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Hollywood fait de son mieux pour nous faire pleurer (mais c'est de plus en plus difficile)
©wikipédia

Arrête ton cinéma

S'il n'y a aucune méthode infaillible pour faire pleurer les spectateurs, certaines techniques aident...

Laurent Jullier

Laurent Jullier

Laurent Jullier est professeur d'études cinématographiques à l'Institut Européen de Cinéma et d'Audiovisuel (IECA) de l'Université de Lorraine et directeur de recherches à l'Institut de Recherches sur le Cinéma et l'Audiovisuel (IRCAV) de l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris III.

Il est notamment l'auteur de Analyser un film : de l'émotion à l'interprétation paru en 2012 aux Editions Flammarion.

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Atlantico : Nombreux ont été les films sortis cette année qui ont cherché à nous faire pleurer. D'où vient l'obsession d'Hollywood cette année à nous faire pleurer ? Quelles en sont les raisons ?

Laurent Jullier : Ce n’est propre ni à cette année ni à Hollywood. Depuis la nuit des temps, les arts, et surtout les arts narratifs, servent à essayer des comportements, à se découvrir soi-même, à voir comment on réagit devant une situation nouvelle. Et le malheur, c’est une situation comme une autre. Qu’est-ce que je ferais si j'apprenais que j'ai une maladie incurable ? Si je regarde un film qui me présente un héros ou une héroïne à qui cela arrive, et si je m’intéresse à lui ou à elle (ce qui veut dire que je trouve le film réussi, sinon ça ne marcherait pas), je peux me faire une bonne idée de ce qui se passera si un jour la nouvelle me tombe dessus. C’est de l’entraînement au malheur, pour le dire brutalement ! Et c’est de l’entraînement plaisant : il y a de la musique (le “mélo” de mélodrame), les interprètes sont souvent agréables à regarder et on admire souvent leur “métier” (ce n’est pas facile de pleurer sur commande de façon convaincante, pour un acteur ou une actrice).

Cela semble de plus en plus difficile. Pourquoi ?

A notre époque, l’esprit cool, l’ironie, la moquerie sont très importants et très valorisés par les médias. Or ils sont contraires à l’esprit du mélodrame. Le mélo, tout comme le film d’horreur, le film comique ou le film porno, supposent une “technique du corps”, comme on dit en anthropologie, c’est-à-dire une manière de savoir se servir de son corps : si c’est pour ricaner, ce n’est pas la peine de regarder un mélo.

Quels sont les secrets et méthodes utilisés par les scénaristes pour nous faire pleurer ?

Il n’y a pas de secrets, sinon on ne ferait que de bons films et de bonnes séries ! Or il y a de mauvais mélodrames, qui ne plaisent à personne et que personne ne regarde. Par contre il y a une condition indispensable : la sincérité. Il faut que tout le monde y croie, depuis les acteurs jusqu’au réalisateur en passant par les techniciens et les musiciens. Dès que le spectateur détecte qu’on veut lui tirer les larmes, il décroche.

Selon une étude de 2008 de l'Université de Stanford, le concept du temps qui passe est également un élément essentiel des scénarios pour nous faire pleurer. Comment expliquer cela ? 

Oui c’est une étude de psychologie qui explique que l’anticipation de la fin rend mélancolique. Dès qu’on dit à une personne qu’elle voit tel paysage grandiose, parle à telle personne charmante ou vit telle situation agréable pour la dernière fois de sa vie, forcément, ça ne la rend pas joyeuse ! Les mélodrames jouent donc volontiers sur ce savoir : par exemple, ils nous disent que l’héroïne est condamnée avant même que son petit ami ne le sache. Et quand nous les voyons s’amuser au parc d’attraction, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que c’est la dernière fois qu’elle monte sur un manège. Alors, si le film nous plaît, nous avons les yeux mouillés en les regardant s’amuser.

Existe-t-il des différences entre les hommes et les femmes concernant les films qui les font pleurer ? 

Ce sont surtout des différences sociales. Un garçon de 14 ou 15 ans qui pleure devant un film, socialement, va le payer cher si jamais quelqu’un le voit – un camarade de classe... Une fille le paiera moins cher. Il y a bien ce qu’on appelle des “mélos masculins”, par exemple un film de guerre où le héros voit mourir un à un ses meilleurs copains de patrouille; mais le spectateur mâle est censé serrer les dents et garder les yeux secs devant l’écran. Cela prouve qu’il “contrôle son corps” et c’est très valorisant pour lui… Tandis que les filles sont censées ne pas se retenir, devant ces films qui “font pleurer Margot” – Margot, pas Raoul. Rien de cela n’est pourtant naturel ni rationnel ni justifié : c’est simplement un des moyens qu’ont les hommes de consolider la “domination masculine” en mettant en scène une soi-disant infériorité (complètement inventée) féminine.

Retrouve-t-on les mêmes éléments de scénario et les mêmes réactions dans toutes les régions du monde ? L'industrie bollywoodienne par exemple, utilise-t-elle les mêmes techniques ?

Il y a des différences et des ressemblances, mais elles ne coïncident pas forcément avec les frontières. Par exemple, il y a des spectateurs très religieux pour qui la mort représente simplement le passage en direction d’une vie meilleure: on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils aient la même réaction qu’un incroyant. Il y a aussi des différences proprement artistiques : tout le monde sait que les intermèdes chantés ont beaucoup de succès en Inde, mais qu’ici ça ne passe pas, surtout dans le cadre d’un mélo. Cependant, les différences s’observent plus souvent selon les goûts que selon les nationalités ou les sexes : il y a des spectateurs qui aiment le genre “mélo” et d’autres non, des spectateurs qui aiment pleure et d’autres non.

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