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Reconnaissance de la Chine : Edgar Faure, l'émissaire du général de Gaulle
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Bonnes feuilles

"Tu es décidément un bien curieux enfant. C'est rare, en tous cas, qu'un enfant de ton âge aime les souvenirs de guerre !" Edgar Faure, l'homme qui avait côtoyé les plus grands de ce monde, l'homme qui treize fois avait été ministre, deux fois président du conseil, député, sénateur et académicien, considérait avec affection son petit-fils. Et ce petit-fils, Rodolphe Oppenheimer, dresse dans "Edgar Faure - Secrets d'Etat, Secrets de Famille" un portrait surprenant de ce grand homme politique. (1/2)

De Gaulle m’invita pour me dire, de façon brutale, à brûle-pourpoint :

- Quand je vous ai consulté il y a quelque temps sur le problème de la reconnaissance de la Chine, vous m'aviez dit qu’il n'y avait rien à faire immédiatement !

Passablement énervé, il s’était repris.

- Etes-vous toujours de cet avis ? 

- Puisque vous m'en reparlez, c'est que vous avez vous-même étudié cette situation. Je pensais que la donne avait changé compte tenu de l’avancée du dossier algérien et qu’il n’y avait plus à redouter de déconvenue à une ouverture diplomatique avec Pékin. A présent, les Chinois sont dans une situation délicate à cause de leurs frictions avec les Soviétiques. Général, vous avez donné tellement de signes d'indépendance vis-à-vis des Américains que vous n’êtes plus à un près. On ne peut pas scotomiser un peuple de six cents millions d'habitants. 

- Tiens, quel est ce mot, « scotomiser », que je ne connais pas ? 

- Eh bien, général, « scotomiser » vient de « scotome », altération de la vision.

Il me dévisage curieusement ; amusé, il détaille mes grosses lunettes à monture de bois et sait pertinemment que je fume souvent ces pipes en bois de Saint Claude. Il savait très bien que l’on disait de moi dans les hémicycles : « Faure est bien une tête de bois nom d’une pipe ! » 

Il me parut naturel d’expliquer au Général que, fortuitement, j’avais fait dire aux Chinois qu’il réfléchissait à beaucoup d’hypothèses et à l’idée même que je puisse revenir sur place comme son porte-parole ; conjointement les Chinois venaient de me convier à ce déplacement. Je pensais en effet qu'il serait intéressant que je retourne sur place mais également en Union Soviétique, pour étudier de façon encore plus générale le fond du conflit sino-soviétique. 

Le général de Gaulle me dit alors : 

- Oui, vous irez en Chine, mais vous irez comme mon représentant et je ne vous conseille pas de faire les deux voyages Chine et Russie, conjointement, dans le même temps, dans le même esprit !

Nous avons donc imaginé ensemble un projet extrêmement précis, prévoyant que je me rende d'abord au Cambodge pour rencontrer au nom du général de Gaulle le Prince Sihanouk, mais également pour tisser un rideau de fumée, pour créer un leurre politique, au sujet des vraies raisons de mon voyage. Notre plan prévoit que, sur la route du retour, je m’arrête en Inde pour y rencontrer le président Nehru, qui m’avait lui aussi invité ; que de sollicitations !  

Le Général rédigea alors une lettre m’accréditant auprès du président chinois. Cela me permettait en toute transparence d'écrire au gouvernement chinois que le général ne connaissait ni ne reconnaissait, il me faisait cet ordre de mission également pour me donner un mandat officiel, un blanc-seing, afin que je pusse me charger d’autres problèmes annexes et connexes. Je comprenais au son de cet échange de visions politiques que le Général était soucieux et envieux au plus haut point de parvenir à une résolution complète du problème qui aboutirait à la reprise des relations internationales. De Gaulle m’en avait déjà parlé mais chaque fois en catimini, entre deux portes, se rétractant, puis avançant à tâtons, et reculant également.

Cette fois devait être la bonne car il évoqua ce sujet épineux en présence d'autres ministres et de certains de ses collaborateurs de renom ; il y mit moins de forme mais plus de pugnacité.

Je compris qu'il y avait dans toute cette perspective le côté confidentiel qu'il fallait au nom de la raison d’Etat, du secret défense, de l’honneur de notre patrie.  Les services français des Affaires étrangères pensaient que cette situation à l’autre bout du monde relevait de difficultés insurmontables, et ce, surtout à cause de Formose.

En bon gestionnaire de famille, en médiateur de la France, en fin négociateur que je devais être, je n’ignorais pas qu’en prenant personnellement les choses en mains, la France deviendrait bien plus sérieuse en Asie ; excès de zèle ou réalité, seul l’avenir pourrait trancher. Il faut une grande dose de mégalomanie pour avoir envie d’occuper de si hautes fonctions, et avoir une telle disposition pour les réussir. Si je les réussissais, le cocktail ne pourrait plus que s’appeler « le talent » ! Je ne ressentais aucune anxiété, aucun doute à régler ces situations aussi périlleuses et sensibles fussent-elles. J’avais fait en sorte de ne laisser aucun détail au hasard ! J’avais du mal à imaginer que l’on pouvait tout maîtriser, tout le temps, mais ce fut le cas. Les champions aux échecs peuvent préparer trente coups à l’avance ; cela me paraît donc à présent possible, mais là l’échiquier pouvait être l’avenir du monde ; j’assumais la tâche.

Extraits du livre "Edgar Faure, secrets d'Etat, secrets de famille" de Rodolphe Oppenheimer-Faure et Luc Corlouër publié aux Editions Ramsay. 

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