Le Dalaï-lama de moins en moins grata chez les chefs d’Etat : un thermomètre de la montée en puissance de la Chine (et des limites du personnage ?) <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Dalaï Lama est de moins en moins invité par les chefs d'Etat.
Le Dalaï Lama est de moins en moins invité par les chefs d'Etat.
©Reuters

Pas très zen

Au début des années 2000, le Dalaï Lama était régulièrement invité par les chefs d'Etat du monde entier. Aujourd'hui, plus du tout. Et pour cause, la Chine devient un tel monstre économique qu'il n'est pas bon de se froisser avec elle.

Loïc Tassé

Loïc Tassé

Loïc Tassé est chargé de cours au département de Science politique de l’Université de Montréal, spécialiste des questions chinoises.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis les années 2000, le Dalaï Lama est de moins en moins invité par les chefs d'Etat du monde entier. Ainsi il n'a été invité qu'une fois en 2014 contre onze fois en 2001. Pourquoi le Dalaï Lama n'est-il plus invité nulle part ?

Loïc Tassé : Si le Dalaï Lama est désormais persona non grata parmi les chefs politiques, c’est qu'aucun gouvernement ne veut risquer de perdre ses relations commerciales et politiques avec la Chine. Le Tibet, avec ses 6 millions d'habitants, en comptant large, ne fait pas le poids face à une Chine de presque 1,4 milliards de personnes.

D'autre part, le Tibet est en train de subir une colonisation intérieure. Alors qu'auparavant très peu de Chinois Han s'installaient et demeuraient au Tibet, parce qu'il était trop difficile d'y gagner sa vie, aussi bien comme agriculteur que dans les villes, la situation a complètement changé avec l'arrivée du train et l'ouverture de plusieurs aéroports. Le secteur touristique s'est beaucoup développé, et avec lui, toute sorte de commerces liés au tourisme. Or, ce sont des Chinois Hans qui sont pour la plupart propriétaires de ces commerces. Les villes tibétaines comme Lhassa sont maintenant majoritairement peuplées de Chinois Hans. Avec comme résultat que la proportion de population tibétaine au Tibet diminue sans cesse.

Ce sont les Chinois Hans qui contrôlent la vaste majorité des commerces parce que ce sont eux qui détiennent les réseaux de contacts avec le reste de la Chine et parce que les Tibétains parlent mal mandarin. Ajoutons que la population tibétaine est disséminée à travers diverses vallées, ce qui rend plus difficile sa scolarisation.

Quels sont les pays qui l'évitent ? Quelles peuvent être les conséquences économiques pour ceux qui feraient fi des exigences chinoises ?

Les pays totalitaires ou très autoritaires comme la Corée du Nord, l'Arabie Saoudite ou la Birmanie évite totalement d’inviter le chef spirituel tibétain. La plupart des pays latino-américains et africains également. Je pense notamment à l’Afrique du Sud qui a refusé d’accorder un visa au Dalaï Lama par trois fois en cinq ans.

Les pays qui persistent à inviter le Dalaï-lama et qui sont économiquement faibles peuvent s'attendre à recevoir moins d'investissements de la part de la Chine. Pour les autres pays, le gouvernement chinois ne va pas vraiment au-delà de gesticulations diplomatique et d'un ralentissement de diverses négociations qui sont en cours avec les pays concernés.

Concernant le Tibet, qu'est-ce que la non-invitation du Dalaï Lama signifie pour ce pays ? A quel avenir peut-on s'attendre ?

À moins d'événements très inattendus, le Tibet est destiné à recevoir le même destin que la Manchourie, la Mongolie intérieure ou le Xinjiang, c'est-à-dire que le Tibet deviendra une province de Chine comme les autres et ce, d'ici quelques décennies. La culture tibétaine survivra un certain temps, ne serait-ce que parce qu'elle plaît aux touristes, mais elle est menacée de folklorisation à plus long terme.

Le Dalaï-lama est une figure publique aimée et reconnue mondialement, qu'on soit ou non d'accord avec ses positions politiques et religieuses. Il a été un excellent ambassadeur du gouvernement tibétain en exil. Il peut toujours facilement attirer l'attention mondiale des médias. Être moins invité est un problème mineur pour le gouvernement en exil. Le vrai problème sera de lui trouver un remplaçant. Le Dalaï Lama souhaite que ce remplaçant soit un élu. Mais là-dessus, il semble y avoir beaucoup de dissidence parmi les leaders tibétains.

Somme toute, à moins d'événements extraordinaires, la proportion de Tibétains vivants au Tibet va continuer à décroître et le gouvernement tibétain en exil va perdre sa figure de proue lorsque le Dalaï-lama décédera.

Le Dalaï Lama a par ailleurs récemment déclaré qu'il serait le dernier Dalaï Lama. Qu'est-ce que cela signifie ?

A la mort du Dalaï-lama, c'est le Panchen-lama qui prend la relève. C'est aussi lui qui désigne la réincarnation du Dalaï Lama. Or, le Panchen-lama actuel a été éduqué par les autorités de Pékin. Il est donc très pro-chinois. Il est difficilement évitable que le prochain Dalaï-lama soit aussi pro-chinois. C'est la raison pour laquelle le Dalaï-lama a évoqué la possibilité de ne pas se réincarner. C'est la raison pour laquelle le gouvernement chinois a déclaré qu'il ne pouvait pas décider de cela – un comble de la part de dirigeants politiques officiellement athées !

Quoi qu’il en soit, le Dalaï-lama est âgé. Et on peut s’attendre après sa mort à un combat politique pour qu’un jeune enfant soit reconnu comme sa réincarnation. Étant donné le faible niveau de scolarité de la population tibétaine et étant donné la croyance bien enracinée en la réincarnation, il serait surprenant que le Panchen-lama, avec l'aide du gouvernement chinois, ne parvienne pas à faire reconnaître un nouveau Dalaï-lama, qui bien-entendu sera à leur solde.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !