique culturelle, quelle qu'elle soit, n'est pas dépendante de son support, mais bien du contexte social dans laquelle elle se déploie. La question n'est pas "à quoi faut-il jouer?", mais plutôt "comment jouer?", "avec qui?", "quand?"... Ce qui fait l'éveil d'un enfant, c'est son éducation : c'est à dire les modalités de transmission du savoir.

Laisser un enfant jouer seul au jeu vidéo, sans l'accompagner, ni se préoccuper de ce qu'il fait, c'est perdre l'occasion de faire de sa pratique un moyen de socialisation et de construction en commun de sa sensibilité culturelle. Je joue avec mon fils de 2 ans à des jeux sur Ipad quand nous sommes dans le train. Je veille à choisir ses jeux selon des critères très personnels et intimes qui tiennent à ce que je désire lui transmettre : la musique de l'application "Petites choses", par exemple. J'ai une conception également toute personnelle de ce qui pourrait être "dangereux" pour lui, au sens de trop violent, qui pourrait le heurter sur le moment. Mais il grandit vite, et ces critères évoluent au fil de ce qu'il est capable de faire et de comprendre dans son approche du jeu. Le plus important est de rester en contact avec cet apprentissage, voire même de l'initier et de l'encourager, pour que le jeu vidéo demeure une activité sociale qui intègre aussi la cellule familiale. 

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