Pourquoi, contrairement à ce que dit François Hollande, des frappes sur la Syrie n'auraient pas permis d'éviter l'avènement des califoutraques islamiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président François Hollande.
Le président François Hollande.
©Reuters

Géopolitique : mode d'emploi

Le chef de l'Etat estime que le fait de ne pas être intervenu en Syrie en 2012 a facilité la création du califat de l'Etat islamique. Une réécriture de l'histoire qui s'accorde peu avec la réalité géopolitique de l'époque.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : François Hollande, après avoir soutenu la nécessité d'une intervention contre les islamistes de l'EIIL aux côtés de Barack Obama et de David Cameron, a poursuivi en affirmant que le fait de ne pas être intervenu en Syrie en 2012 avait permis aux islamistes de croître au Moyen-Orient, et de créer le Califat en Irak. En quoi cette déclaration à posteriori est-elle erronée ?

Alain Rodier : Le président François Hollande affirme qu’une intervention en Syrie en 2012, voire un bombardement en 2013 après l’attaque chimique ayant eu lieu dans la banlieue de Damas, aurait empêché la création de l’EIIL. Cela attire les remarques suivantes:

S’il s’agissait en 2012 d’une "action" -sans doute une aide matérielle et financière- à l’Armée Syrienne Libre (ASL), est-ce que cela aurait empêché la création de l’EIIL ? Mais, la matrice de cette formation, à savoir l’Etat Islamique d’Irak (EII) qui avait été officiellement prise en main par Abou Bakr al-Baghdadi le 10 mai 2010, avait commencé à métastaser en Syrie bien avant : dès août 2011 (l’insurrection a débuté en mars de la même année). Cette branche d’Al-Qaida central a pris officiellement l’appellation de Front Al-Nosra le 23 janvier 2012. Elle a été, au démarrage, financée et armée par l’EII aidé en cela par de riches donateurs du Golfe persique ainsi que par des fonds propres venant de rackets menés auprès des populations sunnites irakiennes, en particulier de Mossoul qui était déjà sous la coupe réglée des islamistes radicaux. La scission entre Al-Nosra et son géniteur qui avait pris le nom d’EIIL n’est intervenue qu’en avril 2013 (et confirmée officiellement un an plus tard). Pour ceux qui ne se le rappellent pas, Al-Nosra qui fait partie des "gentils insurgés" en Syrie, est officiellement adoubé par Ayman Al-Zawahiri, l’émir d’Al-Qaida. Son dernier fait d’armes : une incursion armée en territoire libanais en août 2014, Al-Nosra détenant désormais plusieurs membres des forces de sécurité en otages. Cette organisation n’est pas encore morte étant bien présente en zone Afghano-pakistanaise, au Yémen, en Somalie, au Nigeria et au Sahel. Il est vrai qu’elle connaît un sérieux problème dans le fait qu’un certain nombre de ses filiales sont en train de passer à l’ennemi en faisant allégeance au "calife Ibrahim" comme se fait appeler Abou Bakr al-Baghdadi.

En résumé, l’EIIL, sous un autre nom, existait bel et bien dès l’été 2011 et la décision des "gentils insurgés" de combattre ce mouvement n’est intervenue qu’en novembre 2013. Les premiers affrontements significatifs ont débuté en janvier 2014. Il est légitime d’en déduire que, ni une intervention en 2012, ni des bombardements en 2013 n’auraient empêché l’existence de l’EIIL. Tout au plus, cela aurait peut-être retardé sa progression, et encore ! A noter qu’une intense propagande a prétendu que l’EIIL avait subi d’importants revers en Syrie au début 2014. Il est vrai que ces jihadistes s’étaient retirés de positions où ils n’étaient pas en nombre suffisant pour affronter leurs adversaires. Mais, repartant à l’offensive, ils sont en train de conquérir des positions rebelles dans leur fief situé au nord d’Alep. De plus, en même temps que les premiers affrontements, ils se payaient le luxe de s’établir solidement dans la province irakienne d’Al-Anbar. Et depuis, ils sont à l’offensive partout… Par contre, très fluides, il est vraisemblable qu’ils vont lâcher un peu de terrain en Irak pour consolider leurs positions un peu en arrière des lignes de front actuelles.

Le fait de ne pas être intervenu ne s'explique-t-il vraiment que par un simple choix ? Pour quelles raisons stratégiques, et au regard de la complexité de la situation de l'époque était-il difficilement envisageable d'intervenir contre le régime de Bachar el-Assad ?

En 2012, toutes les chancelleries étrangères dont les Turcs qui pourtant étaient très bien renseignés sur la situation prévalant en Syrie, étaient persuadées que le régime syrien allait s’effondrer de lui-même en quelques semaines, voire quelques mois. Aucune assistance extérieure ne paraissait donc nécessaire (en dehors du libre passage de personnels et de matériels depuis la Turquie voisine). Or, Bachar el-Assad a fait preuve d’un pouvoir de résilience inattendu. Cela démontre, une fois de plus la difficulté qu’il y a à prévoir l’avenir, personne n’ayant de boule de cristal performante. Le renseignement c’est bien (et assez aisé quoiqu’on en dise), la prospective elle, est un art éminemment complexe.

En ce qui concerne le massacre de populations civiles au gaz sarin à la Ghouta dans la banlieue de Damas le 21 août 2013, malgré les affirmations péremptoires des officiels français, aucune preuve irréfutable ne permet d’incriminer formellement un ou l’autre des belligérants. La communauté internationale est aujourd’hui partagée sur ce sujet (comme sur d’autres) et même des spécialistes américains mettent désormais en doute les conclusions de Washington. Il est possible que le recul britannique puis américain sur la décision de procéder à des frappes pour "punir" le régime syrien, s’explique par les doutes sur l’origine de cette abomination.

Il est un autre facteur dont on parle moins : la Syrie n’est pas la Libye qui avait des armes sophistiquées mais pas les techniciens aptes à s’en servir correctement. Elle bénéficie d’une défense anti-aérienne performante avec, vraisemblablement, des conseillers russes qui ont fourni ces armements. Les pertes envisageables pour l’aviation attaquante auraient pu être conséquentes à moins de tirer "de loin". Et plus on tire loin, moins on est précis. L’efficacité militaire de ces frappes aurait alors été fortement sujette à caution sans compter que les réactions des parties russe et iranienne qui soutiennent le régime syrien étaient imprévisibles.

La situation n'était-elle pas déjà clivée en deux camps difficilement défendables ? 

Sauf miracle, Bachar el-Assad -et ses proches en cas d’empêchement "à la al-Maliki" - sont encore pour de longues années aux commandes à Damas. L’opposition "démocratique" est coincée entre le pouvoir et l’Etat Islamique sans aucun espoir de victoire sur le terrain, au moins à court ou moyen terme. Le paradoxe est maintenant régional et part du dicton "l’ennemi de mon ennemi est mon ami". Mais les dirigeants occidentaux qui semblent toujours avoir un train de retard (voir les révolution arabes puis leurs suites) manquent aussi de logique cartésienne élémentaire. Que voulez vous, ce ne sont pas des scientifiques mais des littéraires. Ils ne sont donc pas "lisibles", ni pour leurs administrés, ni pour les autres populations et leurs gouvernants. Les gouvernants russes, iraniens ou chinois sont beaucoup plus clairs : ils défendent tout simplement les intérêts de leurs pays respectifs sans se préoccuper outre mesure du rayonnement exemplaire que représentent les démocraties occidentales en général et la France en particulier.

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