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25 ans de Tiananmen : tout souvenir officiel a été effacé… mais qu’en est-il dans la tête des Chinois ?
©Reuters

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Le 4 juin 1989, des milliers de manifestants chinois tombaient sous les balles du gouvernement sur la Place Tiananmen. 25 ans après, tout est encore mis en œuvre pour effacer cet événement de la mémoire collective. Et il semble que le gouvernement chinois arrive à ses fins.

Marie Holzman

Marie Holzman

Marie Holzman, a été enseignante à l'université. Elle est sinologue spécialiste de la Chine contemporaine, et traductrice. Elle est la présidente de l’association Solidarité Chine, créée en 1989 à la suite du massacre de Tien An Men. Elle a publié de nombreux ouvrages dont Chine, on ne bâillonne pas la lumière (2009 - J.-L Gawsewich) avec Noël Mamère.

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Atlantico : Il y a 25 ans, le gouvernement chinois réprimait sa population sur la place Tiananmen à Beijing. Depuis, il s'efforce de censurer tout ce qui touche de près ou de loin au massacre. Ainsi tout souvenir officiel a été effacé. Comment cette censure est-elle mise en place ?

Marie Holzman : Il faut avant tout bien comprendre les mécanismes d'une dictature. Depuis 1949, le gouvernement chinois possède, dirige et contrôle tous les médias, qui sont donc jusqu'à ce jour totalement dépendant du gouvernement. Depuis la mort de Mao Tse Tong en 1976, il y a plus de liberté d'expression, les Chinois osent de plus en plus parler entre eux - chose impensable jusqu'à peu étant donné que lors de la Révolution culturelle, même parler chez soi pouvait être dangereux.

Toutefois, dès lors qu'un journaliste écrit sur un sujet sensible ou carrément contre le pouvoir, le journal ou le journaliste sont soumis à des sanctions allant de la fermeture du journal jusqu'à la prison. Ce type de phénomène ne se produit cependant que très rarement, qu'il s'agisse de l'affront au gouvernement ou des sanctions. Il n'est effectivement pas nécessaire de réprimer régulièrement : une fois de temps en temps suffit à calmer les ardeurs.

Concernant la place Tiananmen, le gouvernement chinois a procédé exactement comme dans un roman de George Orwell : dès le lendemain du massacre, les généraux chinois ont nié tout décès sur la place. Et l'expression est particulièrement intéressante car en effet, la plupart des morts se trouvaient autour de la place et non sur la place en elle-même. C'est exactement comme si la révolte avait eu lieu Place de la Concorde à Paris et que je vous disais que non, il n'y a pas eu de morts Place de la Concorde, alors qu'en réalité, les morts se trouvaient Rue de Rivoli. Le nom Place de la Concorde va rester et les propos vont s'inscrire durablement de la sorte dans les mémoires.

Le web n'a pas vraiment ralenti cet oubli étant donné qu'il est lui-même censuré. Aujourd'hui, il est devenu très facile de priver des régions entières d'Internet, comme c'est le cas de la Province Xinjiang où plusieurs incidents et attentats ont eu lieu du fait de la rébellion ouïgoure. Cela paraît impensable mais en Chine, la censure Internet est une réalité. Et pour ce faire, le gouvernement chinois utilise the Great Fire Wall, la grande muraille de feu. Ce système de censure permet de bloquer tout ordinateur souhaitant accéder à des informations censurées. Par exemple, si vous tapez "4 juin" sur Google, votre écran deviendra noir.

Mais l'une des censures les plus efficaces est l'autocensure. Très vite, les gens savent ce dont ils peuvent parler et ce dont ils ne peuvent pas. Il existe bien entendu des gens courageux, mais en Chine comme ailleurs, tout le monde n'est pas un héros. Par exemple, les parents chinois n'osent pas raconter ce qu'ils ont vécu ce jour là à leurs enfants, de peur qu'ils n'en parlent à leurs amis ou à leurs professeurs. De la sorte, ils pourraient être dénoncés et arrêtés. Il ne s'agit pas là d'un manque de confiance mais au contraire d'une connaissance du mécanisme : les choses peuvent aller très vite une fois l'impair commis. De plus, les parents et professeurs veulent bien entendu le meilleur pour leurs enfants. L'idée est donc de ne pas le mettre en danger en lui épargnant une connaissance trop pointue des réalités, et notamment le manque de démocratie et de respect des Droits de l'Homme en Chine. On va le protéger lui et son idéalisme afin qu'il ne devienne pas un dissident. Les parents chinois sont conscients de tout cela et c'est ce qui explique aujourd'hui l'ignorance de la jeunesse chinoise à l'égard de cet événement majeur. Les enfants chinois sont aujourd'hui même briefés avant un départ à l'étranger. On leur dit par exemple que cela n'était qu'une simple émeute, que le gouvernement a bien fait d'intervenir et que les Occidentaux véhiculent des mensonges sur ce type de fait. Et c'est exactement la même chose pour le Tibet.

Qu'en est-il réellement dans les mémoires chinoises ? La censure a-t-elle effectivement effacé tout souvenir ou cela vient-il de la peur d'évoquer un sujet aussi tabou ?

Ceux qui ne savaient pas ne savent pas et ceux qui savaient ne peuvent pas l'oublier. Et c'est bien pour cette raison que le massacre de la Place Tiananmen agit comme un cancer. Tous les ans, la répression préventive et la censure sont plus fortes du fait de ce réflexe normal et humain qu'est la curiosité : plus on essaie d'effacer quelque chose, plus les gens veulent savoir de quoi il s'agit et pourquoi on cherche à l'effacer.

Ces dernières semaines, trente à quarante intellectuels chinois ont été arrêtés. Il s'agit de la pire vague d'arrestation préventive depuis 1984. De plus, les manifestations sont aujourd'hui plus importantes que jamais, notamment à Hong Kong où des centaines de milliers de personnes ont manifesté le 1er juin. Sur un total de 6 millions d'habitants, ce chiffre est énorme.

Seul 15 % des étudiants pékinois ont reconnu "l'Homme au Tank" comme étant un symbole de ce qu'il s'est passé. Le reste semble ignorer totalement le sujet. Comment la jeunesse se maintient-elle au courant de son Histoire alors même que le gouvernement chinois met tout en oeuvre pour l'en empêcher ?

Les jeunes chinois sont aujourd'hui encore au courant de ce massacre grâce à Internet. Aujourd'hui la plupart des étudiants savent contourner la censure, notamment grâce à Sanqiang qui signifie "sauter par dessus le mur". De plus, certains ont la chance de voyager à l'étranger. Ils peuvent donc retrouver de nombreux livres censurés en Chine, notamment à Taïwan.

Cependant, beaucoup ont également du mal à accepter la vérité. On les a tellement briefé avant leur départ que pour eux, ceux qui disent pourtant la vérité mentent. Je dirais qu'il leur faut environ un an avant de pouvoir envisager que ce qu'on leur dit à l'étranger est peut-être la réalité.

Peut-on craindre un oubli total à l'égard de ce massacre pour les prochaines générations ? Quel rôle tient et doit tenir la communauté internationale concernant ce sujet ?

Soit la dictature se maintient et à force de persévérance parvient à effacer tout souvenir du massacre de la Place Tiananmen, soit le gouvernement s'effondre. Et honnêtement, je ne vois pas une longévité infinie au parti communiste chinois. Après tout, pratiquement personne n'avait prévu l'effondrement du bloc soviétique et personne n'a prévu pour le moment l'effondrement du parti communiste chinois. Et pourtant, il pourrait s'avérer proche.

Concernant la communauté internationale, elle a en effet un rôle à jouer. Certains journalistes parlent justement de la Place Tiananmen. Et pour le moment, ça marche. Rares sont les pays qui n'aient pas organisé de commémoration du 25ème anniversaire du massacre, à l'instar de Taïwan, de l'Allemagne ou des États-Unis.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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