Tueur en série : le mystère de l'effrayant docteur Petiot <!-- --> | Atlantico.fr
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En 1944, le docteur Marcel Petiot est arrêté et accusé d'avoir assassiné puis incinéré vingt-sept personnes
En 1944, le docteur Marcel Petiot est arrêté et accusé d'avoir assassiné puis incinéré vingt-sept personnes
©Wikipédia commons

Bonnes feuilles

Le 11 mars 1944, en pleine Occupation, un charnier est découvert dans un hôtel particulier de la rue Lesueur, à Paris. Le docteur Marcel Petiot, propriétaire de l'immeuble, est bientôt arrêté et accusé d'avoir assassiné puis incinéré vingt-sept personnes, notamment des juifs cherchant à fuir la Gestapo. Son procès, qui débute le 18 mars 1946, sera aussi médiatisé que celui de Landru au lendemain de la Grande Guerre. Extrait de l'effrayant docteur Pétiot, de Claude Quetel, publié chez Perrin (1/2).

Claude  Quétel

Claude Quétel

Claude Quétel est historien, spécialiste entre autres de l'étude des structures et des processus mentaux conduisant à la décision ou à l’événement.

Il a notamment écrit "
Histoire de la folie - de l'Antiquité à nos jours", publié chez Tallandier.

Voir la bio »

Que de questions sans réponses ! Que de mystères dans l’affaire Petiot ! Même la suite de l’histoire, après la chute du couperet, est bizarre. L’hôtel de la rue Lesueur, pour commencer... Chacun se pose alors la question de savoir ce qu’est devenu le magot de Petiot que les esti- mations les plus prudentes évaluent à une centaine de millions de francs. On a évidemment aussitôt pensé à l’hôtel de la rue Lesueur, mais dans une cachette digne de Petiot. Les acquéreurs du 21 se précipitent. Le premier se ruine en entreprenant de démonter l’hôtel pierre par pierre. Pas question en effet de bulldozers et la démolition s’effectue précautionneusement, à la pioche. Le second acquéreur, un architecte de province, n’obtient pas de meilleur résultat. Curieusement, on n’a pas encore touché aux communs, le lieu des crimes. La raison est que ceux- ci sont squattés par une famille de cinq personnes, dont trois enfants en bas âge. Peu importe à cette famille laecherche du trésor. En ces temps d’après guerre où sévit la crise du logement, la famille Ferenzi refuse de quitter les lieux tant qu’elle ne sera pas relogée. Le cabinet de consultation est devenu une chambre à coucher et la pièce triangulaire un débarras. Dans le quartier, on a surnommé les Ferenzi, « les Petiot ».


Bref, pas de trésor rue Lesueur même après que les squatters eurrent fini par déguerpir, en 1952. Un nou- vel immeuble va être construit. Tout a été méticuleuse- ment démoli, mais, décidément, rien. Des fragments de la « chaudière tragique », et notamment le manomètre, ont été vendus à des collectionneurs. Quant au magot, il a été caché ailleurs, mais où ? Dans quelque endroit diaboliquement secret assurément. À moins qu’il n’y ait eu des complices qui en eussent fait leur profit. La question d’éventuels compères qui, pour le moins qu’on puisse dire, n’a pas obsédé la justice pendant l’instruction, resurgit avec force à propos du magot. Maurice Petiot, principal suspect, est décédé et rien dans sa famille ne semble trahir une soudaine richesse. La police surveille de près Georgette Petiot et son fils Gérard. Que sont-ils devenus ? Gérard est parti en Amérique du Sud, mais avec quels moyens ? On ne sait. Quant à sa mère, le France-Dimanche du 30 mars 1947 titre : madame Petiot est boulangère. À vrai dire, « jolie, discrète, mais très élégante », elle n’œuvre que dans l’arrière-boutique d’un commerce de la rue de Nazareth. Elle s’est réfugiée là, chez des amis sûrs. Avec des accents de regret, le journa- liste la dépeint « peut-être un peu trop fine, un peu trop jolie, mais ses cheveux sont strictement coiffés et tout son maintien est effacé ».

Des sources incertaines font partir Georgette Petiot à destination de l’Amérique du Sud (l’Argentine ? le Brésil ?) pour y rejoindre son fils à la fin des années 1940. Pourquoi pas ? De toute façon, on ne saurait continuer à vivre en France avec le nom de Petiot. Quant aux moyens de subsistance, qui restent mystérieux, ils n’impliquent pas pour autant la possession du magot. La police, en tout cas, n’oublie pas. Au début de 1955, elle prend très au sérieux une lettre anonyme qui affirme que le fils Petiot est à Paris en train de vendre des bijoux des victimes à des bijoutiers de la rue de Provence, les frères Schpiglouz. L’enquête qui s’ensuit est négative, mais il apparaît que l’un des frères habite la rue Caumartin et a bien connu les Petiot. Il a même acheté à la veuve un microscope ayant appartenu à son mari. Il a été aussi en contact avec le fils Petiot, mais en 1948, lorsque celui-ci lui a commandé une chevalière en apportant en contrepartie quelques broutilles en or. Tout cela est bien éloigné du mirifique magot du docteur Petiot. La police découvre au passage que le fils n’a jamais fait de demande de passeport pour quitter la France. Encore un mystère.

Il n’est pas jusqu’aux ossements du supplicié qui ne soient eux-mêmes devenus une énigme. Il s’agit en fait de tous les corps du carré des suppliciés, au cimetière d’Ivry. À la fin des années 1990, ceux-ci ont été relevés sur « ordre de l’administration ». Pourquoi ? Et pour aller où ? C’est tout à fait curieux car le carré des suppli- ciés n’avait jamais fait l’objet de dévotions ou de mani- festations particulières, à la différence, par exemple, de tombes comme celle de Rudolf Hess qui dut être détruite en 2011 pour mettre fin aux « pèlerinages » deéo-nazis. Ses restes furent exhumés et incinérés. Au carré des suppliciés du cimetière d’Ivry, on ne voyait pas un chat. Étrange décision pour une extraordinaire bro- chette de criminels guillotinés depuis 1885. Petiot y était en bonne compagnie, aux côtés de Vaillant, Liabeuf, Landru, Gorguloff, Weidmann, Buffet et Bontemps, et tant d’autres. Un lieu de mémoire, assurément, même après la disparition de la peine de mort, surtout après...

Et la mémoire de Petiot, justement ? Outre les ouvrages publiés sur son histoire et plus particulièrement sur son procès, l’intérêt du grand public est réveillé par une BD en feuilleton que fait paraître France-Soir (un million d’exemplaires quotidiens) au cours des mois de novembre et décembre 1952. Cette formule fait alors fureur et il faut de la notoriété, y compris dans le fait-divers, pour y accé- der. Restait la consécration du cinéma. C’est chose faite, beaucoup plus tard, en 1990, avec le film de Christian de Chalonge. Outre la thèse d’un Petiot à la folie hys- térique et hallucinée, le réalisateur entend donner une vision surréaliste et expressionniste de l’Occupation où Petiot devient la métaphore de la Shoah : ses victimes sont exclusivement juives, les valises, la pièce triangulaire où l’on voit agoniser les victimes à travers l’œilleton de sur- veillance ou encore la chaudière qui ronfle sinistrement renvoient explicitement aux camps de concentration.

Interviewé par Libération lors de la sortie du film, Frédéric Pottecher répond à la question de savoir si l’Oc- cupation a permis les crimes d’un Petiot : « Ah oui ! Je le crois vraiment. On était contaminé par cette atmosphère trouble. La guerre provoque des exceptions de ce genre. Le côté combines, cachotteries, dénonciations. Pour tenir le coup, tout le monde mentait et faisait du marché noir. On avait des fausses cartes, des faux tickets. Tout était truqué. On était saturé d’horreurs, il y avait des exécu- tions dans tous les coins. »

Le constat d’une époque ayant non seulement favorisé, mais porté les crimes de Petiot a souvent été mis en avant. Jacques Laurent (plus connu sous son pseudonyme de Cecil Saint-Laurent) y consacrait l’un de ses premiers articles dans la toute jeune revue La Table ronde en mai 1948, sous le titre provocant « Pour une stèle au doc- teur Petiot ». Au lendemain de la Seconde Guerre mon- diale, de nombreux intellectuels puisent dans l’absurdité du monde qui se découvre le refus de leur engagement. Un Petiot l’illustre bien : « Ce praticien avait admirable- ment compris son époque. La sûreté de son coup d’œil éblouit. Avant la guerre, sous la Troisième, Stavisky régnant, Petiot escroquait. Après 40, il se mit à tuer. Mais s’il était un miroir fidèle de son époque en mouvement, il n’était qu’un miroir fidèle. Génie de l’imitation ? Oui, mais de l’imitation grossière : génie simiesque. L’État ne considère pas comme mauvais de fabriquer et de vendre des allumettes, puisqu’il en vend et qu’il en fabrique, mais il n’aime pas qu’un particulier en fasse autant. Ce temps-ci préconise que le sang soit versé, mais exige tout de même qu’il le soit à des fins collectives, distinction à laquelle ne prit pas garde le Docteur. » Si vous trouvez au fond d’une cave, poursuit le futur académicien, quelqu’un en train de « couper son prochain en tranches », gardez-vous d’intervenir mal à propos. « Sachez que le point du litige n’est pas de savoir si vous avez affaire à un tortionnaire,mais strictement si la cause de ce tortionnaire est bonne ou mauvaise. »

Laissons le déterminisme de l’époque pour revenir à la culpabilité de Petiot. Celle-ci ne paraît faire aucun doute, ni lors du procès ni aux yeux de l’Histoire. Il n’y a guère qu’à Villeneuve-sur-yonne qu’encore, dans les années 1980, petiotistes et antipetiotistes continuent à s’affronter. Pour les premiers, Petiot reste le médecin des pauvres, le maire du progrès victime des réactionnaires qui se sont acharnés contre lui. Quant à la rue Lesueur, ce serait tout bonnement un complot. Certains demandent même une rue Petiot. On en est encore là en 1986 lorsque Jean-Luc Dauphin, adjoint au maire, lance pour le 1er avril un canu- lar dans le quotidien régional : un « CRDP » (Comité de réhabilitation du docteur Petiot), nouvellement créé, va aller déposer une gerbe devant son ancien cabinet médi- cal. Une conférence de Pierre Bellemare est annoncée pour le soir même sur le thème : « Le bon docteur était-il innocent ? » Plus d’un s’est déplacé et le doyen du conseil municipal s’est exclamé : « Un comité de réhabilitation ? J’en serai ! »
Hors de Villeneuve, l’opinion publique ne se divise pas sur cette question comme le montre un sondage publié dans le France-Soir du 16 novembre 1957 qui le déclare coupable. De même le France-Dimanche Hebdo du 14 au 20 novembre 1957 fait dire au président Leser : « Petiot a été bien jugé. » Le magistrat, quelque peu pris au dépourvu, réagit. Certes, il refait le procès à l’iden- tique, confirmant au passage qu’il n’y a pas eu de sténo- graphie des débats, mais il marque la brièveté du procès au regard de la longueur de l’instruction. La remarqueest curieuse car c’est pourtant bien lui qui n’a pas voulu que le procès s’éternise. Certes, les débats s’enlisaient, mais l’imprévisible Petiot n’aurait-il pas fini par lâcher un bout de la vérité ?


Petiot et Landru ont ceci de commun qu’ils ont été condamnés à mort et guillotinés, l’un et l’autre dans un « procès du siècle », l’un et l’autre comme de monstrueux tueurs en série, mais sans aveux et sans preuves. C’est toute la différence entre évidemment et très probable- ment. Leur silence obstiné lors de leur procès – sauf pour Petiot à insulter le tribunal et pour Landru à le faire rire – les accuse, mais l’Histoire reste toutefois sur sa faim. Or l’Histoire n’aime pas cela. Voyons cet autre cri- minel célèbre que fut Lacenaire. Non seulement il avoua mais il écrivit Mémoires et révélations en attendant son exécution, expliquant notamment que, méprisant la vie, il avait décidé de « se suicider par la guillotine ». Après tout, peut-être Petiot aussi ?

On ne saurait refaire le procès, sauf tout de même à remarquer qu’il est jugé avant d’avoir commencé. C’est ce que souligne maître Floriot au début de sa très, trop longue et chicaneuse plaidoirie. L’énorme campagne de presse qui a précédé conditionne les jurés. Et que dire de la falaise de valises qui se dresse derrière l’accusé ! Elles désignent déjà le coupable. Il en fut de même pour le fameux fourneau de Landru qui trôna sous le nez des jurés pendant tout le procès, suggérant sans cesse les scènes les plus abominables. Fourneau et valises étaient là comme « pièces à conviction » (tout comme dans une vitrine, pour le procès Petiot, la poulie et la corde de la fosse macabre ainsi que l’œilleton de lapièce triangulaire). Mais n’est-ce pas confondre pièce à conviction et, si l’on ose dire, pièce à présomption ?

Il est vrai qu’à ce train-là, beaucoup de procès crimi- nels, appuyés sur la sacro-sainte « intime conviction », devraient être réfutés, hier comme aujourd’hui. Voici donc Petiot coupable, mais que de mystères encore ! Et d’abord, était-il seul ? Car, dans l’affirmative, quelle performance ! Tout en menant une vie familiale et pro- fessionnelle normale – à mi-temps en quelque sorte –, ren- contrer ses victimes, les persuader, les convoyer jusqu’à l’hôtel tragique, les séquestrer (et combien de temps ?), les convaincre de la nécessité d’une bien équivoque vac- cination, surveiller leur trépas (et quand, la rédaction des mystérieuses lettres ?), les dépecer, les faire disparaître enfin, tout en cachant le butin (à l’exception, bien impru- dente, des valises)... Et la performance devient tour de force quand ce n’est pas une, mais deux, voire trois vic- times qui arrivent en même temps rue Lesueur. On n’a pu que supposer, déduire, affirmer que c’est bien ainsi qu’a procédé Petiot et qu’il agissait seul.

Alors, pas seul, Petiot ? Mais avec quels complices ? Des complices de droit commun ? Son frère ? Une autre hypothèse place Petiot au cœur d’une immense machi- nation qui l’aurait dépassé. Ainsi s’expliqueraient les cadavres de l’hôtel de la rue Lesueur qui ne seraient pas ceux de Petiot. Ainsi est née la thèse, assez répandue, de Petiot non plus résistant « free lance », mais gestapiste. Le principal tenant de cette théorie est Jean-François Dominique, ancien résistant et journaliste à L’Humanité lorsqu’il publie, en 1980, L’Affaire Petiot. À vrai dire, l’auteur voit des gestapistes partout. Il en fait même surgirtoute une bande sortant de deux tractions avant lors de la découverte macabre du 11 mars 1944. Mieux, il dit avoir été là, comme simple badaud, mais sans expliquer sa présence, pour le moins surprenante. Tout suit à l’ave- nant. Petiot aurait été lié à la Gestapo française de la rue Lauriston et notamment avec ses chefs de sinistre mémoire Pierre Bonny et Henri Lafont, l’un et l’autre fusillés en décembre 1944. C’est Petiot qui, dans son immeuble proche de la rue Lauriston, aurait fait dispa- raître les victimes de Lafont, outre les siennes – tous des juifs (« Un petit Auschwitz en plein Paris »). Ainsi s’expli- querait que la Gestapo, allemande celle-là, ait fini par relâcher Petiot le 13 janvier 1944. Quant au jugement, ce serait une véritable conspiration du silence, avec des « pièces capitales » subtilisées. Un faux procès déguisé en procès de droit commun.

Cette théorie paraît tout aussi romanesque que celle de Fly-Tox et de la Résistance. Et d’abord, pourquoi un « faux procès » ? À l’heure de l’épuration, pourquoi cacher, voire protéger les activités d’un gestapiste ? Sauf bien sûr à ne pas vouloir « tirer l’écheveau des fils qui mènent à certains milieux collaborationnistes ». Bref, même après la guerre, le combat continue. Pourtant, ces élucubrations ont fait école. On les retrouve, un ton en dessous, dans plusieurs ouvrages sur Petiot et même dans un mémoire de maîtrise : « Un ouvrage-clef de l’af- faire Petiot [...] ; les recherches effectuées par un ancien membre du PCF au sujet de nombreuses zones d’ombre de l’affaire [...]. La plupart de ces pistes sont vraies et les éléments avancés par l’auteur ont pu être vérifiés, tous ou peu s’en faut1. »

Le mystère Petiot a nourri un scénario plus hardi encore sous la plume, en 1963, de l’Anglais Ronald Seth (Petiot : Victim of Chance – ce dernier mot au sens de « hasard »). Cet auteur d’histoires d’espionnage, assez connu en Grande-Bretagne, fut lui-même un agent secret pendant la guerre, au parcours au demeurant trouble. Son Petiot est cette fois un authentique résistant, mais exécuteur des basses œuvres d’un réseau communiste. Ses convictions politiques, si fortement manifestées à Villeneuve-sur-yonne, l’ont porté à cet engagement. Quant à son silence, héroïque pendant son emprisonne- ment par la Gestapo et aberrant pendant son procès, il s’explique par les menaces de représailles sur sa femme et son fils au cas où, une fois arrêté, il divulguerait les noms de ses « camarades ». Ainsi Petiot, qui ne peut ignorer, à moins d’être fou à lier, que son silence émaillé de fadaises le mène droit à la guillotine, se tait pour sau- ver sa famille. Curieusement, cet ouvrage n’a jamais été traduit en français.


Reste le plus important des mystères Petiot, celui sur lequel on ne cesse de buter tout au long de l’histoire de sa vie : celui de sa folie. C’est un vaste sujet et des plus épineux. Et de quelle folie parle-t-on ? S’il ne s’agit que de la « folie judiciaire », on a mentionné l’inconvénient du « tout ou rien » de l’article 64 du Code pénal : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action. » Vingt-sept fois en état de démence entre janvier 1942 et mai 1943 « au temps de l’action », cela fait beaucoup, à la différence de l’épi- sode de la librairie Gibert et de son unique « moment d’égarement ». De toute façon, aucune commission de psychiatres n’aurait osé proclamer l’irresponsabilité tant la pression de l’opinion publique était grande. Il eût fait beau voir que Petiot eût été soustrait à la justice !

Depuis, l’article 64, sans nuances, a été remplacé en 1993 par l’article 122 et ses deux alinéas : l’alinéa 1 recon- duit la clause d’irresponsabilité pénale en cas de démence, mais l’alinéa 2 ajoute : « La personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuro- psychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. » Quoique en termes assez vagues ces choses-là soient dites, la loi admet désormais l’atténuation de responsabilité. Autrement dit, Petiot aurait alors échappé à la guillotine.

Mais ce n’est pas ainsi que se pose la question de la folie de Petiot. À l’extrême fin du xixe siècle, le psy- chiatre Gilbert Ballet, qui avait créé au sein de son ser- vice à l’Hôtel-Dieu de Paris une annexe destinée aux psychopathes difficiles, s’insurgeait de cette demande d’expertise de la justice : « Nous ne sommes pas compé- tents pour trancher la question d’ordre métaphysique, non d’ordre médical, qui est celle de la responsabilité. » Cela nous ramène à la question non plus judiciaire mais médicale de la folie de Petiot. Dès l’ouverture du pro- cès, tout le monde – sauf peut-être les jurés – considère Petiot à tout le moins comme un demi-fou (mais qu’est-cequ’un « demi-fou » ?). Deux jours après l’ouverture du procès, Armand Macé écrit dans L’Aurore : « Quelle est sa pensée lorsqu’il déclare avec énergie : “Je ne suis pas en danger de mort... Je suis certain d’être acquitté” ? Est-il un mythomane convaincu par ses mensonges ? Un comédien pris à son jeu ? Ou bien est-il fou, un fou lucide, mais dément quand même ? Et dangereux... » Armand Macé n’est pas psychiatre, mais, justement, il ne fait que formuler les questions que pose le simple bon sens.

On ne peut que s’étonner de nouveau qu’à défaut d’article 64 maître Floriot n’ait pas franchement joué la carte de l’atténuation de responsabilité pour tenter au moins de sauver la tête de son client. Les antécédents psychiatriques pourtant ne lui manquaient pas, mais les connaissait-il tous ? Connaissait-il l’expertise du lycéen Marcel Petiot, 17 ans, concluant entre autres à l’incapa- cité du sujet à distinguer le bien du mal ? Il est intéressant (et prudent) d’en rester au vocabulaire psychiatrique de l’époque. Toutes les expertises dont Marcel Petiot a été l’objet sont accablantes et, comme on a l’a vu à plusieurs reprises, si Petiot joue au fou, c’est bien imité. Restons-en à celle de 1936, d’abord parce que l’un des experts, le docteur Laignel-Lavastine, est un psychiatre connu et estimé, ensuite parce que le rapport rendu est grave- ment défavorable à Petiot. Il pèsera d’un grand poids au moment du procès. Il y est pratiquement traité de simula- teur, mais au regard de sa responsabilité pénale. (Les trois psychiatres commis par la justice n’ont pas les scrupules de Ballet). Néanmoins, et par conséquent a minima, il est admis que Petiot est un « déséquilibré constitutionnel amoral ». Or ce terme qui paraît bien vague aujourd’hui est, à l’époque, un véritable diagnostic et un diagnostic de folie – que le réquisitoire de l’avocat général traduit par : « C’est un redoutable roublard. »

Or, le « déséquilibré constitutionnel amoral » peuple les asiles d’aliénés dans les années Petiot. En voici un parmi d’autres, cité par la Revue de médecine en 1932 : « Déséquilibre constitutionnel avec élucubrations anti- sociales, anarchisantes, exprimées avec grandiloquence et dans lesquelles il se complaît en ce qu’elles satisfont son orgueil pathologique démesuré, sa constitution para- noïaque, son égocentricité. » Mieux, la même année, à propos d’un autre interné : « Son déséquilibre constitu- tionnel peut être pris en considération comme atténuant sa responsabilité. » S’il avait été dans la commission de 1936, le psychiatre qui signe ce bulletin aurait ainsi eu un avis différent de celui de ses confrères. Voici encore, en 1934, le certificat immédiat d’un placement d’office : « X. est un déséquilibré anormal, absolument inadapté à la vie sociale. Errance, vols et cambriolages [...]. Déjà interné [...]. Raconte ses aventures avec un cynisme souriant, sans la moindre expression de repentir. À surveiller étroite- ment et à observer. » Et, en septembre 1942, toujours à propos d’un interné dans un asile d’aliénés : « Est un déséquilibré anormal, absolument inamendable, invalide moral, irréductible. Il doit être maintenu sine die dans un quartier de sûreté. » On relèvera au passage la notation d’« invalide moral ».

On pourrait évoquer également à propos de Petiot une « organisation perverse » telle qu’elle apparaît dès le jeune âge et qui se caractérise par « l’immoralité, l’inaffectivité, l’inéducabilité, l’inintimidabilité, l’inamendabilité ». Mais gare à la terminologie psychiatrique, qu’elle soit d’époque ou actuelle, et gare aussi aux diagnostics rétrospectifs ! Suivons plutôt le docteur yves Roumajon, psychiatre et criminologue très médiatisé dans les années 1970 et 1980, répondant à Frédéric Pottecher qui l’interroge sur Petiot : « C’est un fou tranquille. » Et Pottecher d’ajou- ter : « Petiot était très province. Les sous, le confort, les enfants, la famille. Il faisait ses coups en douce. Petiot, ce n’est pas Hollywood, mais Villeneuve-sur-yonne.

Il n’en subsiste pas moins qu’être médecin marron, mythomane et kleptomane, c’est une chose, et que se mettre à tuer, c’en est une autre, même si les circonstances de l’époque ont favorisé un tel passage à l’acte. Et puis, tuer une fois c’est une chose, et vingt-sept fois, une autre. D’ailleurs ce n’est pas le moindre des mystères Petiot que celui du nombre de ses victimes. Peut-être moins, voire peut-être pas, mais peut-être plus...

Le 6 avril 1946, deux jours après la condamnation à mort de Petiot, le docteur Édouard Toulouse accorde un long interview au journal France-Soir. Il est à la fin de sa vie, mais est très célèbre dans le monde de la psychiatrie et auprès des médias pour avoir été un réformateur libéral luttant contre les « murs de l’asile ». Il a créé non sans mal, en 1922, à l’hôpital Sainte-Anne, le premier « ser- vice départemental de prophylaxie mentale ». Longtemps aussi il s’est battu pour l’hospitalisation des malades men- taux en dehors de l’internement (ce qui paraît aujourd’hui aller de soi ne l’était alors pas). Bref, il n’est pas un par- tisan de l’enfermement autoritaire.
Deux jours après le verdict, donc, le docteur Toulouse se livre à l’analyse du cas Petiot, notant combien la psychiatrie a sans cesse émaillé sa vie. « Petiot, conclut- il, était un anormal d’envergure à surveiller étroitement. À différents moments de sa vie, il a dû subir plusieurs internements. Les rapports des psychiatres ne laissent aucun doute sur son déséquilibre. Il n’aurait jamais dû pouvoir exercer sa coupable industrie. La place de cet homme était depuis longtemps dans un asile. Sa tenue à l’audience le confirme. Hélas, une fois de plus, on a pré- féré “attendre et voir”. » Et l’illustre docteur Toulouse de terminer sur cette phrase auguste : « Les crimes de Petiot étaient évitables : il faut dépister les criminels avant le meurtre. » C’était simple, mais il fallait y penser.

Extrait de "L'effrayant docteur Petiot", de Claude Quetel, publié chez Perrin, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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