Ce que le mystère du passage de James Foley des mains des pro-Assad à celles des califoutraques islamiques pourrait nous révéler d’intéressant<!-- --> | Atlantico.fr
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James Foley a été tué ce mardi 19 août par les islamistes
James Foley a été tué ce mardi 19 août par les islamistes
©REUTERS/Louafi Larbi

A qui profite le crime ?

Alors que le journaliste américain James Foley avait été capturé en 2012 par des combattants pro-Assad, celui-ci est mort mardi 19 août des mains d'un bourreau appartenant à l'Etat islamique. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce transfert pourrait être le fruit d'un calcul machiavélique de la part de Bachar el-Assad.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : James Foley, journaliste américain kidnappé en 2012 dans le Nord Est de la Syrie par des militaires pro-Assad, a été décapité par des membres de l'Etat islamique, comme une vidéo diffusée mardi 19 août le montre. D’aucuns estiment probable qu’il ait été livré aux islamistes. Une hypothèse qui, selon la journaliste et éditorialiste de la BBC Kim Ghattas (voir ici), suggérerait que  Bachar el-Assad aurait l'intention de fournir aux islamistes des opportunités de se montrer, afin de s'imposer aux yeux de la communauté internationale comme le seul rempart du Moyen-Orient contre les islamistes. En quoi cette vision est-elle crédible ?

Alain Rodier : La stratégie de Bachar el Assad est assez claire. Il a "favorisé" l'émergence de l'EIIL afin de diviser l'opposition armée. Cela dit, il n'a pas "créé" ce mouvement comme l'ont suggéré de nombreux observateurs. Il existait en Irak depuis l'invasion américaine de 2003 et a été officialisé après la mort de son créateur, Abou Moussab al Zarqaoui en 2006. Il est vrai que la guerre de l'information (désinformation) bat son plein à l'heure actuelle. Elle fait partie intégrante de la vie internationale. Tout le monde ment éhontément, et pas uniquement sur la Syrie. Le but est de gagner les opinions publiques pour qu'elles influencent leurs dirigeants.

Au départ, l'EIIL n'occupait pas des zones jugées comme stratégiques par Damas (essentiellement l'est du pays). Le dommage était donc considéré, à l'époque, comme moindre par rapport à l'avantage de provoquer  des dissensions au sein de l'opposition armée. Par contre Damas s'est assez rapidement rendu compte du danger représenté par ce mouvement qui rencontrait des succès ininterrompus. Dès le début de l'offensive de l'EIIL en Irak à l'été 2014, les forces aériennes syriennes sont intervenues dans ce pays pour tenter de détruire des éléments de cette organisation. Certainement en riposte, les forces de l'EIIL se sont attaquées avec succès à des garnisons de l'armées syrienne dans la région de Raqqa (qui est son fief). Depuis, une vaste offensive a été lancée par l'Etat Islamique au nord d'Alep contre les autres groupes insurgés. Là encore, l'armée de l'air syrienne a procédé à des bombardements de ces forces. Toutefois, il faut considérablement relativiser l'efficacité des ces frappes qui ne bénéficient pas d'une technologie "à l'occidentale". Elles se font un peu à l'aveugle, ce qui est abominable sur le plan des pertes collatérales, et d'une efficacité toute relative en ce qui concerne les objectifs visés.   

De même, Bachar el-Assad serait suspecté d'avoir relâché plusieurs islamistes. Bassam Barabandi, un ancien diplomate syrien a d'ailleurs déclaré que la stratégie d'Assad était de déstabiliser la région pour conserver son pouvoir. Le contexte actuel ne serait-il pas en train de se retourner contre ce dernier ?

Comme je le disais plus avant, la désinformation est de règle. Bachar el Assad tente surtout de faire survivre son régime et tous les moyens sont bons pour cela. Il a effectivement relâché de nombreux prisonniers dans un but "d'apaisement". Beaucoup ont rejoint l'opposition armée mais l'EIIL n'était pas alors plus attractif que les autres formations rebelles.

Comme d'autres, il voit parfois ses initiatives initiales se retourner contre lui. Il faut tout de même se rappeler que la Syrie a été le point de passage principal de djihadistes internationalistes qui sont allés combattre les Américains et ses alliés en Irak à partir de 2003. Ce sont une partie de ces forces qui se sont retournées contre lui depuis 2011. Il ne s'attendait vraisemblablement pas à cela.

Par contre, il ne souhaite pas déstabiliser ses voisins, en particulier le Liban qui est un poumon économique pour son régime (il en veut certainement au régime turc en place à Ankara mais n'a pas les moyens d'agir sur ce pays). En ce qui concerne le Liban, il bénéficie toujours de l'appui massif du Hezbollah qui tente de sécuriser une grande partie de la frontière entre les deux Etats. L'Iran continue également à le soutenir et voit dans l'Etat Islamique un ennemi commun prioritaire car, il convient de ne pas l'oublier, les chiites sont les premiers visés par ce groupe sectaire.

A quel point les Américains, et plus généralement la communauté internationale sont-ils bloqués dans cette situation ?

Washington ne veut pas revenir durablement en Irak, et surtout pas au sol, ce qui n'exclut pas la présence d'instructeurs répartis entre le pouvoir central de Bagdad et les Kurdes. Quand on livre des armements, il convient d'assurer le service "après-vente" pour expliquer les modes d'emploi. Ce n'est certainement pas vrai que pour les Américains. Le problème réside dans le fait que ces instructeurs ne doivent en aucun cas apparaître au grand jour (et surtout ne pas être capturés par l'adversaire).

Les Occidentaux sont bloqués car ils n'ont pas de politique claire au Proche-Orient. La situation locale dépend également de la Russie et de l'Iran qui sont directement impliqués. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que les relations avec ces deux pays sont pour le moins "tendues". Cela n'aide pas à l'établissement d'une franche coopération qui serait de mise en raison du danger que l'Etat Islamique représente.

On ne mène pas une politique étrangère en réagissant à l'émotionnel. Il convient d'avoir des visées à moyenne et, si possible, à longue échéance. C'est ce qui manque le plus à nos dirigeants qui ne voient comme perspective que les prochaines élections nationales. 

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