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Valérie Rabault fait une descente sur Bercy : que faudra-t-il pour que les politiques parviennent vraiment à reprendre la main sur une administration française en roue libre ?
©DR

Un Etat dans l'Etat

Sans réponse de la part de Christian Eckert, la rapporteure du budget s'est rendue à la DG Trésor dont elle est repartie avec des données précises sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Serge  Federbusch

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président du Parti des Libertés, élu conseiller du 10 ème arrondissement de Paris en 2008 et fondateur de Delanopolis, premier site indépendant d'informations en ligne sur l'actualité politique parisienne.

Il est l'auteur du livre L'Enfumeur, (Ixelles Editions, 2013) et de Français, prêts pour votre prochaine révolution ?, (Ixelles Editions, 2014).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : La députée socialiste et rapporteur du Budget Valérie Rabault a fait une "descente" à Bercy jeudi, à la Direction générale du Trésor. Elle voulait des documents sur le projet de loi de finances rectificatif (PLFR) pour 2014, qu’on ne lui transmettait pas. L’inertie de Bercy vous surprend-elle, ou s'agit-il d'une "mauvaise habitude" prise depuis longtemps par l'administration française ?

Serge Federbusch : La Cinquième République a été fondée sur la méfiance gaulliste vis-à-vis du Parlement et la volonté de mettre l’administration au service quasi-exclusif du pouvoir exécutif. Ce dernier a pris l’habitude de traiter des grands sujets d’intérêt national avec les corporations et les lobbies, le pouvoir législatif ne venant qu’entériner des accords entre technocrates. Dans ces conditions, une forme de mépris pour le Parlement s’est développée, accentuée par la réduction du rôle des députés et sénateurs à celui de simples élus locaux ne défendant que les intérêts limités de leurs circonscriptions. A Bercy, où les ministres eux-mêmes ne composent pas leurs cabinets comme ils l’entendent, ce dédain est assez prononcé.

Dans mon récent ouvrage sur la prochaine révolution française, j’ai tenté de montrer comment la centralisation politique du pays, mal conciliable avec le scrutin de circonscription, a conduit le pouvoir exécutif à un face-à-face avec les corporations qui a fini par l’affaiblir, ces dernières ayant le temps pour elles, à la différence de politiciens soumis à la contrainte de réélection.

Eric Verhaeghe : A ma sortie de l'ENA, j'ai dû gérer la masse salariale de l'administration centrale de l'Education Nationale. Je dépensais 180 millions d'euros par an, mais on communiquait le chiffre de 150 millions au Parlement. Cet oubli de 30 millions s'expliquait facilement: il fallait faire croire que Claude Allègre avait vraiment dégraissé le "mammouth" et ne surtout pas admettre que, pendant que les politiques parlaient, les fonctionnaires faisaient le dos rond et continuaient à se lamper sans aucun contrôle démocratique. Tout cela au nom de certitudes bien ancrées, de dogmes ahurissants: tous ces gens qui mentaient officiellement aux élus du peuple se déclaraient de gauche et conspuaient toutes les horribles valeurs du capitalisme, synonyme d'exploitation de l'homme par l'homme. Bien évidemment il ne fallait surtout pas reconnaître que quand on refusait une sortie à une classe en Seine-Saint-Denis faute de moyens budgétaires, ces mêmes moyens étaient consommés rue de Grenelle en achats somptuaires en tous genres, en primes traficotées sur un coin de table pour servir les copains. Le mépris du Parlement, le rejet de l'élu, bref le refus de la démocratie sont des piliers fondateurs de la haute administration française. Cela n'est pas nouveau: sous l'Ancien Régime, les intendants du Roi (l'équivalent de nos préfets) avaient déjà l'habitude d'affronter les notables locaux.

Comment l'administration est-elle parvenue à ce statut de quasi-autonomie vis-à-vis du politique ? En quoi cela remet-il en cause les principes élémentaires de la démocratie ?

Serge Federbusch : Elle n’est pas tout à fait autonome car elle est dépendante du pouvoir exécutif concentré à l’Elysée et, dans une moindre mesure, à Matignon. L’horizon indépassable, le Graal du fonctionnaire, c’est la nomination dans un emploi plus élevé, décision qui reste souvent entre les mains du pouvoir exécutif pour les fonctions les plus importantes. Les cabinets ministériels sont le lieu où l’osmose entre politique et administratif se fait. Si l’on veut bien considérer le pouvoir exécutif comme démocratique, cela n’est pas une atteinte à la démocratie.

Eric Verhaeghe : Peut-être que la France se repait trop d'une dilution des responsabilités et d'un excès de collusion ou de consanguinité entre ses élites? Un élu est souvent un fonctionnaire qui risque de retourner dans la fonction publique s'il perd son siège. Cela rend prudent. Et puis il est commode de se déresponsabiliser: d'expliquer aux électeurs qu'on aimerait bien les aider ou qu'on aimerait résoudre les problèmes, mais d'horribles fonctionnaires que personne ne contrôle bloquent tout. Et lesdits fonctionnaires se repaissent plutôt d'une situation où ils ont le pouvoir sans aucun contrôle et sans aucune sanction. Profiter des ors de la République, mais ne jamais en payer le prix: telle est la devise de nos dirigeants, élus ou fonctionnaires, qui détestent se salir les mains en affrontant les problèmes, mais qui trouvent très bien de disposer de voitures avec chauffeur et d'une sécurité de l'emploi à toutes épreuves. Ce faisant, c'est le principe même de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel tout citoyen peut demander compte aux agents publics de leur gestion qui est allègrement bafoué.

Par quels moyens les représentants du peuple pourront-ils reprendre la main sur cette administration qui semble si souvent échapper à son contrôle ?

Serge Federbusch : Il faudrait qu’ils soient moins nombreux, qu’il y ait une stricte limitation du cumul des mandats dans le temps afin qu’il n’y ait plus d’élus à vie et donc d’élus dépendants de leurs mandats pour subvenir à leurs besoins, que la Cour des comptes soit rattachée au Parlement afin de l’aider à évaluer les projets et résultats gouvernementaux et, enfin et surtout, que le recours au référendum permette à échéance plus fréquente d’arbitrer les conflits entre exécutif et législatif.

Eric Verhaeghe : Ces moyens sont évidemment connus. Premier moyen: il faut que les élus travaillent et fassent effectivement le job pour lequel ils sont payés. Deuxième moyen: il faut d'urgence généraliser la transparence sur les données publiques. A tous les étages, il faut qu'on sache ce qui se passe. Troisième moyen: il faut criminaliser la dissimulation des données publiques par les fonctionnaires. Quatrième moyen: il faut fixer des objectifs clairs, à la fois financiers et démocratiques, aux hauts fonctionnaires, et les licencier de la fonction publique s'ils ne les atteignent pas. Cinquième moyen: il faut supprimer le Conseil d'Etat, que j'ai personnellement vu couvrir Bercy dans des dissimulations de forfaitures avec une partialité totalement ahurissante. 

Aux Etats-Unis les sénateurs et les membres du Congrès bénéficient d'un véritable pouvoir de contrôle sur les responsables de l'administration, tenus de rendre des comptes. Ce modèle pourrait-il servir de référence, pour être appliqué à la France ?

Serge Federbusch : Le système américain a des vertus, notamment le moindre nombre d’élus. Mais il est gangrené par le lobbysme et la durée des mandats est trop courte, affaiblissant gravement le pouvoir exécutif. Au bout du compte, aux Etats-Unis comme en France, la classe politique est incapable de faire face au problème de la montée de la dette. Il ne faut donc pas trop chercher la vérité absolue Outre Atlantique. Certes, sénateurs et représentants contrôlent mieux l’administration, du moins lors des nominations. Mais cela ne change pas grand chose à ce qui se passe après. Nous devrions surtout rénover la Cinquième République en renforçant le pouvoir politique face aux groupes de pression ce qui passe par un Etat allégé et davantage de recours à la démocratie directe.

Eric Verhaeghe : Bien sûr. Mais, si vous me le permettez, je ne suis pas sûr qu'il faille ici réinventer la poudre. Si les parlementaires décidaient de faire leur job, on aurait déjà fait un grand pas. Par exemple, un député qui décide de consacrer tous ses émoluments à l'exercice de son mandat, et qui ne choisit pas d'en distraire une partie pour faire vivre sa femme ou sa famille, a tout à fait les moyens d'agir. La constitution prévoit qu'il peut saisir la Cour des Comptes pour effectuer des enquêtes ou des audits. Aujourd'hui le corpus existe. Regardez Valérie Rabault: quand elle n'a pas ce qu'elle veut, elle prend le métro et elle débarque dans les bureaux. Vous voyez bien que c'est possible: l'obstacle n'est pas dans les textes, mais dans la volonté de faire. Un député a besoin de se ménager des amitiés: il doit être investi par son parti aux élections, il compte sur quelques hauts fonctionnaires pour lui rendre de menus services, il brigue des mandats, des postes. Il n'a donc pas intérêt à donner l'image d'un "emmerdeur". Ce système de collusion décourage les initiatives démocratiques.

Il est reproché à François Hollande d’avoir délégué une partie de son pouvoir à des conseillers, énarques pour la plupart. Les politiques sont-ils de plus en plus amenés à se plier aux décisions des hauts fonctionnaires ? Quelle sera d’après vous l’évolution ?

Serge Federbusch : François Hollande n’est qu’un énarque parmi d’autres. Je ne suis pas sûr qu’il délègue beaucoup. C’est un grand méfiant et il a plutôt tendance à gouverner avec Jouyet, son alter ego. En réalité, le péril le plus grand est le conformisme de ce petit monde enarcho-politicien, qui ignore par exemple le drame que vivent les entreprises exposées à la concurrence internationale du fait d’une surévaluation chronique de l’euro. Pendant longtemps, cette caste dirigeante a cru échapper à la sanction de son inadaptation grâce à l’Europe et à l’endettement qu’elle autorise. Tout cela n’était qu’un leurre et l’on arrive aujourd’hui au bout de ce système qui va à mon avis s’effondrer dans les deux ou trois ans qui viennent.

Comme le disait sagement le regretté Jean Yanne, penseur sous-estimé : "Il est plus facile de manipuler les élites que les masses".

Eric Verhaeghe : A certains égards, nous vivons une situation analogue à celle des Mérovingiens: seuls les fonctionnaires comprennent encore quelque chose à la machine administrative, et les élus leur délèguent la gestion de la complexité. Pendant ce temps, ces mêmes élus se concentrent sur de micros-problèmes: la construction d'un rond-point, le maintien d'un poste inutile et dangereux de chirurgien dans un hôpital de campagne où eux-mêmes n'oseraient jamais se faire opérer, la défense d'un poste d'instituteur dans une école perdue où ils n'enverraient jamais leurs enfants. Que d'énergie un député peut dépenser pour sauver une maternité où il n'y a même pas une naissance par jour (et donc une maternité dangereuse!), sans se préoccuper du développement local, de l'attractivité de son territoire, de l'avenir des emplois dans sa circonscription. Tous ces sujets de fond sont laissés aux fonctionnaires. Qu'on ne s'étonne pas ensuite si ceux-ci prennent le pouvoir.

Pour en lire plus, découvrez l'ouvrage de Serge Federbusch ici

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