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Le congé parental est désormais limité à 18 mois pour les mères.
Le congé parental est désormais limité à 18 mois pour les mères.
©SAEED KHAN / AFP

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Le congé parental est désormais limité à 18 mois pour les mères, afin d'inciter les pères à s'occuper de leurs enfants. Mais le gouvernement a-t-il en tête la triple équation relative à l'enjeu d'une meilleure intégration professionnelle des femmes qui consiste à concilier le potentiel économique, les choix individuels des femmes qui veulent faire carrière et de celles qui ne le souhaitent pas.

Catherine Sofer

Catherine Sofer

Professeure émérite d’économie à Paris1-Panthéon Sorbonne, professeure associée à l’Ecole d’Economie de Paris. Elle est spécialiste d’économie du travail et d’économie de la famille.

Elle a notamment publié :

La division du travail entre hommes et femmes (1985), Economica, Paris, de même que de nombreux articles dans des revues internationales de référence (Journal of Population Economics, Review of Economics of the Household, Review of Income and Wealth, Journal of Marriage and Family).

Citons encore : « Les choix relatifs au travail dans la famille : modélisations économiques des décisions du ménage et applications » Travail et Emploi, n°102, 2005, pp 79-89, et « La production domestique dans les modèles collectifs » L’Actualité Economique Vol. 82, n° 2, 2006 pp. 247-270 (avec B. Rapoport et A . Solaz). Elle co-anime le séminaire d’économie du genre à Paris 1.

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Francis  Vernède

Francis Vernède

Sociologue - chargé de mission à la Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion, Francis Vernède a travaillé pour l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies.

Sa thèse de doctorat est en cours et porte sur les toxicomanes et la relation d'aide.

Il a participé à la réalisation d'une étude sociologique sur les femmes qui veulent retourner à l’emploi.

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  • Encourager les hommes à prendre un congé parental, c'est faciliter le retour au travail des femmes, rééquilibrer le partage des tâches au niveau familial, et donc par la suite dans le travail. La société est un miroir de la famille !
  • Sur l'aspect macro-économique, c'est une force de travail supplémentaire qui se traduit par des points de PIB en plus (11% pour la France, si les femmes avaient travaillé dans les mêmes conditions que l'homme selon l'OCDE).
  • Plutôt que de faire appel à une main d'oeuvre étrangère, pourvoir les emplois aux femmes permet aussi de résorber la question du chômage qui touche de nombreuses femmes
  • Les entreprises faisant appel aux femmes sont plus productives et dynamiques.
  • Embaucher plus de femmes, c'est également donner lieu à plus de naissance, d'après les statistiques pour faire face aux problèmes de financements des retraites à venir.
  • Il faut tirer profit du potentiel que représente le travail des femmes, sans pénaliser celles qui considèrent que ce choix relève de la liberté et des préférences individuelles.

Atlantico : Le congé parental est désormais limité à 18 mois pour les mères. La mesure est présentée comme une incitation pour les pères à s'occuper de leurs enfants. Une mesure suffisante pour faciliter le retour des femmes au travail ?

Catherine Sofer : Suffisante, peut-être pas, mais toute mesure qui a pour effet, d’une part de ne pas éloigner durablement les femmes du marché du travail et d’autre part d’inciter les hommes à participer plus activement à la prise en charge des enfants, mais aussi plus largement des tâches domestiques, facilite, non seulement le retour des femmes au travail mais aussi une plus grande égalité hommes/femmes sur le marché du travail.

Francis Vernède : Afin de poser sereinement et intelligemment la question du retour des femmes au travail, il conviendrait d’abord de savoir quelles sont les femmes qui veulent retourner à l’emploi. Nous avons conduit une étude en région Rhône-Alpes sur des mères monoparentales précaires (allocataire du RSA), qui vivent donc dans des situations économiques plus que délicates. Lors des entretiens et des observations, il est apparu qu’une partie d’entre elles considère déjà être au travail. Une jeune femme nous disait ainsi "être maman, c’est un boulot à temps plein !". Donc on peut supposer que cette mesure sera peut-être incitative sur une certaine tranche de la population et inefficace pour une autre.

Encourager d'un côté les pères à prendre leur congé parental et réduire celui des femmes... Les modèles suédois et islandais sont-ils à suivre et permettent-ils de rééquilibre le partage des tâches au niveau familial, et par la suite dans le travail ?

Catherine Sofer : Oui, certainement, les modèles suédois et islandais sont à suivre. Aujourd’hui en France, la discrimination "à poste égal" a pratiquement disparu. Les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail - de salaire, de promotion, de carrière, le fameux "plafond de verre" - sont le plus souvent liées aux lourdes inégalités qui subsistent dans la famille dans la prise en charge des enfants et du travail domestique.

Les employeurs – nombre d’entre eux du moins – hésitent à promouvoir des femmes dans la mesure où elles sont supposées être en charge de l’essentiel du travail de la maison. C’est ce qu’on peut appeler de la discrimination statistique.

De même, le travail à mi-temps est globalement favorable au travail des jeunes mères, mais, à plus long terme, il défavorise les femmes. Tout ce qui peut favoriser un rapprochement entre hommes et femmes des parcours et des charges, tant familiales que professionnelles, ne peut qu’être bénéfique à une intégration professionnelle réussie des femmes.

Francis Vernède : La question du partage des tâches ne se règlera pas simplement avec la question de l’emploi. Depuis l’arrivée – malgré tout massive – des femmes sur le marché du travail, le partage des tâches n’a été modifié qu’à la marge.

Au rythme actuel, cela prendrait des dizaines d’années pour parvenir à un équilibre. Et cet équilibre serait, à mon sens, factice. L’État peut prendre des mesures, modifier les lois, mais il reste que des changements sociétaux qui touchent à l’intime et au privé ne peuvent se faire de façon descendante.

Le partage des tâches est une histoire de mœurs, d’habitus, et impacte effectivement sur le rapport au travail. Il sera impossible de faire consensus et il faut garder à l’esprit que l’État ne peut et ne doit pas s’immiscer dans les organisations logistiques des familles.

Sur l'aspect économique, quels avantages certains une meilleure intégration et une accession des femmes à la sphère professionnelle présentent-elles ?

Catherine Sofer : Une intégration réussie des femmes bénéficie à tous : plus de femmes sur le marché du travail, mieux payées, à des postes correspondant mieux à leurs talents, cela signifie plus de richesses créées, plus de croissance et une participation accrue au financement des prestations sociales et des retraites.

Et pour les entreprises ?

Catherine Sofer : Pour les entreprises, une meilleure intégration des femmes signifie également pouvoir recruter dans un réservoir de talents plus vaste que si elles se restreignent uniquement aux hommes, en particulier pour les postes impliquant des responsabilités. De plus, la diversité à tous les niveaux semble bien être un atout pour les entreprises.

Embaucher plus de femmes, c'est également donner lieu à plus de naissances. Une solution de long terme pour le problème de financement des retraites ?

Catherine Sofer : Oui, en effet, comme je l’ai indiqué plus haut, plus de femmes sur le marché du travail, cela signifie plus de contributrices au système de protection sociale, donc cela permet de mieux financer  les retraites. Maintenant, de là à ce que cela suffise à résoudre totalement le problème de financement des retraites, c’est un pas que je ne franchirai pas.

Et s'il était malgré tout plus naturel pour certaines femmes de ne pas retourner à l'emploi ? Le contexte social est-il ici déterminant ?

Catherine Sofer : Je ne pense pas qu’on puisse parler de "nature", mais bien plutôt de normes sociales, de stéréotypes, mais aussi d’incitations économiques. Sans remettre en cause le libre choix des femmes, il faut en tout cas que les femmes qui souhaitent s’insérer sur le marché du travail puissent le faire dans les meilleures conditions possibles.

Francis Vernède : Il est même prégnant. Cette mesure a une visée économique assez claire, mais elle fait l’impasse sur le caractère fondamentalement social du rapport à l’emploi.

Je l’évoquais précédemment, il existe une frange de la population, de femmes donc, pour laquelle la question de l’emploi salarié n’est pas un objectif. Certaines femmes parmi celles qui vivent des situations de précarité, l’idéal culturel reste un schéma familial ou leurs tâches (et elles sont nombreuses) consistent à s’occuper de l’éducation de leurs enfants. Faire appel à un système de garde (assistance maternelle, crèches, etc.) est une hérésie à la fois éducationnelle et financière.

Pour les familles les plus pauvres, qui n’accèdent qu’à des emplois mal payés, souvent dans des créneaux horaires atypiques, le retour à l’emploi signifie simplement travailler pour payer la garde de leurs enfants… une activité qu’elles assumaient pleinement.

En parallèle à cela, il existe également une partie de la population féminine qui ne s’envisage pas dans l’emploi. Elles considèrent que la garde et l’éducation de leurs propres enfants représentent une charge de travail réelle. Ici, nous sommes face à des modèles sociétaux vis-à-vis de la famille et du travail qui peinent à s’accorder.

Comment justement tirer profit du potentiel que représente le travail des femmes, sans toutefois pénaliser celles qui considèrent que ce choix relève de la liberté et des préférences individuelles ?

Francis Vernède : Ici, il s’agit de ne pas cliver, de fabriquer de mauvais élève. Le fait de désirer rester au plus près de son enfant, ne doit pas s’envisager uniquement à défaut de travailler.

Cette tendance à dualiser est contreproductive. Il est important d’avoir le choix et que les conditions dans lesquelles s’élaborent ce choix puissent se faire en bonne intelligence. La communication autour de ce thème ne doit pas être stigmatisante, notamment auprès des publics les plus précarisés. Et il ne faut pas oublier que cette mesure ne permettra pas de résoudre la question de l’absence d’emploi dans certains secteurs de l’économie.

La société française est plurielle : si certaines femmes, cadre supérieure, tendent à retourner rapidement à l’emploi, il existe également des femmes qui naviguent entre intérim et CDD. Pour ces dernières, la vie est rude et le choix pas toujours évident. La classe des travailleurs pauvres, dans laquelle on retrouve une majorité de femmes, est dans l’attente d’emplois stables et rémunérants, à défaut d’être gratifiants.

Comment éviter que l'Etat ne pousse l'ingérence sur ces questions ? Quelles mesures privilégier à cet égard ?

Catherine Sofer : Il est certain que l’Etat n’a pas à imposer de contraintes en matière de division du travail dans la famille, ni de choix éducatifs. En revanche, que les transferts sociaux – et le congé parental en fait partie – aient pour objectif, non seulement d’aider financièrement ceux qui en bénéficient, mais également de faciliter le fonctionnement d’une société moderne, économiquement florissante et plus égalitaire me paraît une très bonne chose. 

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