Ces Britanniques installés en France pour qui l’aventure tourne au cauchemar, à la pauvreté voire à la fraude<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, les Britanniques doivent souvent faire face à des difficultés imprévues.
En France, les Britanniques doivent souvent faire face à des difficultés imprévues.
©Reuters

Game over

Nombreux sont les Britanniques qui lâchent tout pour venir s'installer en France, un rêve qui trop souvent s'écroule devant les difficultés. Entre le problème d'intégration et les difficultés administratives voire parfois les fraudes, la réalité est bien plus compliquée qu'elle n'y paraît au départ.

Catharine Higginson

Catharine Higginson

Catharine Higginson est blogeuse. Elle tient un site internet pour les expatriés britanniques en France "survive france".

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Thierry Vallat

Thierry Vallat

Thierry Vallat est avocat au Barreau de Paris - cabinet secondaire à Tallinn (Estonie) - intervient régulièrement dans les dossiers de fraudes sociales, fiscales et travail dissimulé. 

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Atlantico : En France de nombreux Anglais voient leur rêve de nouvelle vie sombrer dans un gouffre de difficultés imprévues. Qu'est-ce qui pousse tant de britanniques à venir s'installer en France?

Catharine Higginson : Les raisons sont nombreuses. Il y a plusieurs catégories de personnes qui ont des raisons très différentes. Pour commencer, les Britanniques ont une affinité depuis longtemps avec la France. Elle a été notre destination de vacances préférée pendant de nombreuses années. Nous aimons le rythme lent de la vie dans la France rurale, la belle pierre construite, les "pigeonniers" et les champs de tournesols. Cela rappelle aux anglais comment l'Angleterre était, avec un rythme de vie plus lent et sécurisé. Il y a aussi beaucoup de programmes de télévision au Royaume-Uni montrant des gens qui ont déménagé en France et, plus important encore, en montrant comment les gens achetant des propriétés peuvent obtenir beaucoup plus en France qu’en Angleterre avec le même budget. Vous pouvez toujours échanger une petite maison au Royaume-Uni pour quelque chose de beaucoup plus grand avec dépendances et terrains en France. Les gens regardent les programmes (qui sont presque toujours filmés quand  il fait beau temps  !) Et pensent "Wow ! Je pourrais le faire, je pourrais vendre ma maison et acheter une "maison de maître" avec trois hectares et avoir assez d'argent pour installer une piscine ".

Les retraités qui sont venus tout simplement pour une belle retraite détendue ont tendance à s’en sortir  mieux. Ils sont heureux avec (en général !) le temps qui est meilleur et un taux de crime moins élevé. Pour eux, les aspects positifs de la France l'emportent largement sur les aspects négatifs. Ils ont tendance à mieux s'intégrer. Peut-être qu'ils sont une génération plus accommodante et stoïque. Peut-être qu'ils ont plus de temps pour s’arrêter et discuter avec les voisins et assister aux fonctions du village. Ils ont tendance à se joindre à un groupe ce qui rend l'intégration plus facile et ils sont moins préoccupés par leurs erreurs quand ils parlent français, donc ils sont plus heureux de communiquer. Sur l'ensemble des personnes que nous connaissons, les retraités ont tendance à être plus heureux et installés. Puis il y'a les jeunes immigrants qui ont besoin de gagner leur vie. C'est le groupe qui a généralement le plus de difficultés.

Les aides RSA, CMU, le système social français attirent-elles les Anglais en France ?

Thierry Vallat : Il a souvent été dressé un cadre quelque peu "idyllique" d'un système social français qui attirerait de nombreux étrangers, européens ou non, Concernant spécifiquement les anglais, il faut bien comprendre que le système d'aides instauré au Royaume-Uni a été longtemps globalement plus favorable, notamment avec de bien meilleures aides au logement. Contrairement à une idée reçue, le système anglais est donc nominalement resté plus généreux, même si toutefois les allocations de type RSA ou CMU demeuraient plus favorables en France. Il n'est donc pas étonnant que de nombreux anglais aient été attirés par la France, mais pas forcément uniquement pour bénéficier des aides.

Toutefois dès 2011, le gouvernement Cameron a été amené à opérer des coupes drastiques pour lutter contre les déficits. Dès lors,la tentation est effectivement devenue plus grande pour certains ressortissants étrangers d'obtenir des aides sur notre territoire, notamment issus de l'Union européenne et naturellement des anglais.

Mais il faut noter que ce "tourisme social" n'est pas propre à notre pays avec la crise qui accélère le déplacement de travailleurs, mais que le débat est ouvert dans d'autres pays européens comme l'Allemagne et aussi...la Grande-Bretagne elle--même et ses craintes de venues massives des "plombiers polonais". D'où les tentatives de restrictions pour décourager les migrants. Il s'agit donc bien là d'une préoccupation à l'échelle de l'UE.

Catharine Higginson : Pas du tout. La plupart d'entre eux ne sont  pas conscients de la façon dont cela fonctionne . La grande majorité des expatriés viennent  avec l’intention de travailler et c'est seulement quand les choses vont mal et qu’ils ont vraiment besoin d'aide qu'ils commencent à en savoir plus sur la façon dont le système de prestations fonctionne. Il est certainement beaucoup plus difficile de réclamer des aides ici qu’au Royaume-Uni, donc je ne pense pas que ce soit un facteur. Et n'oubliez pas, beaucoup de ces personnes n'ont jamais revendiqué quoi que ce soit dans leur vie au Royaume-Uni et sont très choqués quand ils tombent sur ​des temps financiers difficiles. Je sais que cela a été un énorme choc pour moi. Je travaille maintenant à temps plein en tant que professeur d'anglais pour la CCI et la ESDL mais il m'a fallu beaucoup de temps pour obtenir un certain degré de stabilité financière et je sais combien cela peut être difficile.

Toutes ces questions sont les raisons pour lesquelles nous avons commencé notre site Web. Comme beaucoup d'expatriés, j'ai un blog sur la vie en France. On a appelé notre site Survive France et nous l’avons lancé parce qu’il y avait un réel besoin de réseaux sociaux pour les anglophones en France. Le nom est un jeu de mots en anglais, nous vivons tous en France, mais la vie peut être une lutte - d'où l'accent sur ​​le mot "VIVE" - un mot français - survivre dans - un mot anglais. Nous avons environ 60 000 visiteurs uniques sur notre site chaque mois et environ 8000 membres inscrits. C'est un endroit où les gens peuvent aller pour poser des questions et partager leurs expériences. Et oui, nous avons pas mal de membres français aussi !

Des Britanniques vivant en France ont-ils par le passé pu "profiter" du système ? Constate-t-on encore des abus actuellement ? 

Thierry Vallat : Il est indéniable que certains britanniques ont usé, et parfois abusé, du système. De nombreuses dérives ont commencé à défrayer la chronique il y a une dizaine d'années lorsque, par exemple, on a appris que des anglais fortunés ayant investi dans le Sud Ouest dans de magnifiques demeures rénovées à grands frais étaient devenus des clients réguliers des médecins locaux et se trouvaient, contre toute attente, bénéficiaires de la Couverture médicale universelle.

C'était devenu même un phénomène récurrent dans certains départements comme l'Aude, le Lot ou les Pyrénées-Orientales. Certains avaient même pu parler de "ratissage social", encouragé par la difficulté pour la CPAM de maîtriser à l'époque les revenus des ressortissants anglais et donc d'octroyer la CMU à des bénéficiaires abusifs.

L'allocation indue et répétée du RMI à des centaines d'allocataires européens en Périgord, majoritairement des sujets britanniques, avait également attiré l'attention des autorités françaises sur les conditions, sans doute trop larges, d'obtention des aides.Aussi, les conditions d'octroi du RMI ou de la CMU se sont depuis durcies dès 2007, notamment avec la règle des trois mois de résidence régulière minimum.

En vain apparemment, puisque la fraude aux prestations sociales a tout de même explosé: les derniers chiffres viennent de tomber ce mercredi 17 septembre 2014 avec la publication du rapport annuel sur la sécurité sociale de la Cour des comptes révèle qu'entre 2007 et 2013 leur chiffre a doublé pour atteindre environ 5 milliards d'euros (25 milliards pour l'ensemble des fraudes aux cotisations sociales, principalement du travail dissimulé)

Il y a donc manifestement encore de nombreux abus, mais il serait excessif de stigmatiser une nationalité plutôt qu'une autre. 

Pourquoi tant d'entre eux éprouvent des difficultés à s'intégrer ? Y a-t-il un manque de préparation ?

Catharine Higginson : Je pense qu'il ya un gros problème avec le manque de préparation. Avant qu’on emménage en France cela faisait déjà plus de trente ans que je venais en vacances en France et j'ai pensé que je "parlé" français. En fait, le français que je parlais était l'équivalent anglais de "où est Brian? Brian est dans la cuisine "- pas pratique ou utile du tout. Je n’avais presque pas de vocabulaire qui me soit utile et si je devais aller dans un magasin de bricolage et acheter une pièce de rechange pour ma tondeuse ou aller au bureau de l'impôt et rechercher quelque chose, j'ai découvert que je ne pouvais pas m'exprimer. C'était très frustrant. C'est beaucoup plus facile de nos jours avec des ressources en ligne, mais même ainsi, beaucoup de gens arrivent et n'ont pas la moindre idée de la façon dont la "sécu" fonctionne ou ce qu'ils doivent faire pour enregistrer leur voiture.

Les consulats constituent indéniablement une aide précieuse pour nos amis britanniques implantés en France, dont celui basé à Bordeaux qui concerne la très nombreuse colonie des anglais résidant dans le Sud Ouest. 

Quelles sont les difficultés les plus fréquemment rencontrées par ces nouveaux expatriés ?

Catharine Higginson : Le plus gros problème pratique est de loin la santé. Pour commencer, il y a beaucoup de variations de droit entre les deux peuples de sorte qu'il est difficile pour eux de comprendre. Ensuite, il ya la question des différents bureaux CPAM / RSI demandant des documents différents. Il y a une variation énorme entre les régions. Il y a également le retard qui est déjà assez mauvais pour les francophones mais quand vous essayez de tout faire dans une langue étrangère, ça devient très difficile et la couverture / assurance santé peut devenir très stressante car il est très pénible d'être en attente d'une carte vitale depuis si longtemps. Il ya des histoires de gens qui attendent depuis des années et j'ai personnellement, lutté avec le RSI pour obtenir la Carte Vitale de mes filles pendant près de trois ans en dépit du fait qu’elles étaient sur ma Carte Vitale depuis 9 ans!
Le plus gros problème émotionnel est de loin la solitude et l'isolement. C'est différent dans les grandes villes et les villes, mais en France rurale, où la plupart des expatriés se dirigent, il est vraiment difficile de se faire des amis à proximité rapidement. C'est un gros problème pour les femmes en particulier qui sont habitués à passer beaucoup de temps avec leurs amies proches (faire du shopping ou aller au restaurant). Vous pouvez vous intégrer mais cela prend du temps et les gens trouvent que c’est plus facile d'essayer de se faire des amis avec d'autres anglophones. Malheureusement l'isolement social est une grande partie de l'expérience d'expatrié et, je pense que c’est l'une des raisons de la grande quantité d’abus d'alcool chez certains éléments de la communauté des expatriés.

S'agissait-il de fraude ou les Britanniques ont-ils fauté en raison d'une mauvaise connaissance du fonctionnement du système ?  

Thierry Vallat : Pour les cas évoqués précédemment, certains britanniques ont clairement sciemment fraudé et pu tirer partie sans vergogne des failles du système: ce sont des véritables fraudeurs. Comme ce contrôle URSSAF qui a permis de démasquer un escroc britannique qui opérait à Carcassonne en ayant détourné 15.000 € de CMU ou ces 150 faux RMIstes anglais qui sévissaient en Dordogne en encaissant un total de 660.000 €.

Les chiffres des irrégularités évoquées pour les ressortissants anglais démontrent également que les fraudes de ces derniers ne représentent qu'une infime partie des montants indûment perçus en France chaque année.

Et il y a bien sûr de nombreux bénéficiaires indus des prestations sociales qui les ont obtenu par simple ignorance du système ou omission sincère des données, les règles étant, il est vrai, particulièrement complexes à comprendre et à appliquer, pour tout le monde y compris les français...

Qu'est-ce qui a évolué en France avec l'accélération de la "chasse aux fraudeurs" ?

Thierry Vallat : Indéniablement, ce qui a changé dans le paysage de la fraude sociale, c'est un net durcissement de la lutte contre cette fraude avec de plus nombreux contrôles et un ciblage plus efficace avec notamment le recours aux méthodes de datamining, le recoupement de données en fonction du profil des fraudeurs.

Mais les moyens d'enquête demeurent encore notoirement très insuffisants en moyens et en personnel, avec un phénomène réel de développement massif de la fraude. Cette accélération des fraudes est aussi en partie liée à l'augmentation du nombre de travailleurs européens résidant dans un autre pays qui est passé de 4,7 millions en 2005 à 8 millions en 2013 !

Il faut noter que la France s'est également récemment dotée de nouveaux outils répressifs depuis le vote de la loi de financement de la sécurité sociale du 23 décembre 2013 qui a étoffé les dispositifs de lutte, notamment avec le nouvel article 441-6 du code pénal (qui puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de fournir sciemment une fausse déclaration ou une déclaration incomplète en vue d'obtenir ou de tenter d'obtenir, de faire obtenir ou de tenter de faire obtenir d'une personne publique, d'un organisme de protection sociale ou d'un organisme chargé d'une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu).

Pour revenir aux ressortissants britanniques, ils sont enfin certainement aujourd'hui plus surveillés et contrôlés dans les régions où ils sont massivement établis, en raison des irrégularités dont les CPAM et URSSAF locales ont été alertées.

Ces britanniques se sont-ils trompés sur la France, se sont-ils fait une fausse image ?

Catharine Higginson : Je ne suis pas sûre d’une fausse image, mais je pense que beaucoup se sont égarés. Ils pensent que la vie en France sera comme être en vacances, mais pour les 12 mois de l'année! Lorsque vous êtes en vacances le rythme lent de la vie dans la France rurale, les beaux bâtiments en pierre "pigeonniers", les champs de tournesols sont agréables. Quand vous vivez ici 24/7 la vie de campagne vous rend fous, surtout si vous venez d'une grande ville au Royaume-Uni, le pigeonnier commence à tomber vers le bas et coûte une fortune à réparer et les champs de tournesols vous donne un rhume des foins! 

Très souvent les anglais sont attirés par les prix bas de l'immobilier et cela veut dire qu'ils achètent la où les français sont les  moins intéressés. Ce sont les endroits les plus faibles économiquement, ce qui fait que quand les anglais décident de rentrer dans leur pays, ils se retrouvent avec des maisons qui  valent très peu ou qui vont mettre beaucoup de temps à être vendu sur le marché. Souvent ils dépensent énormément en rénovant et sont incapables de récupérer cet argent par la suite. Dans ce cas, sauf s'ils ont un autre revenu, ils sont coincés car ils ne peuvent pas vendre leur maison au prix qu'elle vaut vraiment. Même s'ils trouvent un acheteur souvent ils ne peuvent pas se payer une maison au Royaume-Uni. Ils n'ont pas de revenus donc ils ne peuvent pas louer non plus. Ils se retrouvent coincés en France. Il n'y a pas de solution à ce problème et c'est le problème majeur qui affecte les anglais voulant retourner dans leur pays.

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