Pendant que les anti-vaccins gagnent du terrain en France, les États-Unis commencent à voir les effets dévastateurs très concrets d’un phénomène en vogue<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mouvement anti-vaccins fait des ravages aux Etats-Unis.
Le mouvement anti-vaccins fait des ravages aux Etats-Unis.
©Reuters

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Si les personnes refusant la vaccination restent largement minoritaires en France, aux États-Unis ce mouvement a entraîné une recrudescence des cas de coqueluche et de rougeole, cette dernière étant dix fois plus contagieuse qu'Ebola.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Un couple a été convoqué jeudi 9 octobre au Tribunal de grande instance d'Auxerre, pour avoir refusé de se conformer à l'obligation de faire vacciner ses enfants en bas âge contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. Une situation isolée qui devient préoccupante dès lors que l'on sait que si cette obligation était levée, 21% de la population générale s'interrogerait sur le bien-fondé de la vaccination (enquêtes de l'InVS et de l'INPES). Aux Etats-Unis, il existe un mouvement de parents anti vaccin, emmené par l'actrice et ex-playmate Jenny McCarthy, qui accuse la vaccination d'être à l'origine de l'autisme de son fils.

Atlantico :  Sur quels arguments ces parents américains se fondent-ils pour considérer qu'il vaut mieux ne pas faire vacciner leurs enfants ? Quelle est l'ampleur du phénomène ?

Antoine Flahault : Il y a beaucoup de désinformation sur le sujet, y compris de la part de certains scientifiques. Il y a eu par exemple une série d’articles rétractés depuis, parus dans la prestigieuse revue britannique The Lancet, qui insinuait l’existence d’un lien entre la vaccination contre la rougeole et la survenue d’autisme. Il a pu être démontré que l’ensemble de ces articles étaient des contre-façons malhonnêtes. Il y a partout des escrocs, y compris chez les médecins et les scientifiques. Par ailleurs, certains risques suspectés associés à des vaccins sont souvent parfois difficile à dissiper sur le plan scientifique, parce qu’ils concernent la survenue de maladies pour lesquelles l’état des connaissances sur leur origine et n’est pas très bien établi encore (par exemple l’autisme, mais aussi la sclérose en plaques, ou d’autres maladies auto-immunes). Lors de campagnes de vaccinations de masse, vous vaccinez par définition toute la population (ou toute une tranche d’âge). On peut donc s’attendre à ce que les maladies qui seraient spontanément survenues dans cette population à la même période risquent d’être attribuées à tort à la vaccination. Imaginez-vous : vous vaccinez votre adolescente, et quelques semaines plus tard, elle développe une première poussée de sclérose en plaques (c’est souvent l’âge de survenue de cette maladie à prédominance féminine). Comme les scientifiques ne connaissent pas encore l’origine de la sclérose en plaques, lorsqu’elle demande à son médecin si cette poussée de maladie ne peut pas être liée au vaccin, il ne sait pas répondre de façon formelle, et le doute s’insinue ; s’il y a plusieurs cas fortuits, la rumeur enfle, et la médiatisation peut faire s’enflammer rapidement le débat. Il ne faut pas dire non plus que l’innocuité des vaccins est absolue non plus. Il y a plusieurs histoires récentes qui ont montré le contraire. Par exemple, il y a eu aux USA une sorte d’épidémie de syndromes de Guillain-Barré (il s’agit d’une paralysie des muscles qui peut être grave et dont on ne sait pas exactement l’origine) qui avait suivi une campagne de vaccination contre la grippe en 1976. Cela a créé à l’époque un vrai traumatisme dans le pays. Lorsque les premiers cas sont survenus, les médecins pensaient que c’était un pur hasard, cette maladie n’étant pas alors considérée comme associée à la vaccination. Mais lorsque l’on a constaté l’ampleur du phénomène, bien supérieur en nombre au simple fait du hasard, on a bien dû se rendre à l’évidence que la vaccination, cette année-là, était en cause dans la survenue de ces syndromes neurologiques. Depuis, on surveille la vaccination contre la grippe comme le lait sur le feu vis-à-vis de ce syndrome, mais étrangement, il n’est jamais réapparu, personne ne sait vraiment pourquoi, et pourtant on a vacciné depuis des millions de personnes contre la grippe aux USA et partout dans le monde !

Les cas de rougeole et de coqueluche sont en augmentation aux Etats-Unis depuis quelques années (voir ici). Selon une étude publiée dans la revue Pediatrics, les zones où se trouvent un grand nombre de personnes opposés à la vaccination sont 2,5 fois plus susceptibles d'être touchées par une épidémie de coqueluche (voir ici). Quelle est la part de responsabilité des personnes non vaccinées dans ce phénomène ? Comment en arrivent-elles à rompre l'édifice de santé public ?

La rougeole, comme la coqueluche sont des maladies redoutablement contagieuses. Le virus de la rougeole de dix fois plus contagieux que celui de Ebola pour vous dire ! Donc, la réintroduction d’un cas de rougeole dans une communauté de personnes non vaccinées provoque des flambées épidémiques redoutables. Et ce d’autant plus que l’on a un peu oublié que la rougeole n’est pas seulement une éruption infantile banale avec de la fièvre. Elle est l’une des premières causes de cécité des enfants (= elle les rend aveugles) dans le monde (essentiellement aujourd’hui en Afrique sub-saharienne), mais aussi d’encéphalites gravissimes et donc de surmortalité. On estime qu’il faut vacciner plus de 95% de la population pour éviter des flambées épidémiques. Cela veut dire que si la proportion de personnes non vaccinées reste inférieure à 5% de la population totale, alors ces personnes non vaccinées sont protégées par la vaccination collective de la population. Notons qu’il y a toujours une frange incompressible de la population qui n’est pas vaccinée, quelles qu’en soient les raisons (parce que leurs parents sont contre la vaccination de leur enfant, ou parce que les enfants présentent des contre-indications à la vaccination, une allergie par exemple). On appelle cela l’immunité grégaire, les gens vaccinés lèvent comme une barrière contre l’arrivée du virus dans la population. Si  cette solidarité collective qui permet de cohabiter avec une petite fraction de personnes non vaccinées, se fissure, que la proportion passe à 10 ou 20% de la population, c’est toute la sécurité sanitaire du pays qui est remise en question, et les grands acquis du vingtième siècle en matière de lutte contre les épidémies qui risquent d’être mis à mal.

Concrètement, de quelle manière la population est-elle touchée ? Quelles sont les maladies qui prospèrent sur la moindre protection de la population, et quelles catégories de personnes sont principalement touchées ?

Au Royaume-Uni, l’escroquerie à propos de la vaccination contre la rougeole et l’autisme que j’ai évoquée ci-dessus a provoqué une perte de confiance du public vis-à-vis de cette vaccination. En France, ce phénomène n’a pas été observé, en revanche la polémique sur la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques a fait plonger la couverture vaccinale contre cette maladie. Alors même que le vaccin contre l’hépatite B est l’un des plus efficaces, des mieux tolérés, et qu’il a été le premier vaccin contre le cancer, puisqu’il permet d’éviter les cancers du foie causés par le virus de l’hépatite B. Les nord-américains sont fortement vaccinés contre la varicelle, alors qu’en France, ce vaccin n’est pas beaucoup utilisé par les médecins eux-mêmes. Il n’y a pas que les mouvements anti-vaccinaux qui concourent à la moindre protection de la population contre les maladies transmissibles évitables. Il y a la négligence ou l’oubli. On n’est pas très à jour de ses vaccins en France et dans beaucoup de pays d’Europe. Il faut dire que l’on a un peu oublié ces grands fléaux que représentaient les maladies infectieuses comme le tétanos, la poliomyélite, la diphtérie aujourd’hui, et donc on n’est pas très motivés et l’on y pense pas. L’absence de carnet de santé électronique, de rappel sur son smartphone ne facilitent pas non plus. Et beaucoup de gens bien portants, les jeunes hommes en particulier, ont peu recours au système de soins, ne consultent pas leur médecin traitant régulièrement et sont particulièrement à risque de développer une coqueluche, des oreillons, ou une rougeole lorsqu’ils auront des enfants. Dans certains Etats des USA, vous ne pouvez pas vous inscrire à l’université si vous n’êtes pas à jour de vos vaccinations, je trouve personnellement que c’est une bonne idée de rappeler ainsi aux jeunes adultes, souvent peu médicalisés, ces nécessités de prévention.

Si rien n'est fait par les autorités, et si ce mouvement antivaccin perdure, jusqu'à quel point la situation sanitaire des Etats-Unis pourrait-elle s'aggraver ?

C’est un mouvement général. On a changé de siècle, la population est beaucoup plus éduquée, informée, et cela peut vous sembler paradoxal, mais cela ne conduit pas à davantage de consensus sur ces questions. Il y a une forme de préemption démocratique du débat et bon nombre de citoyens s’estiment avoir désormais le droit d’avoir un avis, fut-il contre celui de leur médecin ou d’une recommandation officielle. Par ailleurs, les experts eux-mêmes ne sont pas tous d’accord sur les attitudes à préconiser. Récemment le débat sur la vaccination contre le papillomavirus, qui permet d’éviter un grand nombre de cancers du col de l’utérus, a fait débat au sein même du très officiel comité technique des vaccinations. Ces sujets sont donc compliqués, l’information est rendue disponible, les forums d’échanges vont bon train (il n’y a qu’à voir sur Atlantico !). Oui, on va avoir du mal ces prochaines années à garantir des taux de couverture vaccinale de la population de plus de 95% de la population dans une ambiance où la décision est laissée au libre arbitre et proposée de façon plus démocratique qu’hier. Obtenir dans nos démocraties une adhésion à 95% pour quelque sujet de société est difficile, cela le devient aussi pour les questions de santé qui n’est plus désormais la seule affaire des médecins, c’est ainsi, il faut prendre en compte ce fait. Et il est sûr que pour certaines maladies, comme la rougeole, les conséquences seront qu’il sera difficile d’éliminer ces maladies de nos sociétés et que certains enfants, malheureusement, feront les frais de l’attitude anti-vaccinale de leurs parents demain.

Le fait de vouloir s'affranchir de l'obligation de se vacciner au nom d'un principe de liberté est-il recevable selon vous ? Quels enseignements pour la France peut-on retirer de la situation américaine ?

La vaccination contre la rougeole dont on vient de parler n’est pas obligatoire en France. Celle contre la coqueluche non plus. Elles sont simplement recommandées et pourtant on obtient des taux de couvertures qui dépassent les 90%. Autrement dit, il ne faut pas croire que seule l’obligation vaccinale apporte des résultats en matière de lutte contre les maladies à prévention vaccinale. La responsabilisation des parents par leurs médecins et pharmaciens peut tout à fait fonctionner lorsque l’on fait confiance à cette chaîne d’acteurs. En revanche, il faut certainement prévoir d’investir davantage dans une information et une communication plus active de la part des pouvoirs publics, plus transparente et responsable aussi : il ne sert à rien de survendre les mérites de la vaccination pour convaincre les parents ou les personnes de leur bien fondé. Le siècle change, il va falloir s’adapter. Je ne suis pas très pessimiste sur ces sujets, et je crois que l’on doit davantage apprendre à mieux faire confiance au bon sens de la population face aux risques infectieux. Face à un risque grave, la population entendra les messages et saura se protéger. Mais, il est vrai que certaines maladies ont presque disparu, comme le tétanos ou la poliomyélite, et l’on pourrait être enclin à redouter davantage les risques vaccinaux et préférer éviter la vaccination sans penser que dans notre monde globalisé, les gens voyagent et peuvent être conduits à rencontrer le virus de la poliomyélite qui n’est pas encore éradiqué de la planète. Par ailleurs le bacille du tétanos vit dans la terre : une épine de rose ou un clou rouillé aujourd’hui est aussi redoutable qu’il y a cinquante ans ! Donc ne pas être à jour de son rappel anti-tétanique expose à autant de risque aujourd’hui qu’hier. Il ne faudra pas beaucoup de cas, médiatisés aujourd’hui, pour faire comprendre au public que mourir du tétanos est aussi terrifiant que de Ebola, mais il serait dommage d’avoir à en arriver là, c’est à cela que sert une prévention bien organisée.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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