Comment la psychose sur les (rares) effets secondaires des médicaments et vaccins génère des conséquences toxiques bien tangibles, elles<!-- --> | Atlantico.fr
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La peur des médicaments
La peur des médicaments
©Reuters

On va tous mourir !

La clarithromycine, un antibiotique souvent prescrit pour traiter les angines ou les bronchites, serait susceptible d’augmenter le risque de décès par arrêt cardiaque, d’après une équipe de chercheur danois. Ces derniers ont eux-mêmes précisé que ce risque était extrêmement faible, mais trop tard, le mal est fait : la peur panique peut commencer.

Philippe Bataille

Philippe Bataille

Philippe Bataille est directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et directeur du Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHESS-CNRS). Il est également membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Ses recherches ont entre autres porté sur le racisme et la discrimination, le sexisme et le féminisme, et plus récemment sur l’expérience médicale et sociale de la maladie grave. Ses travaux actuels suivent ce qu’il advient de la catégorie de sujet dans la relation médicale et de soin. Les recherches en cours suivent des situations cliniques empiriques qui suscitent de si fortes tensions éthiques qu’elles bloquent le système de la décision médicale (éthique clinique), et parfois la conduite de soin (médecine de la reproduction et en soins palliatifs). Son dernier ouvrage est "Vivre et vaincre le cancer" (2016, Editions Autrement).

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Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Après les scandales Médiator et la pilule Diane 35, constate-t-on en France une réticence grandissante des patients à prendre des médicaments et/ou à se faire vacciner ?

Guy-André Pelouze : Il y a un fossé entre ce qu'on pourrait appeler une réticence et les chiffres de consommation des médicaments en France. La consommation de médicaments en France reste extraordinairement élevée relativement à nos voisins européens par exemple. S'il y a réticence, je pense qu'il s'agit d'un épiphénomène. Par exemple, sur plus d'une centaine de mes patients qui prennent une statine seuls deux ont décidé d'arrêter de leur propre initiative. Généralement, ce genre de réticence touche des personnes sensibles aux rumeurs mais qui ne peuvent pas juger du bénéfice du traitement. Car la prise de médicament peut se résumer à une équation bénéfice/risque. Prendre un médicament revient donc à prendre un risque calculé : j'en attends un bénéfice supérieur au risque. Si le bénéfice est supérieur au risque et que le diagnostic est le bon, il vaut mieux prendre le médicament, à condition de suivre scrupuleusement les doses, la durée du traitement et les autres recommandations . Si le bénéfice est égal au risque, mieux vaut dans ce cas, ne pas prendre le médicament. Et si le bénéfice est inférieur au risque, il ne faut surtout pas prendre le médicament en question. 

Les patients ne peuvent évidemment pas faire cette équation bénéfices/risques tout seuls. Il faut pour cela discuter avec son médecin, c'est pourquoi on ne doit pas prendre un médicament sans avoir eu une explication de la part de son soignant. Je ne comprends pas pourquoi il est demandé à un chirurgien d'expliquer les risques et bénéfices aux patients alors que pour une prescription de médicaments, on ne demande jamais aux patients s'il a été informé des bénéfices et des risques. Un médicament peut être aussi dangereux qu'un bistouri !

Le contexte actuel est assez favorable à la diffusion de la suspicion généralisée. Et nombreuses sont les personnes qui décèdent des suites d'un usage non contrôlé des médicaments mais nous ne savons pas exactement combien. L'accès libre à ces informations est un des piliers d'une société de confiance et contribue à dégonfler les rumeurs. Il se joue par exemple en ce moment une grande confrontation en Europe à propos de l'accès libre (open data) des essais cliniques des médicaments.

Philippe Bataille : Même si les volumes restent colossaux, on constate effectivement un ralentissement de la consommation de médicaments en France. Cette tendance se retrouve également en ce qui concerne les hospitalisations. Cette transformation est globale et ne touche pas que la France. Elle est le signe d'une évolution du rapport au corps mais pas tant d'un engouement pour les médecines et les méthodes alternatives en vogue dans les années 1960, il n'y a pas de rupture. La tendance est plutôt à la prise de conscience qu'il faut prendre soin de son corps et que l'on peut dans une certaine mesure la maitriser. Les patients ont désormais une vraie lecture de sa consommation médicamenteuse. Par ailleurs, l'argument économique a fait son chemin. On a de moins en moins d'argent

La façon de se soigner ou plutôt la réticence à prendre certains médicaments n'est pas irrationnelle.

Et les différents scandales qui ont marqué le monde médical ont fait prendre conscience aux citoyens qu'on ne peut pas aller les yeux fermés dans les bras de la médecine

Cette suspicion est-elle justifiée au regard de la sûreté des médicaments ?

Guy-André Pelouze : L'affaire du Médiator est plutôt une affaire qui concerne le régulateur. C'est la faillite du régulateur qui avait tous les éléments pour prendre une décision fondée et qui ne l'a pas fait à cause de la connivence et des conflits d'intérêts.

Le médicament est-il toxique ? Tout médicament à forte dose est toxique mais le médicament lorsque l'on respecte la posologie et que le traitement est adapté n'est pas toxique. L'autorisation de mise sur le marché n'est donnée que si le médicament est sûr. On retrouve cette problématique pour l'alimentation.  Le problème réside dans la façon dont on utilise les médicaments. Deux exemples de ce type de phénomène sont significatifs. Premièrement les psychotropes : il n'est pas nécessaire de prendre des médicaments pour dormir ni parce qu'on se sent abattu, fatigué ou déprimé. Seules des occasions extraordinaires comme un deuil, la certitude d'une grave dépression, justifient l'usage de psychotropes.  Et ce type de diagnostics ne peut être fait en trois minutes. Si je peux donner un conseil aux usagers de ces médicaments, c'est de ne jamais dépasser la durée préconisée dans le prospectus et de les éviter à tout prix après 75 ans. Deuxièmement, nous sommes de gros consommateurs d'antibiotiques, dans la majorité des cas pour des maladies qui n'en nécessitent pas. Prendre un médicament qui n'aura pas de bénéfices, n'aura pas d'effets neutres. Car les effets non désirés seront malgré tout subis. Les antibiotiques ne peuvent être utiles que dans les infections graves causées par des bactéries. Contrairement à une croyance répandue prendre des antibiotiques ne diminue pas la durée d'un coup de froid ou d'une grippe...

Au moment où l'agence nationale de sécurité routière révèle les chiffres de tués sur la route au mort près, nous ne sommes toujours pas capables de savoir combien de personnes meurent en raison d'un mauvais usage du médicament. On estime entre 8 000 et 12 000 le nombre de personnes qui meurent de médicaments en France. C'est considérable. Et ce, alors même que le médicament n'a jamais été aussi sûr. Pourquoi ? Nous avons mis en place des systèmes sophistiqués avant et après la mise sur le marché. Ces systèmes de surveillance sont mondialisés et si un problème est signalé en Inde, nous le serons quasiment instantanément. Nous n'avons jamais eu autant de méthodes à notre disposition pour apprécier les bénéfices et les risques d'un médicament. Ces morts dus au médicament sont des morts pour une large part évitables par une meilleure prescription (impliquant médecins, pharmaciens et infirmiers), une meilleure surveillance et aussi par la volonté bien comprise entre patient et soignant que le traitement d'un symptome ou d'une maladie n'est pas automatiquement un médicament.

De plus en plus de femmes optent pour une contraception dite naturelle. Quel rôle le scandale des pilules de troisième et de quatrième générations a-t-il pu jouer dans cette méfiance ?

Guy-André Pelouze : La pilule n'est pas un médicament, c'est une hormone qui vise à interrompre le processus d'ovulation. Nous ne sommes pas face à une maladie mais comme pour les médicaments, nous sommes dans une équation bénéfices/risques. Avec dans ce cas précis, des risques cancérigènes, des problèmes cardiovasculaires. Chaque femme doit faire très précisément cette équation. Dans mon expérience clinique, j'ai pu constater de graves complications de l'association tabac/pilule et personnellement je trouve très grave que ce genre de prescriptions ne soient pas évitées. Et comme toujours en France, il a fallu attendre une crise pour que l'on puisse parler du problème. 

Néanmoins, la réticence aux médicaments est une mauvaise réponse, c'est une réponse émotionnelle. Il faut pouvoir discuter des prescriptions de manière rationnelle. Car le médicament n'est pas un bonbon, c'est une molécule qui produit des effets sur le corps. La prise de médicament engage la responsabilité du prescripteur mais également celle du patient. Particulièrement dans le cas de l'automédication. Cette pratique n'est pas intrinsèquement mauvaise mais il faut simplement élever le niveau d'éducation des gens afin qu'ils puissent mesurer si le risque qu'il prennent en vaut la peine.

La réticence à se faire vacciner ou à faire vacciner ses enfants est-elle davantage justifiée ?

Guy-André Pelouze : Le vaccin présente une autre problématique. Le vaccin est une prévention. On ne traite pas, on prévient. On va donner des informations au système immunitaire pour qu'en cas d'agression, il puisse répondre de manière forte et définitive. Le système immunitaire peut cependant réagir de manière inappropriée pour des raisons liées à la façon dont cette information est transmise ou pour des raisons de terrain. Quand un médicament guérit un patient d'une infection, il s'en souvient. En revanche, si un vaccin a permis d'empêcher une maladie on ne le sait pas. Simplement, on s'en rend compte en faisant des statistiques que l'incidence de la maladie diminue. Les vaccins sont attaqués de toutes parts et il est évident que vacciner tout le monde contre tout est la mauvaise solution. Mais savoir qui bénéficie vraiment du vaccin, c'est beaucoup plus compliqué. Là aussi, en dehors des vaccinations obligatoires, il faut personnaliser les conseils car les individus ont des profils de risque différents.

Philippe Bataille : Les épidémies aujourd'hui et les menaces sont globales et non plus uniquement hexagonales. On le voit bien avec Ebola. La réponse pour les Français semble donc être davantage dans une approche critique et individuelle de la santé plutôt que dans une approche collective. Le vaccin répond davantage à l'imaginaire national et cette dimension est dépassée au regard de la menace qui plane.

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