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La France est-elle encore germanophobe ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Elles sont soeurs, nées de la même terre, l'empire de Charlernagne. Pourtant elles ne cessent de s'observer, de se méfier l'une de l'autre, de s'envier, de s'aimer, de se haïr. Elles ? La France et l'Allemagne, les deux nations phares de l'Europe. Extrait de "Petite histoire de la germanophobie", de Georges Valance, publié aux éditions Flammarion (1/2).

Le spectre des années noires

Contrairement à la Chine ou à l’Afrique noire par exemple, l’Occident ne prête guère attention aux prédictions des ancêtres. Elle a tendance à les considérer comme des ratiocinations de vieux sages, alors que certaines de leurs prédictions sont fondées sur une longue expérience et une réflexion approfondie sur l’Histoire. Ainsi l’avertissement de Konrad Adenauer à la fin de sa vie : « Dès que Berlin redeviendra capitale, cela réveillera la méfiance de l’étranger. »

De fait, la montée en puissance de la « république de Berlin » s’accompagna d’un courant germanophobe inédit en Europe depuis la guerre, courant provoqué par la crise de l’euro et sa gestion brutale par les Allemands. Ces derniers, persuadés qu’ils sont les élèves modèles de l’Europe, et trompés par les sourires avenants des hôteliers et restaurateurs de l’Europe du Sud, découvrent avec stupéfaction qu’ils demeurent les descendants des nazis aux yeux des autres. Tous ces efforts pour s’intégrer à l’Occident démocratique seraient donc vains ? Le choc est d’autant plus rude que les réactions les plus virulentes émanent de pays qui ont connu des régimes dictatoriaux, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.

Même dans les pays qui n’ont pas connu d’invasion allemande, la référence à la dernière guerre est constante. « Angela Merkel, comme Hitler, a déclaré la guerre au reste du continent, cette fois pour s’assurer un espace vital économique 1 », écrit dans El País un professeur d’économie de l’université de Séville. À Valence, on brûle de grandes figurines de la chancelière déguisée en Viking, une hache à la main, et à Madrid on l’accueille en septembre 2012 par un « Non à une Europe allemande » ou « Merkel go home ». Même les Portugais, si calmes, ont manifesté par dizaines de milliers lors de la visite à Lisbonne de la chancelière en novembre 2012, s’écriant : « Une Allemagne européenne oui ! » ou encore : « Le Portugal n’est pas le pays de Merkel. »

Grèce et à Chypre, les réactions germanophobes sont à la mesure des sacrifices qu’imposent à la population les plans d’austérité décidés par l’Europe et le Fonds monétaire international, dont l’Allemagne est rendue seule responsable depuis la fin du couple « Merkozy » qui sauvegardait l’apparence d’une gestion européenne de la crise. La référence au nazisme est constante dans ces manifestations, et elle a atteint son paroxysme lors de la visite d’Angela Merkel à Athènes, le 9 octobre 2012. Drapeaux nazis et allemands étaient mêlés et brûlés ensemble dans les rues ; des affiches montraient Merkel affublée d’un casque à pointe, le visage barré d’une croix gammée ou posant en général nazi, entourée de trois collaborateurs dans le même uniforme ; des slogans fusaient, tel « Non au IVe Reich » ; des jeunes en uniformes SS paradaient le bras tendu dans une jeep… Ce jour-là, les Grecs n’ont pas hésité à exploiter tous les clichés pour humilier la chancelière et rappeler aux Allemands les années les plus sombres de leur histoire. Qui furent aussi les plus dures de l’histoire contemporaine grecque : la répression de la résistance grecque fut particulièrement sanglante pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que la famine provoquée par les troupes d’occupation fit un demi-million de victimes.

« L’affrontement démocratique »

La France n’a pas connu une telle vague germanophobe, même s’il lui arrive de céder à la tentation, ainsi lorsque des membres du gouvernement et des responsables du Parti socialiste « déclarent la guerre » à l’Allemagne, comme l’a titré le quotidien Libération au mois de mai 2013. Aujourd’hui en France, la germanophobie est plus une affaire d’élites – de gauche – qu’une préoccupation populaire.

Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, a ouvert le feu à l’automne 2011 en comparant Angela Merkel au « chancelier de fer » : « Bismarck fit le choix politique de réunifier les principautés allemandes en cherchant à dominer les pays européens, particulièrement la France. Dans une similitude frappante, la chancelière Angela Merkel cherche à régler ses problèmes intérieurs en imposant l’ordre économique et financier des conservateurs allemands à tout le reste de l’Europe 1. » Sur le moment, beaucoup n’ont vu dans ces propos qu’une réponse politicienne à Jean-Luc Mélenchon qui a fait de l’antigermanisme une des antiennes de son discours. Mais ces reproches ont dépassé le cadre politique hexagonal lorsque, dans son intervention télévisée du 28 mars 2013, François Hollande s’est prononcé en faveur d’une « tension amicale » avec Angela Merkel. « Amicale » peut-être, mais le mot « tension » n’était-il pas rayé du lexique politique francoallemand depuis des décennies ? Depuis, tout se passe comme si les socialistes se sentaient libérés par la parole du président. Ou alors assiste-t-on à une opération concertée et secrète pour affaiblir la chancelière et l’obliger à atténuer la rigueur de ses positions à Bruxelles ? Le 26 avril 2013, dans une interview au Monde, le quatrième personnage de l’État, Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, surenchérissait : « François Hollande appelle cela la “tension amicale”. Pour moi, c’est la tension tout court et, s’il le faut, la confrontation. »

Le Parti socialiste, qui a du mal à s’imposer comme parti gouvernant et dirigeant, a conforté les propos du président de l’Assemblée. Des fuites, publiées par Le Figaro dès le 27 avril 2013, ont révélé que pour sa prochaine convention sur l’Europe il préparait un texte très dur contre la politique d’austérité en Europe, un pamphlet contre la chancelière allemande en appelant à un « affrontement démocratique » : « Le projet communautaire est meurtri par une alliance de circonstance entre les accents thatchériens de l’actuel Premier ministre britannique et l’intransigeance égoïste de la chancelière Merkel. »

Celle-ci, déjà heurtée par les attaques et les caricatures fusant de toute l’Europe du Sud, n’apprécie guère les critiques venant de ses « amis » français. Cependant, la chancellerie de Berlin ne réagit pas officiellement aux piques françaises et s’en tient à sa ligne de conduite habituelle : on ne montre pas de désaccord avec la France en public. C’est le parti de la chancelière, la CDU, qui s’est chargé de répondre le 29 avril à travers un communiqué perfide du président du groupe d’amitié franco-allemand au Bundestag, Andreas Schockenhoff :

Les attaques infondées des responsables socialistes français de haut rang contre la chancelière sont inhabituelles et inappropriées pour la relation franco-allemande. Elles montrent avant tout le désespoir dans lequel se trouvent les socialistes français du fait que, un an après leur arrivée au pouvoir, ils n’ont aucune réponse convaincante aux problèmes financiers et économiques de leur pays.

À Paris, même s’il n’est pas totalement étranger à l’opération, l’exécutif est contraint de corriger ces excès, sauf à prendre le risque d’une rupture avec l’Allemagne – ce qui serait un fort mauvais signal pour les milieux financiers internationaux et provoquerait a minima une hausse des taux d’intérêt de la dette française. François Hollande rappelait le 16 mai 2013 : « J’ai parlé de tension amicale avec l’Allemagne : il faut garder l’amitié, sinon ça casse. » Jean-Marc Ayrault, ancien professeur d’allemand, germanophile convaincu et médiateur idéal des crises entre les deux pays, a demandé que soient expurgés les passages les plus violents du texte du Parti socialiste et multiplié les propos apaisants avec ses ministres, dont Pierre Moscovici, qui a déclaré : « L’idée qu’il faudrait une confrontation avec l’Allemagne est fausse et totalement contre-productive.

La France n’a pas non plus abondé dans l’humilité ni la repentance. Si le climat s’est autant dégradé avec l’Allemagne et si des bouffées de germanophobie n’ont pu être évitées, la responsabilité en revient aussi à Angela Merkel et à sa manière arrogante de gérer la crise de la dette et de l’euro. Si elle peut imposer sa vision des choses, c’est que seul Berlin a vraiment les moyens financiers de venir au secours des États en faillite. Mais son ton paternaliste irrite, de même que sa personnalité de donneuse de leçons :

Avec son côté fille de pasteur luthérien, précise l’intellectuel Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, elle rappelle que les hommes sont sur terre pour souffrir. Si les Grecs doivent payer cher les taux d’intérêt de leur dette et se priver pour cela, c’est qu’ils ont péché. L’excès de moralisme dans les relations internationales est toujours dangereux. Il a failli cette fois emporter l’euro et l’Europe.

Les Allemands accusent souvent les Français d’inconséquence : « Si nous faisons de la Realpolitik, vous nous le reprochez ; si au contraire nous sommes pacifistes, vous nous le reprochez aussi. » Le point de vue est compréhensible, mais ce qui inquiète les Européens, c’est la tendance de l’Allemagne à imposer un modèle de gestion économique, le sien, qui serait l’unique voie possible. Certains Allemands en sont conscients, dont le sociologue Ulrich Beck, qui y voit là une nouvelle forme de nationalisme : « Dans le monde politique, les médias et l’opinion publique, une nouvelle fierté nationale, qui se construit autour de ses propres performances, se déploie », écrit Ulrich Beck dans un livre décapant, intitulé Non à l’Europe allemande. « On pourrait résumer cette nouvelle identité dans la formule : nous ne sommes pas les maîtres de l’Europe mais nous en sommes les mentors. Ce nationalisme du “nous-sommes-redevenus-importants-etsavons- de-quoi-il-retourne” est enraciné dans ce qu’on peut appeler “l’universalisme allemand”. »

Extrait de "Petite histoire de la germanophobie", de Georges Valance, publié aux éditions Flammarion. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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