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Mais où la France peut-elle aller chercher la prochaine révolution industrielle (qui ne sera pas le numérique comme le croit le rapport Pisani-Ferry) ?
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Le rapport Pisani-Ferry donne quelques pistes pour dynamiser la croissance française, lui proposant de se tourner vers l'économie numérique. Une bonne idée en apparence, dans un rapport qui révèle peu de surprise et qui fait craindre que la France ne sois pas prête pour un nouveau décollage économique.

Michel Volle

Michel Volle

Michel Volle est économiste français.

Diplômé de l'École Polytechnique et de l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique, il est l'auteur d'un blog dédié à l'actualité économique.

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Yann Ménière

Yann Ménière

Yann Ménière est professeur assistant d'économie à MINES ParisTech et titulaire de la Chaire Mines-Télécom sur "IP et marchés de la technologie". Outre ses publications dans des revues universitaires, il écrit avec F. Lévêque un manuel sur «l'économie des brevets et droits d'auteur» (Berkeley électronique Press, 2004)

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Atlantico : Le rapport Pisani-Ferry, présenté mercredi 25 juin au gouvernement, qui ne prévoit pas un redressement sérieux de la France avant 2025, propose de baser la relance économique de la France sur l'économie numérique. Depuis le temps que ce type d'économie existe, est-ce forcément très novateur de parier sur ces technologies pour obtenir une croissance forte dans dix ans ?

Yann Ménière : Une première lecture basique nous amène à penser qu'il y a, effectivement, un énorme potentiel sur le numérique, mais surtout à travers son extension à de nouveaux secteurs. Le numérique était jusque-là cantonné aux communications, cela va s'étendre demain à la mobilité, comme avec les véhicules connectés ou les réseaux intelligents. Idem pour la santé connectée ou diagnostic génétique. Il s'agit d'un numérique qui renouvèle en fait d'autres secteurs, mais avec des impacts très profonds.

Michel Volle : Pour moi, le numérique reste le grand moteur indéniablement. Je trouve que le rapport de Pisani-Ferry est trop timide dans son affirmation. Quand il dit que l'informatisation transforme la nature des produits et la forme de la concurrence… Si tel est le cas, alors il faut parler d'un changement en profondeur de l'économie. Je trouve donc que ce rapport ne souligne pas assez le phénomène. Il y a toujours cette tentation chez les économistes à avoir une vision macroéconomique sans se pencher sur la réalité des entreprises et comment elles sont organisées. Certes, l'économie numérique n'est pas non plus quelque chose de nouveau puisque l'on pouvait déjà souligner un mouvement bien enclenché dans les années 90.

Le numérique est-il comparable aux innovations aux innovations qui ont marqué le début des deux premières révolutions industrielles ?

Michel Volle : C'est assez analogue en effet. Si vous prenez la première révolution aux alentours de 1775, elle a introduit la mécanisation. La seconde vers 1875 a mis en place les grandes entreprises modernes. On a eu avec le numérique une transformation d'une ampleur comparable. Le changement n'a d'ailleurs pas été seulement technique mais aussi profondément anthropologique. A partir du moment où on informatise une entreprise, les rapports sont transformés, la façon de travailler, de communiquer, de réfléchir, tout change. C'est un phénomène qui – comme pour les deux premières révolutions industrielles – est global.

Yann Ménière : J'adhère assez à l'idée que le numérique ait pu être le moteur d'une révolution, mais il l'a surtout fait en rebattant les cartes entre les acteurs. Si vous regardez ce qui s'est passé dans la téléphonie, on avait des opérateurs et des équipementiers historiques, le numérique a tout bouleversé en amenant de nouveaux acteurs. Mais cela a aussi apporté une révolution non seulement dans les acteurs mais aussi dans les usages, indéniablement.

Quelles pourraient être les autres innovations qui pourraient permettre à la France d'enclencher de nouveau sa révolution industrielle au XXIe siècle ?

Yann Ménière : Je pense aux technologies vertes, bien qu'il s'agisse d'un terme extrêmement large, mais avec énormément de potentiel. Il y aussi les biotechnologies et tout ce qui touche au génétique qui vont entièrement renouveler les stratégies thérapeutiques, et notre façon de faire des diagnostics. On parle aussi des nanotechnologies, bien qu'il s'agisse d'une innovation assez transversale. On est toujours en tout cas dans des nouvelles technologies qui accompagnent des pratiques déjà existantes. Il y a une base de besoins à laquelle les technologies de demain répondent différemment, pouvant à terme révéler de nouveaux besoins.

Michel Volle : Le numérique reste l'évolution essentielle. Si vous regardez les autres grandes révolutions en perspective, vous voyez que les biotechnologies – qui vont devenir fondamentales – s'appuient sur l'informatique. On ne peut plus être biologiste sans maîtriser l'informatique et la robotique. Idem pour le secteur des nouveaux matériaux. L'informatique devient un socle, comme les précédentes révolutions industrielles ont eu le leur : la mécanique et la chimie au XVIIIe siècle, l'électricité et le pétrole au XIXe siècle. Nous sommes un peu dans ce cas-là avec les technologies numériques.

"Pour une majorité de Français, l'avenir est à l'image du présent – en pire" prétend le rapport. La révolution industrielle est-elle aussi une question d'état d'esprit ? Quelle attitude faut-il adopter ? La France, et son pessimisme ambiant, se coupe-t-elle la possibilité d'enclencher sa révolution industrielle ?

Yann Ménière : Il y a clairement une dimension culturelle qui passe par un rapport négatif au risque. Cela se caractérise aussi par le rejet la prise de risque décentralisée en impulsant tout par le haut, ce qui ne marche que pour les grands projets, pas pour l'innovation foisonnante dont nous avons besoin aujourd'hui. Enfin, il y a bien sûr le rapport au succès et la place dans l'entrepreneur dans la société française, qui est confondu avec le rentier. Ces barrières mentales freinent l'initiative privée et sont un handicap pour une éventuelle révolution industrielle. Dans la société française d'aujourd'hui, quel va être le choix de carrière d'un jeune prometteur : va-t-il faire une carrière "calme" chez EDF ou monter son entreprise pour innover ? La deuxième option est loin d'être la plus valorisée…

Michel Volle : Ce qui se passe actuellement – et les politiques y ont une grande part de responsabilité – c'est le manque de perspectives, d'orientation et de buts à long terme. Si on avait une vue claire de ce que nous pourrions atteindre, cela donnerait le cap qui faut actuellement défaut ce qui rend les gens pessimistes.

"Beaucoup de nos difficultés sont sans remède dans l'instant, mais parfaitement surmontables si nous prenons le temps de nous doter des moyens institutionnels, économiques et humains pour y répondre" Pourquoi persiste-t-il toujours cette croyance française que pour réussir des objectifs majoritairement économiques, il faille forcément recourir à des réponses institutionnelles ? Cela condamne-t-il toute possibilité d'une révolution industrielle en France ?

Yann Ménière : Cela dépend de ce que l'on entend par "institutionnel" qui est un terme très vague pour un économiste. Si par institution on entend le droit ou le rôle de l'Etat, il y a surtout un gros travail à faire pour réformer les institutions justement… Il peut y avoir des interventions publiques intelligentes enclenchant un effet de levier pourtant car nous avons en France une insuffisance de ressources en capital-risque. La force publique pourrait s'y investir, cela aurait du sens. Mais pour que cela débouche sur quelque chose de valable, il faut que le privé puisse prendre le relais. Ce doit être l'objectif final pour impulser une vraie relance.

Michel Volle : Il y a une part de vérité quand même, c'est le caractère crucial des deux institutions que sont la santé et l'éducation qui doivent évoluer pour arriver à une efficacité convenable. Mais l'essentiel se passe bien sûr dans les entreprises. Si l'Etat s'occupait sérieusement des institutions et, il pourrait y avoir un vrai impact positif, mais l'enjeu d'une révolution industrielle potentielle réside dans le système productif. Les personnes responsables à convaincre sont donc les dirigeants d'entreprises.   

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