Affaire Bourgi : "Un complot orchestré par Nicolas Sarkozy ? Je ne le pense pas"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jacques Chirac s'entretient avec (de gauche à droite) Blaise Compaoré du Burkina Faso, Omar Bongo du Gabon, Paul Biya, président du Cameroun et Denis Sassou-N'Guesso du Congo.
Jacques Chirac s'entretient avec (de gauche à droite) Blaise Compaoré du Burkina Faso, Omar Bongo du Gabon,  Paul Biya, président du Cameroun et Denis Sassou-N'Guesso du Congo.
©Reuters

République des malettes

Pour le spécialiste de la Françafrique Antoine Glaser, le président de la République n'aurait pas incité Robert Bourgi à faire ses déclarations. Selon lui, "on parle toujours de la Françafrique, mais peu de l’Afrique-France", conglomérat de chefs d'État africains - dont Robert Bourgi est l'un des principaux représentants - qui a une réelle influence sur le pouvoir français.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Atlantico : Qu'avez-vous pensé des déclarations de Robert Bourgi sur les sommes d'argent versées dans le cadre de ce que l'on peut appeler la "Françafrique" ?

Antoine Glaser : Le contenu des révélations ne m'a pas vraiment surpris. Tous les initiés savaient qu’un certain nombre de dirigeants africains, en particulier avant la loi sur le financement des partis politiques en France, contribuait beaucoup aux campagnes politiques à Paris.

Ces déclarations interviennent dans une période où une page se tourne, où l’Afrique se "mondialise" : les chefs d’États africains ont de plus en plus de dirigeants du monde entier dans leur salle attente...

En toile de fond, l'élection présidentielle se prépare avec une guérilla entre Chiraquiens et Balladuriens qui date de l’affaire Elf , depuis qu'Édouard Balladur a nommé Philippe Jaffré à la tête d’Elf. S'agit-il d'une sorte de complot orchestré par Nicolas Sarkozy ? Je ne le pense pas. Il s'agit plutôt, selon moi, d'une espèce d’alchimie à un moment un peu tendu, à la veille d’une élection présidentielle, où chacun essaie de se positionner. Je serais incapable de dire si Robert Bourgi a eu le feu vert ou pas de l’Elysée. Mais le connaissant, je pense qu’il n’en a pas besoin. 

Qui est au juste Robert Bourgi ?

Robert Bourgi était le principal messager de l'ancien Président gabonais Omar Bongo à Paris. Il semble considérer qu’il a été humilié personnellement par Dominique de Villepin, donc il surfe sur la sortie du livre du Pierre Péan La République des mallettes pour dire sa part de vérité.

Le père de Robert Bourgi, Mahmoud Bourgi, était déjà, dans les années 1950-60, un correspondant au Sénégal de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du Général de Gaulle. A l’époque, nous étions en pleine Guerre froide. Un certain nombre d’hommes d’affaires informaient Jacques Foccart de ce qu’il se passait en Afrique. La France cooptait alors les chefs d’États africains et assurait ensuite leur sécurité et leur maintien au pouvoir en échange d’un accès privilégié aux matières premières et également, souvent, de financement occulte pour le parti gaulliste au pouvoir. Mais il faut comprendre qu’il ne s’agissait pas de gens qui s’en mettaient plein les poches. L'argent allait au parti.

Robert Bourgi n’a eu qu’une seule fonction officielle : conseiller technique de Michel Aurillac, ministre de la Coopération du temps de la cohabitation sous François Mitterrand, alors que Jacques Chirac était Premier ministre. Sinon, Robert Bourgi a toujours été une sorte de messager des chefs d’États d’africains auprès de l’Elysée. C’était un rôle officieux. Pas officiel.

Comment peut-on définir la Françafrique ?

Il existe deux Françafrique. La Françafrique "vertueuse" d’un certain nombre de personnalités ivoiriennes qui ont vraiment cru à une sorte de communauté de destin entre la France et l’Afrique. Je pense en particulier à Félix Houphouët-Boigny qui fut ministre pour la France avant de devenir le premier Président de la Côte d'Ivoire, à partir de 1960.

Et puis, il y a la Françafrique qui est devenue une relation incestueuse entre des gens qui se rendent services. Il ne s'agit pas seulement de financement de partis politiques.Quelqu’un comme Omar Bongo, qui était le doyen de la Françafrique, a accepté pendant la Guerre froide qu’un certain nombre d’opérations se fassent à partir de son pays. Quand il a fallu libérer des Français emprisonnés au Niger, Bongo a envoyé son fils. Quand Carla Bruni-Sarkozy a voulu rencontrer Nelson Mandela au moment d’un voyage en Afrique du Sud, Bongo est intervenu parce que l’ambassade de France n’arrivait pas à organiser la rencontre avec un Mandela fatigué. Quand l’ancien Président du Ghana, John Kufuor, voulait acheter un Boeing, Bongo lui a conseillé d'acheter plutôt un avion français de Dassault.

En même temps, il était fou furieux quand il a été mis en cause à Paris lors de l'affaire des biens mal acquis. Il disait aux dirigeants français : "Je vous aide et vous, vous m’emmerdez avec l’immobilier !". Les services rendus allaient donc au-delà du simple financement. La Françafrique correspond à une tribu qui a des codes, ses initiés et des gens qui se rendent des services.

Quand est-elle née ?

Jacques Foccart raconte dans ses Mémoires qu’un jour il apporte de l’argent à Georges Pompidou en lui disant qu’il s'agit de billets venus d'Houphouët-Boigny pour le parti. Pompidou, un peu étonné, lui aurait répondu quelque chose dans le genre : "Ah ? Vous le remercierez de ma part" ! Mais à l’époque, encore une fois, c’était différent. Il s’agissait avant tout de défendre les intérêts de la France. Jacques Foccart est mort pauvre, à ma connaissance. Depuis l’affaire Elf, ça s’est personnalisé…

La situation s’est perpétuée sous François Mitterrand, mais auparavant, les choses se déroulaient d'une façon à peu près semblable. Cette question mêle la gauche et la droite. Avant Mitterrand, c’était les réseaux gaullistes triomphants. Avec Mitterrand, les choses n’ont juste pas vraiment changé.

Et avec Nicolas Sarkozy, les choses ont-elles changé ?

Je suis incapable de vous le dire. Il n’y a pas de preuves. Ce que l’on peut dire, c’est que le jour du dernier congrès UMP du candidat Sarkozy à la présidentielle 2007,étaient présents au premier rang Robert Bourgi, Claude Guéant, Pascaline Bongo, son compagnon…

Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il fallait en finir avec tous les réseaux officieux de la Françafrique et s’appuyer uniquement sur la diplomatie officielle de la France. Ça ne l’a toutefois pas empêché le 25 septembre 2007 de décorer lui-même Robert Bourgi de la Légion d’honneur, en petit comité, avec juste Claude Guéant et un certain nombre de filles et fils de chefs d’État africains, sans un seul diplomate du Quai d’Orsay, ni de la cellule diplomatique de l’Elysée. On parle toujours de la Françafrique, mais peu de l’Afrique-France ! Je pense qu’un certain nombre de chefs d’États africains ont fait pression pour imposer que Robert Bourgi soit toujours le messager.

Il fallait aussi défendre les intérêts de certaines entreprises françaises en Afrique… Vous savez, ce qui est difficile, c’est que tout le monde veut des réponses claires, alors que c’est tout sauf clair !

Et le départ de Jean-Marie Bockel qui a quitté son poste de Secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la Francophonie en 2008 : ça a un lien avec la Françafrique ?

Oui. Ce départ illustre les réseaux d’influence d’Omar Bongo à Paris. Il a pu se payer la tête des ministres de la Coopération, depuis Mitterrand voire De Gaulle. Les chefs d’États africains choisissaient leur ministre français de la coopération. C’est hallucinant !

Sur ce plan là, il est certain que Nicolas Sarkozy a accepté que Jean-Marie Bockel soit viré sous la pression d’Omar Bongo. Pour ce qui est de la question des financements, je ne sais pas.

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