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Ce que la France gagnerait à avoir Christine Lagarde à la Commission européenne
©REUTERS/Jonathan Ernst

Influence

La directrice générale du FMI aurait été approchée par Angela Merkel pour prendre la suite de José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne. De quoi contrebalancer les manquements des eurodéputés français, remarqués par leur inexpérience et leur manque d'assiduité.

Sylvain Kahn

Sylvain Kahn

Professeur agrégé à Sciences Po, où il enseigne les questions européennes et l’espace mondial. Sylvain Kahn est professeur agrégé au sein du département d’histoire à Sciences Po. Depuis 2001, il enseigne les questions européennes. Docteur en géographie et diplômé de géopolitique, agrégé d'histoire, normalien et chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, il a publié aux PUF Histoire de l’Europe depuis 1945 ; Le pays des Européens avec Jacques Lévy chez Odile Jacob ; Géopolitique de l’union européenne et Dictionnaire critique de l’Union européenne, chez A. Colin ; et Les universités sont-elles solubles dans la mondialisation ? chez Hachette. Il est le responsable et le co-auteur du mooc Géopolitique de l’Europe, diffusé en ligne en français et en anglais sur les plates-formes Coursera et Fun. Chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, ses travaux portent principalement sur deux sujets : la place et le rôle de l’Etat-nation dans la construction européenne ; la caractérisation de la territorialité de l’Union européenne.

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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : Le FN est arrivé en tête des suffrages avec 25% des voix. D'aucuns estiment que ce score signera la perte d'influence de la France au sein du Parlement européen. D'une manière générale la France souffre-t-elle d'un déficit d'investissement dans les instances européennes  (que ce soit au parlement, commission, etc..) ?

Sylvain Kahn : Je répondrais plutôt non. A la Commission, certainement pas. Au Parlement européen, en effet, la fondation Robert Schumann entre autres, a pu constater que les eurodéputés français ne faisaient pas partie dans leur ensemble des plus assidus, ou qu'ils n'investissaient pas forcément les fonctions qui permettaient d'influencer le plus les travaux parlementaires.

Deux critères sont assez frappants en défaveur de l'influence française au Parlement européen. C'est d'une part le renouvellement : les partis politiques, dans leur ensemble, ont tendance à peu représenter d'une élection à l'autre des députés ayant de l'expérience. Or, le Parlement européen a sa culture spécifique, il y a donc toujours un temps d'acclimatation pour savoir quels postes sont pivots. Avec un taux de renouvellement plus élevé que pour ceux de leurs collègues, c'est plus compliqué pour les Français.

Un exemple : dans le Grand Est, le Parti socialiste a eu pour tête de liste Edouard Martin, qui n'a jamais siégé au Parlement. Catherine Trautmann s'est retrouvée n°2. Elle a une expérience certaine et fait partie des membres du Parlement qui ont une expérience solide. Ce choix, combiné aux résultats électoraux que l'on connait, fait que Catherine Trautmann ne siégera pas au Parlement européen dans la prochaine mandature. Même si je ne doute pas qu'Edouard Martin sera engagé et compétent, il lui faudra un certain temps pour accumuler une expérience et une compréhension des mécanismes. Alors que si Catherine Trautmann avait été élue, elle aurait tout de suite contribué à ce que vous appelez "l'influence de la France" à Bruxelles.

L'autre critère est celui du cumul des mandats. En proportion, les eurodéputés français sont ceux qui sont les plus nombreux à cumuler un autre mandat. Par exemple, aucun des eurodéputés polonais sortant n'avaient un autre mandat. Parmi les Britanniques, le pourcentage ne dépassait pas 5%. En France, on était à 40%.

Mais il ne faut pas s'en tenir uniquement à l'assiduité, au cumul, au renouvellement. Il faut aussi voir les postes qui sont des rouages important du travail parlementaire. Et là, les Français ne sont pas quantité négligeable.

Au sein de la commission européenne, bon nombre de hauts fonctionnaires français occupaient généralement des postes clés. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Comment expliquer cette différence ?

Sylvain Kahn : A la Commission, c'est traditionnellement l'inverse. Le fonctionnement de la Commission européenne a été au départ très inspiré de la culture administrative française. Il y a une tradition de haute fonction publique très forte en France, ce qui fait que la Commission européenne, de même que le Secrétariat général du Conseil, fait partie des étapes jugées "nobles" et importantes par les "élites administratives françaises". Au sein de la haute fonction publique française, beaucoup considèrent qu'il y a vraiment des choses à faire à Bruxelles, ne serait-ce que pour assurer l'influence française.

Mais démographiquement, cette influence a tendance à être moins importante, car le fonctionnement de la commission fait qu'on recrute les fonctionnaires de façon à ce qu'elle soit représentative de l'Europe à 28. Depuis une quinzaine d'années, on recrute moins de Français ou d'Allemands, mais plus de Polonais ou de Tchèques.

De toute façon, j'ai une réserve sur l'idée de s'interroger sur "l'influence de la France". Je ne suis d'ailleurs pas sûr que les Irlandais se posent cette question. La construction européenne a été rendue possible parce qu'à un moment, les différents peuples européens ont considéré qu'il y avait lieu de mutualiser un certain nombre de choses et de politiques. Ce n'est pas l'Onu, où chaque pays essaye de défendre ses propres intérêts. Les gens qui travaillent dans l'Union n'ont pas d'abord en tête les intérêts nationaux, mais aspirent à un intérêt général qui profite à tout le monde.

Les députés français qui réussissent, comme Catherine Trautmann, Arnaud Danjean – qui d'ailleurs était dans la même situation que C. Trautmann, puisqu'il était numéro 2 sur la liste de Nadine Morano, qui elle n'était pas eurodéputée sortante – ou José Bové, sont reconnus comme des eurodéputés qui bossent bien, qui approfondissent leurs dossiers, à qui on fait confiance…. Mais c'est grâce à leur travail, pas parce qu'ils sont français. Et dire que ça augmente l'influence française au Parlement, c'est une illusion d'optique.

Les députés, là-bas, ont un mandat, leurs options idéologiques ou politiques, et défendent ce à quoi ils croient. Et au Parlement européen, quelqu'un est vu comme influent à proportion de sa capacité à embrasser l'idéal européen. Un eurodéputé identifié comme défendant d'abord son intérêt national fera long feu, car ce n'est pas à ça que sert le Parlement. C'est d'ailleurs pour cela que les députés souverainistes ont peu de crédit sur place, car ils ne se plongent pas dans la mécanique communautaire. 

Dans quelle mesure la nomination de Christine Lagarde en tant que présidente de la Commission pourrait augmenter l'influence de la France dans l'Union, ou du moins rétablir une sorte d'équilibre entre France et Allemagne en Europe ?

Sylvain Kahn :Il me parait important que soit nommée à la tête de la Commission une personnalité compétente, qui veuille faire bouger les choses. Une personnalité qui prenne cette fonction pour ce qu'elle est, et qui ne soit pas d'abord soucieuse de savoir ce que pensent les chefs de gouvernement. Qu'elle fasse émerger un intérêt général européen et qu'elle le mette sur la table face au Conseil. Or, le président de commission sortant considérait que tant qu'il n'avait pas pris l'avis des différents chefs d'Etats et de gouvernement, des pays les plus puissants si possible, il n'allait pas prendre d'initiative. C'était quelqu'un de très en retrait.

Que Christine Lagarde soit choisie serait peut-être bien pour l'image de la France, mais ce n'est pas pareil que l'influence. Peut-être que ça permettrait à certains de se sentir mieux représentés, d'être moins inquiets, mais ça serait plus un symbole. Quant à l'influence, diriez-vous que parce José Manuel Barrosso a été président de la commission pendant dix ans, deux mandats, l'influence du Portugal a énormément augmenté en Europe ? Quand on voit la cure d'austérité que l'Europe lui a proposé – certains diraient imposé – on est en droit d'en douter.

Par ailleurs, le président de la Commission européenne devrait être un des cinq chefs de file des élections européennes, comme cela avait été prévu durant la campagne. Et il ne devrait pas être susceptible d'une mise en examen ou d'une prodédure judiciaire...

Guillaume Klossa : Madame Lagarde a des qualités indéniables, et sa nomination serait largement susceptible de rassurer les Français sur l'influence de notre nation en Europe. D'autant plus qu'après la défaite subie par François Hollande, il existe ce sentiment persistant qui veut que le Président de la République soit bien moins audible au sein du Conseil Européen, et que par conséquent la France pèse moins sur les décisions d'importance. D'abord parce que François Hollande est diminué, et ensuite parce que le succès numéraire du Front national est important, mais que ce n'est pas un groupe qui fera parti des différentes majorités du Parlement Européen. Ce qui signifie, concrètement, que la présence française devrait reculer. La nomination de Christine Lagarde pourrait contrebalancer ces impressions.

Pour autant, sa nomination aurait aussi des inconvénients. D'une part, si Christine Lagarde prend la présidence de la Commission, c'est en bonne logique qu'elle quitte la direction générale du FMI. Ce qui signifie bien davantage que de perdre une simple influence française sur l'Europe. Cela voudrait dire perdre tout un pan de l'influence de l'Europe sur le monde, puisqu'il est acté que le sucesseur de Christine Lagarde ne sera pas européen. Ce serait donc, somme toute, le déclin de l'influence européenne.

Le premier intérêt, dans l'immédiat, concernant Christine Lagarde, c'est donc qu'elle reste à la tête du FMI. Et ça n'est pas uniquement l'intérêt Français, c'est également l'intérêt de l'Allemagne, de l'Europe. L'influence européenne sur le FMI est à préserver, et si elle devra reculer, il n'est pas nécessaire d'accélrer le processus.

Christine Lagarde serait-elle capable de rendre à la France une forme de prestige que celle-ci semble avoir perdu, et particulièrement en Europe ? Comment pourrait-elle contraster la personnalité assez effacée de François Hollande ?

Guillaume Klossa : Christine Lagarde a des atouts incontestables. Elle a vécu la crise, et surtout a su se faire respecter après avoir pris la tête du FMI. Le tout, tant pour ses qualités diplomatiques, son sens de l'équilibre, que sa capacité à dire les choses qui doivent l'être. C'est elle et au travers d'elle que le FMI a reconnu a plusieurs reprises les erreurs qu'il avait pu commettre, notamment en ce qui concernait les recommandations en matière d'austérité.

Cependant, la première question reste de savoir comment elle parviendrait à gérer la Commission. Evidemment à court terme, son nom sera une source de prestige pour la France, mais cela ne peut qu'être temporaire, parce qu'en dépit de sa stature internationale, elle reste assez peu connue de l'opinion publique et n'est donc pas associée aux acteurs de la vie politique européenne. Elle sera bien accueillie, certes, d'autant plus qu'elle est une femme, mais cela sera loin d'être suffisant pour parvenir à recréer un certain prestige. Celui-ci ne serait au rendez-vous que si Christine Lagarde parvenait à gérer correctement la Commission et être courronée de succès. C'est ça qui est déterminant.

Dans quelle mesure le choix de Christine Lagarde pourrait-il gêner François Hollande ?

Guillaume Klossa : Paradoxalement, les idées que défend Christine Lagarde – notamment ce qui concerne la stratégie économique basée sur la croissante – sont également celles que défend le Président de la République. En cela, il ne devrait pas y avoir de véritable problème.

Vis-à-vis de Pierre Moscovici, c'est potentiellement une autre histoire, puisqu'il est probable que François Hollande préférerait que ce soit-lui qui soit retenu. Néanmoins, quand bien même il en arrivait à ne pas pouvoir avoir un Français à la présidence de la commission, ça ne serait pas quelque chose de catastrophique, en cela que ce qui importe le plus, ce sont certainement les portefeuilles. S'il parvient à négocier un portefeuille intéressant et important, l'essentiel sera fait. Il faut garder à l'esprit que la présidence de la Commission représente un portefeuille important, en plus du « simple » poste de commissaire, lesquels pourraient consacrer une vraie influence à notre pays.

Je crois, cependant, que le plus important, c'est que le candidat quoi soit retenu ait été présenté à la Commission. C'est primordial que le Président de la Commission se soit présenté démocratiquement aux élections et ait fait face au scrutin démocratique et citoyen, parce que c'est un élément majeur de construction de l'espace public européen. Il en va de la crédibilité des partis politiques – à l'échelle européenne – qui ont pu choisir des candidats pour se faire. Il est vital que la dynamique démocratique que nous avons pu instituer se poursuive.

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