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Paroles et censure ou pourquoi nos rêves sont codés
©Flickr

Bonnes feuilles

Émanation de l’inconscient vers le conscient, le rêve a toujours suscité l’interprétation. Extrait de "L’interprétation psychanalytique des rêves", de Tristan Moir, publié aux éditions l'Archipel (1/2).

Tristan  Moir

Tristan Moir

Né en 1954 à Pérouges (Ain), Tristan Moir, psychanalyste d’obédience jungienne, s’est rapidement spécialisé dans l’onirologie. Cette orientation thérapeutique est l’aboutissement d’une longue étude du rêve, de la symbolique universelle, de la mythologie, des contes et légendes, des traditions spirituelles et philosophiques de nombreuses cultures. L’étude de la psychanalyse freudienne et une longue pratique du yoga (yoga mental, des énergies, tantrisme) est venue compléter cette recherche. A Paris, il anime en direct chaque mercredi de 23 h à 2 h sur "Ici & Maintenant" (95.2 FM) une émission de radio d’interprétation des rêves. Il a créé en 2007 d’une école de formation au langage du rêve pour thérapeutes : E.V.E.R. Il est l’auteur d’Images & Symboles du rêve (Trajectoire, 2007) et Entrez dans vos rêves (éd. F. Lanore, 2008).

 

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Le langage du rêve est un langage sibyllin, codé, hermétique ou ésotérique et souvent énigmatique. Le rêve est le maître de la métaphore, de la parabole, de l’allusion, des jeux de mots et de la symbolique. Or, les rêves sont parfois si impénétrables et déconcertants que l’on pourrait facilement s’en désintéresser, en ne les considérant que comme de simples fantasmagories ou des miasmes nocturnes. Quelle est donc la raison de cet hermétisme ? Pourquoi ce langage est-il aussi impénétrable ?

Si c’est un langage, c’est d’abord un langage utilitaire. Nous venons de l’évoquer : le rêve a d’abord une fonction intégrative. Le cerveau doit traiter chaque jour une masse d’informations énorme. Ce traitement se fait principalement la nuit, pendant le temps du sommeil paradoxal. Au cours de ce processus, les informations vont de l’extérieur vers l’intérieur. Le cerveau utilise alors un « langage machine », comme en informatique, pour compresser les données qu’il doit entériner ou effacer 1. Ce langage machine est le langage symbolique, un code qui réduit en images ou impressions les informations cérébrales et émotions de la journée. Ce code doit être constant pour que le cerveau puisse gérer de façon efficace toutes ces tâches.

Dans un deuxième temps, le mouvement inverse se manifeste, de l’intérieur vers l’extérieur. Cette fonction est celle qui nous intéresse ici, celle du rêve messager ; c’est de lui dont nous parlerons tout au long de cet ouvrage. L’Inconscient émet des informations vers le Conscient au travers du rêve et de son langage symbolique. Dans ce processus résurgent, il utilise le même code d’images, qui apparaît alors très hermétique – mais pas inintelligible si nous avons accès à son code.

Ce langage spécifique est hermétique aussi pour une raison précise et simple : si le rêve est en grande partie codé, métaphorique, c’est pour échapper à la censure du Surmoi 1. Il semble que cette instance soit très active et agisse comme un filtre subconscient entre veille et sommeil, entre Conscient et Inconscient, pour préserver l’ordre établi (ou le désordre établi).

Il est utile de préciser que le Surmoi ne brille pas par son intelligence. C’est une instance de la loi et de son application. Elle n’est pas là pour réfléchir ni être créative et, logiquement, encore moins pour prendre des initiatives « personnelles ». Les subtilités peuvent facilement lui échapper. L’Inconscient est, lui, supraintelligent. Son langage imagé et allégorique est fait pour contourner la censure du Surmoi ou l’utiliser de façon directe afin d’amplifier le message qu’il envoie au Conscient. Pour cette deuxième raison, il peut parler le même langage que le Surmoi en le contrefaisant, caricaturant les formes, les comportements acquis ou les croyances inculquées. Il peut ainsi mettre en scène des personnages archétypaux du Surmoi en les parodiant jusqu’au burlesque (les Dupondt de Tintin) ou grossir le trait des imagos en formes stéréotypées. Si l’image de la sorcière par exemple peut générer un fort malaise, au-delà de cette émotion, il est important d’en percevoir le caractère grotesque 2.

L’Inconscient est aussi un maître de l’humour et son expression est à considérer fréquemment sous cet angle. Dans la réalité, le rire est un phénomène que nous pouvons regarder comme une prépondérance soudaine du Moi sur le Surmoi, stimulé par le Ça. La manifestation du rire survient souvent quand une idée sensible ou un concept tabou sont amenés à la surface du Surmoi par un procédé indirect ou surprenant qui lui permet de s’y intégrer. L’idée ne doit pas être trop choquante sous peine d’être rejetée, voire condamnée. Si elle est suffisamment subtile, le Surmoi ne s’y oppose pas. Si elle est totalement incongrue, le Surmoi n’a pas le temps de se fermer ou n’a pas les ressources pour l’analyser rapidement avant de s’y opposer. C’est la décharge d’énergie que produit le Surmoi choqué par cette incongruité qui produit le rire. L’interdit est le thème le plus courant pour provoquer le rire, avec les histoires de pipi/ caca ou de sexe. Les jeux de mots triviaux à connotation sexuelle sont légion dans la langue du rêve.

Pour cette raison, il est important de regarder les expressions du rêve avec humour. L’interprète ne doit donc pas en manquer. L’humour est le signe d’une souplesse du Surmoi, qualité requise pour « oser » interpréter un rêve. De plus, face à l’expression de cette intelligence, l’interprète respectueux ne doit pas la négliger, il doit au contraire essayer de l’intégrer modestement pour pénétrer toutes ses subtilités.

Paradoxalement, cette intelligence n’est pas tortueuse ; les rêves sont des messages écrits dans un langage simple. Si simple que notre esprit, devenu trop complexe, ne peut plus le décoder.

Extrait de "L’interprétation psychanalytique des rêves", de Tristan Moir, publié aux éditions l'Archipel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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