Bruno Le Maire : "notre identité nationale se construit dans le respect de la langue française et de la mémoire qui vit en elle"<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire
Bruno Le Maire
©Reuters

Bonnes feuilles

Ce texte est une lettre que Bruno Le Maire adresse à ses enfants pour leur expliquer sa vision de la France et qui il est : "un Français de cette France ancienne, qui veut en inventer une nouvelle avec eux." Extrait de "À nos enfants", publié chez Gallimard (1/2).

Bruno Le Maire

Bruno Le Maire

Bruno Le Maire est député LR de l'Eure, et candidat à la primaire de la droite et du centre.

Il a été successivement directeur de cabinet de Dominique de Villepin, secrétaire d'État aux Affaires européennes et ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche.

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De tous les liens qui ont uni ma grand-mère à ses petits-enfants et à sa fille, Viviane, la langue française aura été sinon le plus fort, du moins le plus durable. Il ne reste que des mots des sentiments qui ont passé, mais la langue les a gardés vivants, disponibles, il suffit de se replonger dedans. Un jour vous sortirez de France et vous comprendrez qu’il existe non pas un monde, mais mille mondes. Vous verrez ces mille mondes et je suis certain que vous les aimerez. Partez le temps que vous voudrez, laissez derrière vous ce que vous voulez, sauf votre langue. Elle vous rassemblera, comme elle rassemble tous les Français. Elle vous donnera la solidité intérieure qui permet de résister à tous les ébranlements. Apprenez toutes les langues, les plus rares et les plus courantes, puisque les langues étrangères se nourrissent les unes des autres, ne méprisez jamais la langue française, qui restera la langue que vous avez entendue quand vous ne parliez pas encore. Écoutez des musiques différentes, apprenez les mille intonations des mille mondes, forcez votre esprit à la contorsion de la syntaxe allemande, battez-vous avec les aspirations brumeuses et dansantes de la langue anglaise, ne perdez jamais le sens de votre langue. Elle se confond avec vous. Elle est ce que vous deviendrez. Elle est ce que seront vos propres enfants, quand ils commenceront à leur tour à balbutier des syllabes indistinctes, puis à déformer les mots que vous maîtrisez, en leur donnant une poésie nouvelle. Si vous trouvez trop étroite la langue de votre naissance, dites-vous que très loin de France des hommes et des femmes, au Québec, au Sénégal, en Algérie, au Cambodge et ailleurs, continuent de la parler avec des tournures et des accents différents, qui la revivifient. Dites-vous encore que, parmi tous les motifs de respect de votre pays dans le monde, se trouve au premier rang sa langue. Durant sa vie de musicien, Carlos Kleiber, dont je vous ai rebattu les oreilles pendant des mois, a écrit des milliers de lettres. Le plus souvent il s’exprime en allemand, sa langue maternelle, mais par moments il passe à l’italien, à l’anglais, ou au français. Dans une de ces lettres, il explique son refus de diriger le Don Giovanni de Mozart, invoquant tour à tour la figure tutélaire de son père, la difficulté du livret, le temps qui lui manque, la fatigue physique, puis brutalement il coupe : « Maintenant, assez ! Je vais vous parler en français, pour parler clairement. Car on parle clairement en français, nicht wahr ? » Carlos Kleiber a raison, il existe bien une clarté de la langue française, qui est géographique, plus que sonore, ce qui rend si difficile de trouver sa propre musique dans notre langue, sauf à la briser : en allongeant démesurément ses phrases, comme Proust, au risque de paraître « snob et effroya blement compliqué » aux yeux de ma grand-mère, quand il ne fait que suivre à la trace les méandres de nos sentiments ; en brisant la langue, comme Céline ; en la laissant couler comme du sable entre ses doigts, à la manière de La Fontaine. Dans le grand débat qui ressurgit régulièrement sur notre identité nationale, et dont le dernier épisode, en 2009, me laissa un goût amer, parce que ses modalités risquaient de rendre les populations immigrées responsables de nos difficultés, je connais un motif puissant de réconciliation : notre langue. Au lieu de critiquer publiquement ce débat, ce qui me valut une remarque acide du Président de la République en Conseil des ministres, j’aurais été avisé de rappeler simplement, comme je le fais avec vous dans cette lettre, une évidence : notre nation est sa langue. Nous sommes ce que notre langue et ses variations infinies racontent de notre histoire, de la diversité de nos origines, de notre prétention à nous exprimer pour les autres, de nos territoires. Notre identité nationale ? Elle se construit dans le respect de la langue française et de la mémoire qui vit en elle. Nous ne réunirons les Français et ceux qui rêvent de le devenir, au point de quitter leur pays pour le nôtre, souvent par des moyens de fortune, que dans notre langue.

Extrait de "À nos enfants",  de Bruno Le Maire, publié chez Gallimard, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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