Mélenchon blues : que pourrait bien faire la gauche de la gauche pour (re)nouer avec les 60% de Français que les élites ne voient plus ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon a décidé de quitter la direction du Parti de gauche.
Jean-Luc Mélenchon a décidé de quitter la direction du Parti de gauche.
©Reuters

Parti cherche électorat

Le retrait politique de Jean-Luc Mélenchon n'est que la partie émergée d'une crise profonde et d'une panne du renouvellement des idées de la gauche radicale.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Christophe Bourseiller

Christophe Bourseiller

Christophe Bourseiller est écrivain, historien et journaliste.

Maître de conférence à l'Institut d'études politique de Paris, doctorant en Histoire à l'Université Paris I, Christophe Bourseiller  est spécialiste des extrêmes, de droite et de gauche. Il est l'auteur notamment de Mai 1981 raconté par les tracts (Hors collection, 2011) et de L’Extrémisme, enquête sur une grande peur contemporaine (CNRS Editions, 2012).

 

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Atlantico : Aux dernières européennes, la gauche radicale ne récoltait que 7 % des voix, maintenant à peine son niveau de 2009.  Le leader du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon, lui, a annoncé en juillet qu’il faisait provisoirement une pause politique. Le Front de gauche peut-il profiter du retrait provisoire de Jean-Luc Mélenchon pour entamer sa révolution dont il a besoin ? L’ancien candidat à la présidentielle n’est-il pas le frein principal au renouvellement du corpus idéologique dont la gauche radicale a besoin ?

Eddy Fougier : Je ne suis pas certain que son retrait soit le meilleur moyen pour le Front de gauche d’entamer cette révolution. C’est un bon client des médias, il est connu, il faisait du buzz… Il a donné une visibilité au Front de gauche. C’est un personnage clef et le fait qu’il sorte du jeu  posera des soucis au Front de gauche. Je ne vois pas qui peut prendre sa succession. Son ombre restera omniprésente. C’est une personnalité bien trop voyante et forte pour que son absence se fasse sans vague.

Christophe Bourseiller : Je ne crois pas que l’ensemble hétérogène de la "gauche de la gauche" désire se renouveler sur un plan idéologique. Ce serait contraire à son identité même. La gauche de la gauche souhaite en effet revenir aux "fondamentaux" de la gauche, que la tendance sociale-démocrate aurait selon elle occultés. Parti de Gauche et PCF reprochent ainsi au PS ou encore au PRG d’avoir rompu avec ces fondamentaux. Dès lors, la gauche de la gauche assume une attitude forcément conservatrice. On la voit mal entamer une révolution. Le vrai problème, c’est la nature du Front de Gauche. Il s’agit actuellement d’un cartel d’organisations, qui vont du Parti de gauche (constitué d’anciens trotskistes et de dissidents du PS) au Parti communiste des ouvriers de France (une petite formation ouvertement stalinienne), en passant par divers courants issus de la Quatrième Internationale ou toujours en lien avec elle (Gauche unitaire, Gauche anticapitaliste, etc.). Dans cet ensemble hétéroclite, le parti communiste se taille la part du lion.  Dès lors que Mélenchon se retire, le PCF se trouve de facto en position archi-dominante. Le Front de Gauche devient une structure-appendice, dépendant du PC.

Yves-Marie Cann : Je dirai que Jean-Luc Mélanchon, qui incarne et a incarné cette union du Parti communiste et du Parti de gauche dès sa mise en place constitue à la fois un atout et un handicap pour le Front de gauche. Un atout, car il a une personnalité ne laisse personne indifférent, et qui suscite une sympathie auprès de l'électorat là où d'autres personnalités politiques, à droite comme à gauche, encaissent une défiance. Jean-Luc Mélenchon est donc à un niveau intermédiaire, une position honorable pour une personnalité située à l'extrême du spectre politique, et qui lui permet un potentiel d'exposition médiatique intéressant pour le projet de sa formation. Cette force est aussi selon moi un handicap car Jean-Luc Mélenchon est finalement le seule à pouvoir incarner cette union politique. A côté de lui, il n'y a personne d'autre. Le risque pour le Front de gauche est que s'il venait à prendre une pause, cela provoquerait sans doute une crise de leadership. On a pu voir au NPA qu'Olivier Besancenot, qui avait également incarné dès le départ l'esprit sa formation politique, et le contraint à rester très présent pour qu'elle puisse subsister.

D'un point de vue idéologique, à partir du moment où un mouvement est identifiée à une seule et même parole, cela ne peut pas de nature à favoriser une actualisation régulière du discours politique de la formation en question. Cet état de fait a pu constituer une faiblesse lors des derniers scrutins électoraux comme aux européennes de 2014.

Dans le contexte actuel, très différent de celui de 2009, un des marqueurs très important que cela illustre c'est que la crise et la dérive du capitalisme ne s'est pas traduite au sein de l'opinion publique en une remise en cause de celui-ci. La plupart des français n'attend pas de la part du personnel politique un changement du modèle économique. Ils demandent des garde-fous de la libéralisation, des mesures de régulations qui ont pu mener à la crise. Mais pas de remise en cause profonde.

Alors que les classes populaires ont longtemps fait confiance au Parti communiste, elles se détournent désormais de plus en plus de la gauche radicale souvent au profit du FN. Comment expliquer que la gauche de la gauche se soit fait ravir les classes populaires ?

Eddy Fougier : Ce décrochage avec les catégories populaires et notamment les ouvriers n’est pas nouveau. On peut remonter à 1983/1984 avec l’apparition du FN mais aussi la présidentielle de 1995.. La gauche radicale se donne pour objectif de retrouver des liens avec les catégories populaires mais cela ne fonctionne pas.  La grande faiblesse d’un mouvement comme Attac par exemple qui n’est pas un parti politique c’est d’avoir très peu d’ouvriers en son sein malgré les objectifs fixés. Cette difficulté à conserver les classes populaires est donc commune à toute la gauche radicale.

Lorsque Jean-Luc Mélenchon dit que "le problème ce n’est pas les Arabes mais les banques" ce n’est pas un discours audible par les catégories populaires qui plébiscitent quant à elles l’ordre, l’autorité et le besoin d’un chef. C’est plutôt le discours de Marine le Pen qui leur plaît et le cas d’Hénin-Beaumont une ancienne ville ouvrière est symptomatique. Il faut aussi dire qu’en 2007 Nicolas Sarkozy avait récolté un beau score auprès des ouvriers notamment dans les Ardennes avec son discours sur le travail, la sécurité et l’ordre. L’idée qu’il faut une politique plus à gauche ne fonctionne plus auprès des ouvriers.

Christophe Bourseiller : Jean-Luc Melenchon a commis une erreur stratégique en positionnant le Front de Gauche face au Front national et en adoptant une posture "populiste de gauche". Cette stratégie hautement risquée a manifestement semé la confusion. Sur le terrain de la démagogie populiste, Marine Le Pen avançait des arguments jugés plus convaincants. Le Front de gauche n’a d’autre alternative que d’abandonner ce rôle de "front-miroir", qui l’a plutôt desservi ces dernières années.

Yves-Marie Cann :Ce qui est certain, c'est que d'un point de vue du comportement électoral, la réussite du Front de gauche en 2009 qui s'est revue, à la dernière présidentielle ou aux européennes de 2014, c'est que le Front de gauche a permis de fédérer le vote à la gauche du PS, on le vérifie d'élection en élection. Mais la contre-performance du PDG et de Jean-Luc Mélenchon, c'est qu'après avoir réussi à fédérer, ils ont échoué à élargir leur assise électorale et leur audience politique auprès d'un public plus large. Cela s'explique par des raisons identifiées : le rapport entretenu par le FDG à la mondialisation et au risque que constitue selon certain l'immigration pour les travailleurs français et l'identité du pays.

Pour schématiser l'ADN du FDG réside dans son universalisme, et la valorisation faite par ses leaders des échanges culturels. Hors ces thèmes sont régulièrement rejetés par la classe moyenne qui encaisse les difficultés des aléas économiques du fait de la mondialisation économique, qui eux réclament davantage de protection et de préférence nationale. Le positionnement du FDG n'est donc sur ce point pas accordé à ces franges de la population.

Comment le Front de gauche peut-il renouer avec les classes populaires et espérer les récupérer au FN ? La "Gauche populaire" du PS n’a-t-elle pas déjà préempté la cause des classes populaires ?

Eddy Fougier :C’est toute la difficulté : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon visent le même électorat. Sur la forme il y a eu des dérapages de Jean-Luc Mélenchon avec la diabolisation des élites et des médias. Toute la difficulté c’est de plaire aux catégories populaires sans faire du FN, ce qui est quasiment impossible.

Est-ce que le Front de gauche doit suivre le modèle de la "Gauche populaire" qui met l’accent sur la fermeté en matière de sécurité ? On voit dans les sondages qu’une partie de  l’électorat de gauche n’est pas dans le discours de permissivité. Ce discours n’est toutefois pas encore audible auprès des militants notamment du Parti de gauche. C’est toute la difficulté qu’a la gauche en général : les discours de Manuel Valls sont populaires et en même temps s’il se présente auprès des militants lors d’une primaire va "vallser". Le logiciel de la gauche radicale ne correspond plus à l’état du pays, de l’opinion et de l’électorat traditionnel de la gauche. Dans une note, Terra Nova disait qu’il fallait viser les "bobos" et les minorités en oubliant les classes populaires. C’est ce que fait le Front de gauche d’une certaine façon. Il y a  une illusion historique qui consiste à croire que les ouvriers  votent systématiquement à gauche. Ce postulat ne fonctionne plus. Comme toute forme de croyance vous préférez modifier la réalité plutôt que de changer vos croyances.

Christophe Bourseiller : La gauche de la gauche se heurte aujourd’hui à un obstacle inattendu. Elle se voit généralement assimilée par les couches populaires à la gauche de gouvernement. Il lui est très difficile de faire entendre sa propre "musique". C’est d’autant plus ardu que les gauches oppositionnelles du PS campent sur les mêmes positions. Le Front de gauche a du mal à paraître distinct du gouvernement, d’autant que dans bien des villes, le PCF s’est allié au PS lors des récentes élections municipales. Il n’est plus assez audible.

Yves-Marie Cann : Sur ce sujet, il est clair qu'aujourd'hui le FDG sur ce sujet se retrouve en compétition avec la gauche du PS qui cherche à attirer dans ses filets le même public. Ceci dit, ils ont peu ou prou le même logiciel de pensée qu'ils utilisent afin d'attirer les classes populaires. Mais que ce soit pour la gauche au sein du PS et la gauche de la gauche, ce logiciel sur lequel ils s'appuient ne rencontre plus d'écho auprès des catégories populaires. Et donc je vois mal comment la gauche de l'échiquier politique sera en mesure d'élargir son audience, sauf si un revirement de tendance économique amoindrissait ces crispations, qui ne semble pas être la direction actuelle.

Le géographe Christophe Guilluy estime que si "la France périphérique représente 60 % de la population, elle est invisible aux yeux des élites". En quoi peut-on dire que le Front de gauche, qui fait ses meilleurs scores à Paris dans certaines grandes villes (Rennes, Grenoble…) a totalement oublié les habitants des territoires ruraux et les zones périurbaines ? Sous quelles conditions peut-il y remédier ?

Eddy Fougier : On est au cœur du problème : certains ouvriers ont fui les quartiers pour les zones périurbaines. Ces catégories de populations sont très sensibles au FN et le discours du Front de gauche ne passe plus. C’est comme les stations de radio qu’on arrive plus à capter et celles du Front de gauche ne passent pas dans les zones périurbaines… C’est lié à la désindustrialisation dans les années 1970 et au début des années 1980, à l’apparition du FN et à la décrépitude du PC. Les syndicats n’ont plus le prestige qu’ils avaient avant. Le PCF en particulier n’a pas su sentir et venir cette évolution. La fin de l’URSS et de toute alternative crédible au système économique n’a pas aidé non plus. Cela ne concerne pas que uniquement le Front de gauche, le NPA a aussi eu l’idée d’unir la gauche radicale mais cela a été un échec. 

Je ne suis pas certain que les militants soient capables de remédier à ça car ils ont deux idées fixes : les ouvriers votent à gauche et si on leur propose vraiment un discours de gauche ça va coller. Les ouvriers ne votent plus à gauche et cet appel à une politique progressiste n’intéresse plus grande monde. Ce n’est pas le sens de l’histoire pour reprendre l’expression des marxistes. Les revendications des invisibles sont de nature sociale et économique, il faut que la gauche radicale réponde de façon concrète à ce type de problématiques. Soit elle fait des propositions qui ne sont pas assez concrètes comme la Taxe Tobin ou le smic à 2000 euros par exemple, les gens savent que ce n’est pas envisageable. Il faudrait des propositions moins idéologiques et dans une logique un peu moins manichéenne gauche / droite mais ce n’est pas gagné.

Christophe Bourseiller : Le Front de gauche n’a pas réalisé de bons scores dans ces zones parce qu’il n’y retrouvait pas ses repères idéologiques. À ses yeux, les couches populaires se composent essentiellement de travailleurs salariés. Les paysans, indépendants, commerçants, autoentrepreneurs ou chômeurs l’intéressent moins. C’est pourquoi on l’a vu rejeter vigoureusement l’année dernière le mouvement "interclassiste" des Bonnets Rouges en Bretagne. Le Front national tire bénéfice du carcan idéologique qui bride la gauche de la gauche en s’installant dans les zones péri-urbaines.

Yves-Marie Cann :Les travaux de Christophe Guilluy montrent qu'une partie du pays semble échapper aux radars des dirigeants politiques. Il y a pourtant une nécessité, pour le FDG comme pour la plupart des formations politiques de renouer le dialogue avec cette France périphérique et qui pose en toile de fond la  question de l'égalité des territoires.

Là il est clair que le FDG en particulier se trouve face à une équation politique complexe. Quand on étudie cette France périphérique, la ligne de fracture qui se fait en fonction du rapport à la mondialisation est très nette, ce qui renvoi également au multiculturalisme et à l'immigration. 

La situation économique et sociale reste compliquée en France. Des conflits et des manifestations sociales ne pourraient-elles pas finalement remettre en scène la gauche radicale ?

Eddy Fougier : Chaque année on nous promet des manifestations et une rentrée sociale agitée. Pourtant, on voit plus de bonnets rouges que de drapeaux rouges. C’est plus la droite radicale que la gauche radicale qui occupe le terrain avec des manifestations massives contre le mariage pour tous par exemple. Je ne suis pas sûr qu’il y aura un  troisième tour social et que la rue soit bénéfique pour le Front de gauche. Ce n’est pas par la rue que la solution peut passer du moins à court terme. 

Christophe Bourseiller : La gauche de la gauche est certes faible dans les urnes. Mais elle demeure bien implantée dans le tissu social. Présente dans de nombreuses municipalités, animant de nombreux comités, elle contrôle en outre plusieurs syndicats : SUD Solidaires, Force ouvrière, ou encore la FSU. Dans la CGT, elle règne sur plusieurs secteurs clefs. En cas de crise sociale, elle serait tout à fait à même de jouer un rôle déterminant. 

Yves-Marie Cann : Oui, il y a des lignes de tension très fortes au sein de la société française. On a le sentiment qu'une étincelle pourrait remettre en selle la Gauche radicale : elles ont la culture de la mobilisation sociale, et cette expertise leur permettrait de tenir un rôle de premier plan. Mais rien ne dit que ceci pourrait se traduire en identification partisane aux partis de gauche, et encore moins une percée dans les urnes.

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