Chroniques d'une jeune prof dans un quartier difficile : quand la discipline manque à l'appel<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Chroniques d'une jeune prof dans un quartier difficile : quand la discipline manque à l'appel
©Reuters

Bonnes feuilles

Sophie commence à enseigner à la rentrée 2013, mais très vite se rend compte d'un grand décalage entre les connaissances apprises lors de ses études et la réalité du monde de l'enseignement tel qu'il se pratique dans un quartier difficile de l'Ile-de-France classé en zone d'éducation prioritaire (ZEP). Son témoignage restitue en détail la vie du collège. Extrait de "Jours de collège", de Louise Cuneo et Sophie Delcourt, publié aux éditions Bartillat (2/2).

Louise  Cuneo

Louise Cuneo

Louise Cuneo est journaliste au magazine Le Point, spécialisée dans les questions d'éducation.

Voir la bio »
Sophie Delcourt

Sophie Delcourt

Sophie Delcourt est professeur d'histoire-géographie dans un collège francilien. Elle enseigne depuis 2013.

Voir la bio »

Le « stress de la bonne élève » : voilà comment Sophie décrit son intense angoisse ce mardi matin, en arrivant à une formation de deux jours obligatoire pour tous les profs, jeunes débutants ou vieux routards. Sa terreur : se faire repérer par l’inspecteur ; qu’il la juge « complètement nulle » et vienne l’« inspecter tout le temps ». L’enseignante ne sait pas ce qui l’attend, elle n’a jamais reçu la moindre formation à ce sujet.

Dans la salle, ils sont une vingtaine, tous profs d’histoire- géo, tous affectés en ZEP. Sophie y retrouve avec soulagement Antoine et Baptiste. Ils ont déjà assisté à de telles journées, et tentent de la rassurer : « T u vas voir, tu vas apprendre rapidement. Tu bois beaucoup de café, tu écoutes ce qu’on te dit, tu t’enfonces dans ton siège... et tu attends que ça passe. » Les deux jeunes hommes endossent rapidement leur rôle habituel : l’un d’eux fonce s’asseoir près du radiateur. L’autre choisit de contester systématiquement ce qu’annonce le formateur, ponctuant ses propos de nombreux « c’est bien beau tout cela, mais concrètement, comment on fait ? », incarnant le téméraire qui ose dire tout haut ce que tous pensent tout bas. Le formateur, d’abord décontenancé, finit parire jaune aux interventions de Baptiste. « Oui, oui, je sais ! Mais je vous donne juste des idées... », conclut-il rapidement pour sortir de l’ornière. « L ’ambiance est exactement celle d’une classe de collège ! s’étonne Sophie. Un peu comme le jour de la prérentrée, lorsque aucun prof n’écoutait le principal. »

Un horizon pédagogique

La formation commence par la théorie. « Enfin on me parle de ce que l’Éducation nationale attend de moi ! » se réjouit dans un premier temps, celle qui avoue n’avoir jamais réussi à réellement utiliser Eduscol, le site du ministère. Mais la déception est grande : « C es formations sont utiles si on a le recul nécessaire pour comprendre que l’on nous présente là un horizon pédagogique idéal, loin de la réalité. » De fait, les élèves d’un jour écoutent un exposé des dernières avancées en matière de pédagogie. « C e sont des méthodes américaines ! », s’enthousiasme le formateur qui multiplie les théories sur la manière de mettre un élève dans une situation d’apprentissage, et de « capter son attention ». Sophie se met à rêver de l’application pratique de ces explications abstraites. Elle se souvient des échecs cuisants que ses accroches de cours ont pu recevoir. Elle n’a pas encore la technique, on dirait. À moins que le problème ne soit ailleurs. Elle tente de suivre à nouveau l’exposé, mais le formateur énonce des thèses avec force sigles et jargon qui rendent le discours indigeste : « L e DASEN ne dit rien quant aux TZR et aux BMP. » En clair, le « directeur académique des services de l’éducation nationale ne donne pas de précisions s’agissant des enseignants titulaires de zones de remplacement et les blocs de moyens provisoires » (des profs dont les heures de cours sont réparties dans plusieurs établissements).

Sophie se penche vers Antoine : « qu’est-ce que ça veut dire, “les mettre en îlot ?” », demande-t-elle. « C ’est du travail en petit groupe de trois à cinq », lui répond son collègue, amusé. « O ui ! Rendez-les autonomes, c’est ça, la clé ! Vous verrez et tout se passera bien ! », poursuit l’intervenant. L’enseignante, surprise, ne voit pas les choses dans ce sens : « S pontanément, j’aurais dit exactement l’inverse. Je pensais qu’il fallait que le cours se déroule bien pour leur laisser davantage d’autonomie. Ceci dit, c’est un peu le paradoxe de l’oeuf et la poule... » Ses collègues émettent eux aussi quelques doutes : « C ’est intéressant, mais difficile, vu les classes que l’on a ! » ose l’un d’eux.

À aucun moment, pendant ces deux jours, ne sera abordée la question de la discipline, pourtant au centre des préoccupations et des interrogations de l’assemblée. Chaque tentative sera étouffée par un sévère « si vous savez vous y prendre comme il faut, cela se passera bien ». Sophie retiendra cependant une vraie leçon de cette formation : les élèves fonctionnent plutôt par images, par flashs et par intuitions. Une évidence pour beaucoup d’enseignants aguerris présents dans la salle, mais une découverte pour elle. Jusque-là, elle s’était donc fourvoyée, convaincue que la compréhension des collégiens ne pouvait reposer que sur l’analyse et le discursif. « Je comprends mieux le recours à ces fameuses “traces écrites”, que l’on nous recommande vivement de laisser sous forme de schéma, de “carte mentale”. Mais quel dommage que cela ne règle pas les difficultés que les adolescents rencontrent avec l’écrit. Cela les masque. »

Extrait de "Jours de collège", de Louise Cuneo et Sophie Delcourt, publié aux éditions Bartillat, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !