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Eleanor Roosevelt : une femme soumise et trompée
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Bonnes feuilles

Jamais une First Lady n’a été aussi populaire qu’Eleanor Roosevelt (1884-1962). Connue pour son humanisme, ses fortes convictions et sa générosité, l’épouse de Franklin Delano Roosevelt donne une dimension politique au rôle d’hôtesse de la Maison Blanche en défendant les plus démunis, les femmes, les pauvres et les Noirs. Grâce à des témoignages inédits, Claude-Catherine Kiejman raconte le destin singulier d’une femme de tête dont la vie se confond avec l’histoire des États-Unis. Extraits de "Eleanor Roosevelt First Lady et rebelle" publié chez Tallandier (1/2)

Claude-Catherine  Kiejman

Claude-Catherine Kiejman

Longtemps journaliste à France Culture, Claude-Catherine Kiejman a collaboré à de nombreux journaux, dont Le Monde et L’Express. Elle est déjà l’auteur de plusieurs biographies, dont Clara Malraux l’aventureuse (2008).

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Franklin demande depuis longtemps à s’engager pour l’Europe, mais l’administration le juge plus utile à Washington. Enfin, la permission de partir pour le front lui est accordée. Il embarque le 9 juillet 1918 sur le destroyer Dyer. À Londres, il rencontre Winston Churchill, ministre de l’Armement, à Paris il est reçu par Georges Clemenceau, président du Conseil. Il inspecte les secteurs réservés aux troupes américaines, rend visite aux armées belges et termine par une tournée d’inspection des forces navales américaines en Europe. Au début de septembre, un jour avant son retour, Eleanor et Sara apprennent qu’il est atteint comme des milliers d’autres civils et militaires de la grippe espagnole compliquée d’une pneumonie. Toutes deux l’accueillent sur le quai de New York avec un médecin et une ambulance.

Franklin est soigné chez sa mère à New York. Eleanor veille sur lui. En rangeant ses affaires, elle tombe sur un paquet de lettres adressées à son mari par Lucy Mercer. Des lettres d’amour, et sans nul doute, ainsi qu’elle le comprend en les lisant, d’un amour partagé. Fini le temps de l’innocence. Eleanor est bouleversée, ses vieilles blessures se rouvrent. Il ne s’agit pas, en effet, d’une romance passagère, mais d’une liaison sérieuse qui remonte à plusieurs années. Franklin aime une autre femme.

Sans doute, Eleanor a-t-elle quelques soupçons depuis l’été 1916 où Franklin a tardé à venir la rejoindre pendant les vacances à Campobello. Quand, prétextant un travail acharné, il insistait pour qu’elle retarde son retour à Washington. Du reste, allusions et rumeurs n’ont pas manqué : Franklin a été vu plusieurs fois en compagnie de Lucy, notamment lors de dîners chez cette « chère » cousine Alice qui estime qu’avec une épouse si rabat-joie, Franklin a bien le droit de prendre du bon temps.

Mais Eleanor, même si peu sûre d’elle-même encore et quel que soit le goût de Franklin pour la séduction, a refusé longtemps l’idée de son infidélité. Cette fois, les preuves sont là : sa confiance en l’homme qu’elle aime a été trahie. Elle montre les lettres à Franklin, il ne peut nier. Son mariage, tel qu’elle l’a vécu jusqu’ici entre les naissances successives et les obligations officielles, perd tout sens. Le serment de fidélité a été trahi. Elle lui propose de divorcer. S’ils continuent à vivre ensemble, elle lui demande de rompre avec Lucy et de ne plus jamais la voir.

Franklin réfléchit et, s’il est vrai qu’il aime Lucy Mercer, il aime aussi ses enfants, et éprouve pour Eleanor beaucoup d’affection et d’estime. De surcroît Lucy, catholique fervente, accepterait-elle d’épouser un homme divorcé ? Enfin, sa mère – et ce n’est pas la moindre entrave – se fâche et le menace de supprimer toute aide financière en cas de rupture avec Eleanor. Sans doute est-il aussi assez lucide et peut-être assez cynique pour imaginer les conséquences désastreuses que pourrait avoir un divorce sur son avenir politique. Ce serait à coup sûr la fin des grandes espérances. Il devrait commencer par démissionner de son poste à la Marine car le secrétaire d’État Joseph Daniels est très à cheval sur les valeurs morales. Un politicien digne de ce nom se doit d’être un bon père, un bon mari, et de respecter une éthique. Le choix de Franklin est fait, il ne divorcera pas et, comme Eleanor l’exige, il s’engage à ne plus jamais revoir Lucy Mercer. Les apparences sont sauves, mais, blessée, humiliée, jamais Eleanor n’oubliera. Leur mariage aura désormais un tout autre sens, celui de deux compagnons, solidaires et complices.

Ils feront définitivement chambre à part, ainsi en a-t-elle décidé. S’ils restent unis aux yeux du monde, ils mènent une vie privée de plus en plus indépendamment l’un de l’autre. De ce drame, de cette souffrance, Eleanor ne dit mot dans les diverses versions de ses mémoires. Rien de sa vie intime n’y apparaît d’ailleurs jamais. Si elle parle des gens qu’elle aime, c’est toujours avec retenue et pudeur. Très tard à la fin de sa vie, lors des entretiens qu’elle eut avec Joseph Lash1 qui fut un de ses amis les plus proches et les plus aimés, elle reconnut : « Le monde dans lequel je vivais s’écroula. Je fus pour la première fois, en toute honnêteté, face à moi-même, avec mon entourage et mon monde. Cette année-là, je suis vraiment devenue adulte. »

Extraits de "Eleanor Roosevelt - First Lady et rebelle", de Claude-Catherine Kiejman, publié chez Tallandier, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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