Le modèle social français, c’est quoi aujourd’hui (et à supposer qu’il soit vraiment fini, comment le reconstruire) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Gattaz remet en cause le système social français.
Pierre Gattaz remet en cause le système social français.
©Reuters

Fin d'une époque

Le président du Medef, Pierre Gattaz, a estimé ce mardi 16 septembre dans Le Parisien/Aujourd'hui en France que "notre modèle social a vécu" et que "les mots interdits, les tabous, ça suffit", appelant notamment à "fluidifier" le marché du travail. État des lieux d'un modèle mal en point.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Dans un entretien au Parisien/ Aujourd'hui en France publié ce mardi 16 septembre, le président du Medef, Pierre Gattaz estime que "notre modèle social a vécu, il n'est plus adapté". Mais comment définir le modèle social français ? Quels en sont les grands principes et objectifs ?

Vincent Touzé : Le modèle social français repose sur des principes adoptés lors de la reconstruction de la France après la seconde guerre mondiale.
En 1945, une sécurité sociale moderne a été mise en place sous l’impulsion du gaulliste Pierre Laroque. Les risques santé, famille et vieillesse seront d’abord couverts. Par la suite, le risque chômage sera également assuré à partir de 1959 avec la création de l’Unedic. La sécurité sociale française est un mixte entre une conception corporatiste (bismarkienne), où le statut de travailleur est aussi celui d’assuré social, et une conception universaliste (beveridgienne), où la citoyenneté ou la résidence donne un droit de couverture sociale. Les prestations sociales françaises sont pour l’essentiel financées par des cotisations prélevées sur les salaires.


A côté de ce modèle de protection sociale, se met en place un droit du travail qui vise à protéger les travailleurs. Ce droit régit les relations entre employeurs et employés. Un des rôles du droit du travail est de rétablir un certain équilibre des rapports de force entre les salariés et leur patron. Il définit les obligations réciproques et surtout, il délimite les clauses à respecter en cas de licenciement. Par ailleurs, ce droit garantit la liberté syndicale.
La régulation du marché du travail français passe aussi par un encadrement du salaire minimum. Créé en 1950 et indexé sur l’inflation, le SMIG (salaire mininum interprofessionnel garanti) sera remplacé en 1970 par le SMIC. Ce dernier sera plus avantageusement indexé sur la croissance de la productivité. Le SMIC ne sera jamais remis en cause directement. Toutefois, son coût supposé élevé et préjudiciable à l’emploi conduira de nombreux gouvernements à baisser les cotisations patronales. Afin de ne pas léser la sécurité sociale de ressources financières, l’Etat verse une compensation financière.
Les droits des salariés reposent sur un droit directement établi par le législateur mais aussi sur des conventions signées entre les partenaires sociaux (syndicats des salariés et syndicats du patronat) au sein des différentes branches d’activité mais aussi au sein des entreprises. Le paritarisme est ainsi une base du modèle social français.


En France, on distingue deux types de contrat de travail dans le secteur privé : le CDD (contrat à durée déterminée) et le CDI (contrat à durée indéterminée). Le second type de contrat est un peu le « graal » du salarié français puisqu’il lui offre de bonne garantie de conserver son emploi dans la mesure où son entreprise ne fait pas faillite. Dans le secteur public, cohabitent des salariés avec des statuts de fonctionnaire (emploi théoriquement garanti à vie) et des statuts plus précaires de non-titulaires.
Le modèle social français repose aussi sur une certaine conception de l’Etat dont les missions s’étendent bien au-delà de ces devoirs régaliens : éducation, formation, santé, etc. L’administration française (dans un sens étendu, à savoir, les administrations centrales, locales, de sécurité sociale et autres) emploie plus de 6 millions de fonctionnaires et assimilés, à comparer 15,8 millions d’emplois dans le secteur marchand.
Le modèle social français a connu de nombreuses transformations. Par exemple, le chômage de longue durée a conduit dans les années 1980 à une nouvelle forme de paupérisation lorsque de nombreux chômeurs se sont trouvés en fin de droit. En 1988, le RMI (revenu minimum d’insertion) sera alors créé. Il faut noter aussi la mise en place des 35 heures par le gouvernement Jospin à la fin des années 1990 dont l’objectif premier était de partager le travail afin de réduire le chômage. Pour faire face à une mauvaise couverture santé des travailleurs les plus modestes, ce même gouvernement mettra en place la CMU (couverture maladie universelle). Les retraites ont également connu de nombreuses réformes sous l’impulsion de Balladur (1993) et Fillon (2003). Ces réformes ont principalement conduit à une réduction des pensions et un allongement des durées d’activité.

Faut-il faire aujourd'hui le procès du modèle social français ou de ce qu'il est devenu ? En quoi a-t-il été dévoyé ? Selon quelles étapes ?

Le modèle social français se veut généreux avec un Etat omniprésent. Malheureusement, ce modèle social semble mal en point. La mondialisation a mis en concurrence la société française avec des pays avec peu ou pas de protection des travailleurs. Nos déficits commerciaux sont à mettre en parallèle avec les déficits publics.
Dans la mesure où le modèle social français n’arrive plus à se financer, sa viabilité est indéniablement remise en question. Ce système fonctionnait bien quand l’économie française connaissait un taux de croissance élevé. Ce système est censé nous protéger, et pourtant, il donne aussi l’impression d’être un fardeau financier et un facteur de rigidité. Notre filet de protection serait-il devenu un piège infernal ?
Le modèle social français peut donner l’impression de favoriser les générations les plus anciennes (celles qui ont accumulé le plus de droits –ancienneté, retraite, etc.–) au détriment des plus jeunes. Sur le marché du travail, dans la mesure où il existe des "insiders" avec des emplois mieux protégés, ces derniers peuvent obtenir des rémunérations plus élevées et des conditions de travail plus avantageuses au détriment des "outsiders", ceux qui n’ont pas d’emploi et qui auront d’autant plus de difficultés à obtenir un travail que la rente captée par les "insiders" sera élevée.

Comment la France aurait-elle traversé la crise sans son fameux modèle social, aussi limité soit-il devenu ?

Dans un premier temps, le fait d’avoir, en France, un modèle social généreux a permis de limiter les conséquences sociales de la crise. Ainsi, les nouveaux chômeurs ont été indemnisés. Ceux dont les revenus sont devenus insuffisants ont pu bénéficier de prestations sociales redistributives. L’autre impact positif est que la redistribution sociale a permis de maintenir un certain pouvoir d’achat et ainsi de solvabiliser la demande. En ce sens, le modèle social français a pu amortir les conséquences de la crise. La difficulté provient que la crise s’installe. A défaut de croissance, la France s’enlise dans les déficits sociaux et les gouvernements ont été obligés d’augmenter les impôts. Ces hausses d’impôts bien qu’indispensables pour préserver les finances publiques sont devenues des freins supplémentaires puisqu’elles ont alourdies les coûts du travail et du capital. Dans un contexte de concurrence mondiale acharnée, une fiscalité alourdie réduit indéniablement la compétitivité.

Sur quelles bases faudrait-il le reconstruire en renouant avec son esprit premier ?

Reconstruire le modèle social français nécessite de prendre en compte plusieurs aspects :


1. L’emploi est la meilleure protection sociale dès lors qu’il permet à chacun de vivre des revenus de son travail. Si les revenus sont insuffisants, ces derniers peuvent être complétés par une redistribution adéquate. L’exercice d’une activité professionnelle est d’autant plus importante qu’elle est source de dignité pour le travailleur et qu’elle peut aussi avoir des aspects qualifiants. Il n’y a pas de pire drame social que de laisser des travailleurs sans emploi. Le chômage est la première cause de paupérisation et de marginalisation.


2. La mondialisation a profondément marqué notre système productif. Des pans entiers de notre industrie ont ainsi disparu car nous n’étions pas assez compétitifs. La concurrence entre pays est bénéfique si elle se réalise sur des bases loyales. Dans le domaine du droit du travail, certains pays comme la Chine sont très loin des standards européens. Pour ces pays, un droit du travail affaibli conjugué parfois à une monnaie dévaluée joue très favorablement en faveur de leur niveau de compétitivité. La défense du modèle social français pourrait reposer sur des nouvelles formes de financement telles que la TVA sociale qui frappe autant les biens produits à l’étranger que ceux produit sur le territoire national. On changerait de paradigme.


3. Il faut se méfier d’un droit du travail qui dans sa juste volonté de rétablir un rapport de force équilibré entre travailleurs et patrons conduirait aussi indirectement à des iniquités entre travailleurs (cf. l’analyse "insiders" vs "outsiders")

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